lundi 28 mars 2011

DG - Structure et organisation

2-La structure et l'organisation


Spécificité des chapitres
            Le Tome III des Mémoires de Guerres, comme les tomes I et II, est divisé en chapitres. Il en comporte 7 - un de moins que les tomes précédents. Ces sept chapitres s'imposent comme deux ensembles distincts dès leur présentation en table des matières: quatre substantifs précisés par un article défini, suivis de trois autres sans déterminant et à un préfixe négatif. Toutefois leur véritable spécificité est établie sémantiquement. Leur titre, en effet, les caractérise soit comme un événement soit comme un thème.
            Le tableau ci-dessous précise les dates et les sujets qui permettent de distinguer ou d'associer ces différents chapitres:

Chapitre éventuels
Dates
Sujets
Ch. 1 : "La Libération"
Sep. 1944 - Nov. 1944
La libération de la France
Ch. 4 : "La Victoire"
Oct. 1944 - Mai 1945
La participation des armées françaises à la défaite de l'Allemagne
Ch. 7 "Départ"
6 Nov. 1945 - 19 Jan. 1946
Le retrait du pouvoir du Général De Gaulle
Chapitres thématiques


Ch. 2 : "Le Rang"
23 Oct. 1944 (P. 58) - Avril 1945
Politique étrangère : l'activisme diplomatique du Général De Gaulle pour la grandeur française
Ch. 3 : "L'Ordre"
Hiver 1944 (p. 114)  - Avril 1945
Politique intérieure : L'activisme réformateur provisoire du Général De Gaulle
Ch. 5 "Discordances"
Juin 1945 - Oct. 1945
Politique étrangère : une victoire mal réglée par l'hégémonie américaine
Ch. 6 : "Désunion"
15 Mai 1945 - 21 Oct. 1945
Politique intérieure : Partis de gauche et syndicats contre De Gaulle

Les chapitres événementiels
            Ces trois chapitres se rapportent à trois événements majeurs de la période 1944-1946. "La Libération" développe un récit limité aux lendemains les plus immédiats de la Libération: "Depuis que paris est repris, dix semaines se sont écoulées" (p.54). Ce qui est raconté ce situe entre septembre 1944 et le début du mois de novembre 1994. "La Victoire" s'ouvre en évoquant "les coups décisifs" que "les alliés de l'Ouest" préparent "à la mi-automne" (p. 159). À travers des étapes narratives datées avec précision et formant une suite chronologique de mois en mois, d'octobre 1944 à mai 1945, on parvient, à la fin du chapitre, à la victoire du 8 mai 1945 : "J'en ai fait l'annonce, par la radio, le 8 mai à trois heure de l'après-midi" (p.213). "Départ" est le plus bref des chapitres. Ce qui y est raconté permet de suivre exactement le calendrier de la démission du Général De Gaulle du 6 novembre 1945 au 19 janvier 1946 et de poser quelques dates sur les mois qui ont suivi son départ du gouvernement et de son retour à Colombey-les-deux-églises.

Les chapitres à objet thématique
            Au-delà des précisions chronologiques qui rattachent ces chapitres à l'histoire rapportée des années 1944-1946, on découvre dans chacun d'eux un thème conducteur dominant qui construit une réflexion de politique étrangère ou de politique intérieure.
            Les chapitres "Le Rang" et  "L'Ordre" font se succéder ces deux types de réflexion autour du thème de redressement national. "Le Rang" s'attache à la lutte diplomatique menée pour permettre à la France de "prendre part à la victoire"  et de "redevenir une grande puissance" (p.103). "L'Ordre" développe la méthode gaullienne pour "la reprise de la vie normale" (p. 114) dans une France "début de […] convalescence" (p.143). Le chapitre sert à illustrer la volonté du Général de "gouverner à coups d'initiatives, de risques, d'inconvénients" (p. 115).
            Il en est de même pour la suite des chapitres "Discordances" et "Désunion" qui restent centrés sur le thème de "l'ordre des choses humaines" (p.244) défini, "dès lors que la guerre cessait" (p. 244), comme l'inévitable montée des "intérêts", des "préjugés" et des "antagonismes" (p.244). "Discordances" met en lumière le renoncement des grandes diplomaties à "l'harmonie mondiale" (p.250) et l'installation de la "rivalité [entre le] monde libre et [le] monde soviétique" (p. 250), avec le partage du monde en deux blocs. "Désunion" éclaire cet "ordre des choses humaines" d'un point de vue non plus international mais national, en soulignant et condamnant l'"infirmité" et la "décadence" des partis (p.286), "leur désir de disposer de l'Etat" (p.324), au travers de la consultation référendaire et électorale d'octobre 1945.

