Correction du devoir : texte de Cournot
Cournot : 1801-1877, mathématicien
individu : ce qui n'est pas divisé
la culture civilise
ce qui intéresse l'histoire : le devenir.
La personne humaine est-elle en deçà ou au-delà des sociétés qu'elle contribue à former ?
Selon Cournot, l'individu est aussi une personne par sa liberté, et celle-ci ne doit rien à une forme de vie "sociale" (la personne se place donc au delà de toute société). Nous nous demanderons si la société se réduit à cette vie naturelle : n'est-elle pas aussi l'autorité qui élabore le droit et la liberté ?
Le texte se présente en trois temps.
(l1 à l12) l'auteur distingue la personne de la société, alors (l12 à l18) il précise que cette société témoigne d'une vie spécifique qu'il faut analyser. Il en conclut (l18àl26) que l'individualité, la personnalité se trouve au point culminant pour toute approche scientifique ou historique. Il faut donc séparer l'étude de l'homme (individuel) de l'étude de la nature.
Cournot pose la notion de personne humaine comme équivalente à l'idée d'homme individuel. L'individu est une personne c'est-à-dire le droit et la morale peuvent le juger et pour cela lui imputer des actions. Et réciproquement, il faut que la personne soit indivise, elle doit rendre des comptes sur ses activités. Par exemple pouvoir promettre et s'engager (relation à l'avenir), mais aussi justifier un acte accompli (relation au passé). Une personnalité n'est pas la juxtaposition de plusieurs moi(s), c'est un seul et même sujet qui doit se reconnaître comme auteur de ses actes.
D'où la notion du devoir (dessus) c'est-à-dire les "attributs qui décorent". Un attribut est ce qui caractérise un être et chez l'homme la raison accompagnée de liberté produit une dignité, un honneur, unique. Tout cela lui prescrit des obligations.
"noblesse oblige" : c'est-à-dire : l'homme a un rang à tenir. Il ne doit pas déchoir. L'épithète "éminent" caractérise le rang. L'animal agit par impulsion, chez lui, la tentation est la plus forte mais l'homme peut y résister et se déterminer par lui-même, par la moralité (autonomie). Or, cette individualité présente une double existence, d'un côté son autonomie suppose l'indépendance. De l'autre, cette même autonomie doit beaucoup à une éducation (l4) et même une culture (l5). Eduquer, c'est faire sortir d'un état rudimentaire et fruste. La culture est le remède au mal qui guette l'humanité.
Voir Voltaire, Candide : "Il faut cultiver notre jardin" pour réduire autant que possible les dangers de la folie destructrice, de l'obscurantisme, du dogmatisme, de l'intolérance, de l'aveuglement et de la haine. La culture c'est avant tout le fondement commun d'une vie sociale, c'est le dénominateur commun, ce qui fait le vivre-ensemble : la langue. Il est impossible pour l'individu de constituer une langue, elle est anonyme et impersonnelle, c'est l'usage, c'est-à-dire la pratique de tout un peuple et personne ne peut avoir de prise sur cette forme de vie, c'est-à-dire on ne décrète pas.
Du coup, la société se présente sur deux angles. (voir l7 à l10)
- D'une part, comme un arbre généalogique, c'est-à-dire une structure arborescente qui déploie dans l'espace toutes les dépendances de la filiation. Représentation "logique et abstraite" d'une existence ramifiée.
- D'autre part (l10 à 12), cette même société présente une spécificité toute autre que géométrique. "Une vie" c'est-à-dire, comme disait Bichat : "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Cette vie met en oeuvre un ordre ("organisation"), des réactions spontanées ("instincts"), une croissance par complexification interne ("développement propre"). Tout cela s'étudie comme un devenir et justifie le regard "historique" qui recherche les évènements, les faits qui demeurent uniques.
La vie propre au corps social se manifeste par une circulation (l12) c'est-à-dire un mouvement qui évoque à la fois le déplacement du centre et celui de nombreuses substances avec une suggestion de retraitement, de recyclage… D'où; la difficulté centrale : la personne humaine a une vie propre mais la société en a une autre. Pourquoi ? Le modèle est ici plus végétal qu'animal, l'auteur ne se distingue pas d'une très ancienne tradition.
Voir Aristote, 4ème siècle avant JC : La vie au sens biologique est une structure à 3 étages :
a- les fonctions végétatives, c'est-à-dire nutrition, croissance, dépérissement et mort ("les âges de la vie").
b- les fonctions animales ordonnées autour de la sensation et parfois de sa redéposition = le souvenir.
c- les fonctions spécifiquement humaines, c'est-à-dire la raison (le rationnel, la connaissance ordonnée) et d'autre part, le raisonnable, c'est-à-dire la conduite elle aussi ordonnée.
NB : selon Aristote, avec le morceau b- apparait la possibilité de la voix, c'est-à-dire l'animal parfois, exprime plaisir et douleur. Néanmoins la voix n'est pas encore la parole. = elle ne repose pas sur la raison. Seul le niveau c-, c'est-à-dire l'humain détient la parole = l'expression d'un sentiment de justice ou d'injustice = le logos. Du coup, l'homme distingue entre bien et mal.
Selon Cournot, la vie sociale suppose la simple satisfaction des besoins, sans distinction du plaisir et de la douleur, c'est-à-dire sans animalité. Cette vie sociale est apparentée à un niveau minimal, à un plan végétatif. La société est fondée sur la pluralité des besoins, c'est-à-dire la diversité des tâches (nul ne sera à la fois boulanger et maçon et cordonnier …)
Voir par exemple Platon - La République, Livre 2 :
Les hommes font société pour vivre pleinement, c'est-à-dire pour faire ce qu'ils ont à faire = être citoyens. Cela suppose une "satisfaction minimale" : la préservation du corps collectif dans son intégrité et dans sa santé.
Pour rendre compte de ce qu'est le corps social, nul besoin de faire intervenir un principe animal, c'est-à-dire quelque chose qui annoncerait l'humanité. La référence au végétal prononce la rupture et exprime la discontinuité entre vie sociale et vie de la personne.
Voir les épithètes, l13-14 : "obscure" c'est-à-dire opaque et réfractaire à tout éclaircissement, instinctive, non pas au sens "animal" mais pour une évocation de la pure spontanéité. Par exemple une plante qui se tourne vers le soleil. D'où l'absence de conscience (celle-ci étant inutile).
Conclusion de cette partie centrale (l12-18) :
Le modèle social de vie spontané témoigne d'une régression (l14), il sépare la personne humaine de ses conditions de vie les plus rudimentaires. Pourquoi ? Un sujet pensant et libre a la conscience de soi par opposition aux fondements "végétatifs" du corps social qui n'accède pas à la délibération et à la moralité (l17-18). Cette vie minimale se place en deçà de la dualité morale par excellence. Pourquoi ? Elle n'en a aucun besoin.
CONCLUSION : la personne ressortie a des autorités, habiletés à se prononcer sur les formes de spiritualité propres à l'espèce humaine.
Voir l20-21 :
- le prêtre s'intéresse à la religiosité, voir Kant : la religion prétend répondre à la question "que m'est-il permis d'espérer ?". La religion traite de la question du mal en ménageant une espérance. L'espoir se rapport à un objet déterminé, l'espérance évoque un objet indéterminable, par exemple une forme de l'infini qu'on peut seulement entrevoir (ainsi, l'immortalité de l'âme).
- le juge s'intéresse à l'imputabilité (la possibilité juridique d'attribuer à un sujet libre la responsabilité de ses actions). Le juge voit toute personne comme un agent (celui qui agit).
- l'ascète retient la faculté de s'éprouver, c'est-à-dire d'affronter des difficultés et de se les imposer.
- le moraliste retient le sujet capable dune conduite, c'est-à-dire l'agent exposé à des tentations et susceptible de faiblesses. Il décrit les moeurs = les façons d'agir et il y voit l'occasion d'une comédie souvent tragique.
- le poète évoque des atmosphères en les ouvrant à des aperçus métaphysiques.
- le romancier construit ou reconstruit des vies, il va jusqu'à mettre en scène des sociétés.
ex : Tolstoï ou Balzac.
Cournot a donc nommé 6 types humains et 6 activités qui se proposent d'étudier un objet qu'on ne mesure pas et qui échappe à l'univers du nombre. La personne met au défi l'activité calculatrice, par exemple 100 personnes ne valent pas 100 fois 1 personne. C'est pourquoi les échanges d'otages sont depuis toujours dépourvus de sens. La vie d'une personne ne fait pas montre avec d'autres vies.
Or, la science (l21-22) suppose une activité de mesure par numération, elle quantifie. Du coup, elle choisit "un terrain plus ferme", elle parvient à clore certains débats, alors que la religion, le droit etc … n'en finissent jamais. Mais elle le paye cher, puisque sa méthode lui interdit les régions les plus élevées (l21). La science ne peut pas parler de la liberté.