Spécificité des documents et cartes:
Comme les tomes I et II, le tome III des Mémoires du Général De Gaulle possède en annexe une importante suite documentaire, constituée d'éléments d'archives très variés: discours, lettres, télégrammes, conférences, entretiens, ordonnances, cartes… Ces pièces servent à authentifier le contenu historique du texte et à valider ainsi le témoignage du mémorialiste. Mais il faut aussi leur reconnaître une fonction éclairante pour certains épisodes du Salut. On peut en particulier relever les trois entretiens du Général De Gaulle avec Staline (pp. 392-409) et celui avec Harry Hopkins, envoyé spécial du président Roosevelt (pp. 428-432). Ces documents permettent de cerner de façon très détaillée les points d'affrontements entre les protagonistes. Les allocutions publiques du Général (ex. : pp. 351-361 et pp. 479-484) viennent éclairer quant à elles, ce que Le Salut restitue de son exceptionnelle popularité. La lecture que l'on peut en faire dans les "Documents" fait accéder à la grande éloquence gaullienne comme clef de la force des enthousiasmes publics souvent évoqués dans les chapitres du Salut.

Les structures d'un double drame:
            À la fin du premier paragraphe de "L'Ordre", Charles de Gaulle se compare, pour le redressement de la France, à "Macbeth devenant la marmite des sorcières" (p.113). Il associe par là sa mission politique et militaire aux complexités du tragique Shakespearien. Les structures du tome III et de ses Mémoires de guerre invitent aussi à établir des analogies avec le théâtre et plus particulièrement avec les principales forces agissantes de l'action dramatique: un objet autour duquel se noue l'action de premiers et seconds rôles pour en achever le règlement.
            On a, certes, un drame assez complexe à décrire en termes d'unité. Il en présente, en effet, le jeu d'un objet central, la reconstitution de la grandeur nationale et internationale de la France, sous la direction de Charles de Gaulle, qui se clôt en deux dénouements successifs et contraires: victoire et départ/démission. Cet aspect du texte éclaire ainsi plutôt la succession de deux drames : le premier met en jeu des forces agissantes de guerre (quatre premiers chapitres), le second des forces agissantes de paix (trois derniers chapitres).

Le drame de la fin de la guerre:
            L'exposition du drame et de ses acteurs se fait dans " La Libération". À la fin de cette ouverture, l'objet dramatique est clairement indiqué : "La France en guerre se retrouve chez elle. Il s'agit, maintenant, qu'elle reparaisse au dehors" (p.55). L'action qui s'engage à pour finalité un retour à la grandeur. Le nœud de l'action s'inscrit dans le chapitre suivant, "Le Rang", avec l'offense de Yalta : de Gaulle, bien que le Gouvernement provisoire de la République française ait été reconnu par les Alliés "en bonne et due forme" (p.58), n'a pas été invité à participer à cette conférence destinée à organiser le monde d'après la victoire. Roosevelt est celui des "Trois" (p.101) qui s'y est opposé (les deux autres étant Staline et Churchill). La figure du président des Etats-Unis devient ainsi celle d'un opposant à la "juste place" (p.160) de la France. Ce parti pris Américain stimule les efforts diplomatiques et militaires du Général De Gaulle " pour que la France s'affirme dans les débats et les décisions qui suivront les hostilités" (p. 261) La disparition de Roosevelt, en avril 1945, renforce sa position. Il souligne lui-même la dimension théâtrale des fins de conflits : " il en est de la guerre comme de ces pièces de théâtres où, à l'approche du dénouement, tous les acteurs viennent sur la scène" (p. 196). Tel qu'il "se joue" dans Le Salut, le dénouement qu'est la victoire alliée résout favorablement pour la France la problématique initiale, posée dans le premier chapitre. En effet, la France participe finalement aux côtés des Trois à la signature de la reddition du Reich. C'est la victoire gaullienne du 9 mai 1945, une victoire militaire et une revanche sur Yalta : "Le 9 mai, le général de Lattre prend place aux côtés des délégués militaires des grandes puissances alliées, sous une panoplie où le tricolore figure avec leurs drapeaux. À l'acte final de la capitulation allemande, le représentant de la France est signataire, comme ceux de la Russie, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne" (p. 213). Le drame se termine ainsi par un "Bien joué !" pour de Gaulle.