Cournot résume sa démarche par une mise au point, on ne dira pas que l'homme, c'est-à-dire la personne "sort" de la nature et forme des sociétés. Il y a une discontinuité entre cette personne et son enracinement le plus profond. La médiation, c'est la société qui se sépare peu à peu de son fondement quasi végétatif et prépare à sa manière l'homme vu comme personne (capable de délibération et de moralité).
CRITIQUE : Cournot explique une certaine séparation. Sur ce point, il se rattache à une tradition. La vie sociale est avant un phénomène vital c'est-à-dire quasi biologique. ll y a là un "comme si" qui repose sur une affinité, une parenté, une analogie. Considérons un vivant au niveau le plus bas, voir Kant - Critique du jugement - Articles 64-65 :
On peut comparer le vivant et la machine (pour saisir la spécificité du vivant). La vivant se distingue par la solidarité de ses parties et sa faculté de reproduction.
a- dans une montre les pièces existent les unes pour les autres et non par les autres, c'est-à-dire une partie est un simple moyen et non une fin. Dans un arbre, chaque partie existe pour et par les autres, c'est-à-dire, elle est à la fois moyen et fin.
ex : une montre tombe en panne, il faut une main extérieure pour la réparer.
un arbre subit les assauts d'une maladie ou l'élagage, s'il est sain, il régénère ces mutilations.
b- les machines dépendent toutes d'une production, c'est-à-dire elles ne se reproduisent pas entre elles.
CONCLUSION : le vivant a une plasticité et une autonomie toute autre que mécanique. La machine a une force motrice (mais rien de plus). Le vivant a une force formatrice. D'où; la possibilité d'une comparaison avec la vie sociale. Une société gouvernée par une volonté despotique sera comme une machine, mais une société gouvernée par les lois du peuple sera un organisme vivant. Une société de machines se compose de sujets, en revanche, un peuple respecté se compose de citoyens, c'est-à-dire de membres qui existent par et pour les autres.
Problème : cette image est une métaphore organiciste = elle se réfère à un modèle "naturel" au sens élémentaire et peut être rudimentaire. La vie sociale forme des citoyens, mais avec d'autres forces qu'une puissance purement végétative.
Néanmoins, une société de fait, n'est pas encore une société de droit. Elle vise à se préserver mais ne prend pas en compte la liberté. Cournot se contente de rabattre la notion de vie sociale sur des considérations prosaïques. On est en droit de prêter à la société (politique) une autre raison d'être : l'effectuation de la liberté humaine.
Néanmoins, une société de fait, n'est pas encore une société de droit. Elle vise à se préserver mais ne prend pas en compte la liberté. Cournot se contente de rabattre la notion de vie sociale sur des considérations prosaïques. On est en droit de prêter à la société (politique) une autre raison d'être : l'effectuation de la liberté humaine.
Faire société, c'est pouvoir s'accorder avec autrui = conclure des contrats, des pactes, établir des conventions. Bref, sortir de l'état de nature et entrer dans l'état civil (=2 citoyens = l'établissement) c'est-à-dire l'activité de l'arbitraire humain qui s'impose des règles = qui va distinguer entre régulier et irrégulier.) D'où la loi et le rapport au légal et à l'illégal.
Problème : comment notre arbitraire peut-il se régler ? c'est-à-dire éviter la démesure, la folie, le bon sens (bref le grand n'importe quoi) ?
L'homme a une partie animale, c'est-à-dire se qu'il partage avec ses homologues inférieurs. C'est l'équilibre de l'amour de soi, et de la pitié. Il a aussi une partie spécifique, le propre de l'homme = ce qu'aucun animal n'aura jamais : la perfectibilité = faculté d'accumuler les progrès, les apprentissages, sans terme pré établi. Cette faculté peut s'exercer dans le respect de la raison. Elle peut effectuer, accomplir notre liberté dans le respect des normes qui la rendent vivable. D'où une série de dualités (l3) : le justice remplace l'instinct, c'est-à-dire (voir la pitié tempère l'amour) la justice s'occupe d'un partage harmonieux. L'instinct veut satisfaire un intérêt. La première est capable de sacrifice, le second rejette cette conduite.
Du coup, l'homme passe de l'anormalité à la moralité.
amoralité = non reconnaissance/indistinction du bien et du mal.
immoralité = préférence accordée au mal (en connaissance de cause).
moralité = a- conformité aux exigences du bien
b- condition d'un sujet qui connait la distinction du bien et du mal.
l6 : devoir = nécessité morale = rapport de droit.