Le drame de la paix et du renouveau
            Dans le second volet dramatique que présente les trois derniers chapitres du Salut, la problématique d'ouverture est précisée comme une exploitation opportune de "la période nouvelle" pour "entamer l'exécution du vaste plan […] formé" par de Gaulle "pour [son­] pays" (p. 215). Les objectifs internationaux de ce plan consistent en la paix et la force de l'Europe dont il faut faire "une des trois puissances planétaires" (p. 216) avec les USA et la Russie, et aussi en l'aménagement pour la France des voies de la colonisation : "obtenir que l'Union Française se transforme progressivement en libre association" (P;216). Les objectifs nationaux sont d'ordres économiques et institutionnels : de Gaulle est « en charge d'un pays ruiné, décimé, déchiré, encerclé de malveillance" (p.283). Le plan de redressement est un plan "de simple bon sens" (p.293), à savoir "une politique […] d'équipement et de modernisation" (p.284)
            Les complications qui apparaissent dans les "Discordances" et "Désunion", pour  la réalisation de ce plan tiennent à des rapports de force politiques :
            -   Sur le plan international, le nœud de l'action est situé dans la détermination des Grands à la relégation internationale de la France et dans la résolution du Général De Gaulle "de ne pas les laisser faire" (p.215).
            -   Sur le plan intérieur, le noeud de l'action de ce drame de la paix est inscrit dans "prétention des partis" (p. 287) à "disposer de l'Etat" (p.324) et à en éloigner de Gaulle, qui, lui, revendique de « demeurer le champion d'une République ordonnée et vigoureuse" (p.324). Il engendre comme une passe d'arme où les partis " [lèvent] leur bouclier" (p.305) et de Gaulle "engag[e] le fer" (p.308). Le dénouement est contenu dans ses mots du dernier chapitre :"démembrement du pouvoir de Charles De Gaulle" (p.335).
            Ces deux séquences dramatiques, sur les thèmes "guerre et paix" et "renaissance et éviction", renforcent les effets d'ambivalence du contenu mythique  du Salut.

Les structures d'un double mythe
             Le Salut apporte un contenu imaginaire, fait de représentations sublimes, qui semble orchestrer un passage de l'historique au mythique, mais l'inverse. L'ouverture des Mémoires de guerre initie le lecteur à cette imaginaire et à cette préséance du mythique à l'historique : "toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France tel la princesse des comptes ou la madone et aux fresques des murs comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Province la crée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires" (t. I L'Appel).

La dualité héroïque
            L'héroïsation qui caractérise le mythe se fait, dans le tome III, des Mémoires, autour de la France et du Général De Gaulle. Dès la première page de "La Libération" on voit que « l'être vivant d'une nation prend corps par le texte", selon les termes de Régis Debray. L'imagination du lecteur est, en effet, invité à la vision du "corps bouleversé de la France" (p.7). La France devient ainsi un être vivant. Dans ce commencement, l'auteur introduit aussi sa propre personne en "personnage quelque peu fabuleux, incorporant aux yeux de tous, cette prodigieuse libération" (p.10), et jugé capable " [d'] accomplir par lui-même tous les miracles attendus" (p.10).

Le caractère polymorphe de ce double mythe
            Trois types d'images maintiennent la dimension mythique de la France :; des images pathétiques, des images profanes, des images célestes.
            -   Les images pathétiques se rapportent au corps blessé ("le corps bouleversé de la France", p. 7), à la captivité ("la France reparaissait libre et vivant" p. 70 "on la regardait encore comme une captive énigmatique", p. 250), à la femme offensée ("vous avez outragé la France […] cela ne peut être oublié", p. 263)
            

Un grand merci à Barbara !  

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