Impulsion physique = nécessité "phyisque" c'est-à-dire mécanique = rapport de fait.
l6-7 : droit et appétit
droit = liberté justifiée par une légitimité.
appétit = liberté du pur désir, c'est-à-dire d'une incrimination physique une loi de la nature).
l7-10 : la mutation de l'homme primaire qui devient raisonnable.
La raison devient l'autorité. L'homme peut désormais la "consulter", c'est-à-dire l'interroger pour en obtenir une consigne. En revanche, les penchants sont comme des inclinations.
NB : le droit recouvre l'image de la rectitude (aller de façon directe et franche vers son but). Mais, les penchants sont toujours des tentations qui nous dévient, et alors, nous sommes enclins à certaines incartades.
Voir aussi l'image du serpent, l'animal capable de sinuer.
La perfectibilité impose à l'homme de respecter son statut, c'est-à-dire sa dignité d'agent libre, responsable. Nous ne pouvons jamais nous rabattre sur le seul instinct. Nos actions nous sont imputables. Et du coup, l'homme qui s'égare tombe plus bas que l'animal. Il n'a pas d'excuses, c'est-à-dire il ne peut pas être mis hors de cause. D'où un calcul sur les avantages (de l'état civil) : la vie sociale nous fait renoncer au simple rapport de fait. Par exemple, une liberté d'action dans la nature. Mais elle donne une existence de droit. Par exemple, la cité protège ses membres par un système de défense (police armée, etc …)
l18 : "animal stupide et borné" = l'homme dans l'état de nature (amour de soi+pitié). La perfectibilité est encore à l'état latent, elle sommeille. C'est une faculté virtuelle. Elle n'est pas passée à l'acte.
l17 : "l'instant heureux" : ne pas confondre avec moment.
Moment = une durée courte mais déterminable, mesurable dans son écoulement.
instant = pure limite théorique entre un avant et un après.
L'instant a une fonction "critique" = il sépare par exemple une décision, marque un instant, c'est-à-dire la distinction de deux états par le projet d'une action.
Tout cela se traduit par une vision équilibrée de la justice. Donner à chacun son dû, c'est ne léser personne. Toute perte doit être compensée (l25) par un gain. On distinguera (l21-24) la caractère contingent et fragile de la liberté naturelle (une sorte de faux droit) et la nécessité juridique qui fait le vrai droit. D'un côté, l'absence de limites (l22) sur fond de tentation (l23). De l'autre, l'institution de la limite, c'est-à-dire un aspect réciproque des personnes et des biens. Cet équilibre repose sur une limitation (l28). On quitte le rapport de fait, c'est-à-dire la contingence, le hasard des rencontres et on entre dans le rapport de droit, c'est-à-dire la nécessité vécue dans le corps politique.
Voir, l28, "la volonté générale" c'est-à-dire l'intérêt de corps qui donne son sens à l'intérêt du citoyen. Cet aspect conserve le droit personnel, c'est-à-dire le droit des personnes. Il existe un droit réel et il concerne les biens (res=chose), les affaires etc … On distinguera la possession (l28) et la propriété (l30). La possession relève d'un fait contingent (le "premier occupant") et elle suppose une force pure, c'est-à-dire une capacité de défense. Le propriété se fonde sur "un titre positif".
positif = posé par la volonté humaine, par opposition à naturel = qui ne dépend pas de cette volonté.
CONCLUSION : l'état civil confère l'autonomie, la vraie liberté, qui est propre à l'homme. La liberté physique est partagée avec l'animal, la liberté morale (l33) concerne les moeurs de l'homme = ses façons d'agir. Un abime sépare 2 domaines. D'une part, le désir, "l'appétit" qui règne en maitre exclusif et qui nous vaut alors l'impulsion. (Voir en grec "orexis" qui signifie désir, appétit = le fait de tendre vers une fin, donc à la fois le désir et l'impulsion.
NB : l35 : "esclavage" l'individu est excla ve de lui-même quand il perd toute possibilité. En revanche, il obtient la maitrise de soi par la mesure et la loi à condition qu'il le fasse par un mouvement réflexif (l35-36) qu'on s'est prescrit. Le société juste, c'est-à-dire légitime repose sur le droit et non le fait. Elle peut former l'individu comme être libre, c'est-à-dire lui donner la maîtrise de soi. Une société de droit n'est pas une simple société de fait. Cournot est allé trop vite sur ce point.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire