Le langage
L'espace des mots est-il pour la pensée un lieu d'ordre ?
1- Le langage de l'ordre (Rousseau)
Critique : il ne rend pas compte de l'arbitraire du signe
2- L'ordre du langage (Saussure)
Critique : il n'évite pas le verbalisme
3- Langages et ordres
5ème avant JC, à Athènes. Une corporation propose à une jeunesse l'apprentissage de l'éloquence, en vue d'une carrière politique.
ex : Protagoras, Gorgias.
L'éloquence suppose une technique : la rhétorique = art de convaincre et de persuader. Socrate dénonce ce commerce au nom de la vérité (sacrée). Il perd la partie et boit la ciguë en 399 avant JC. Platon célèbre cette mort glorieuse et cette dénonciation. Il met en scène les sophistes et entreprend de réconcilier le langage avec la pensée. L'idée est que les mots ont une affinité avec la pensée et qu'il faut la découvrir, la respecter et l'entretenir, ce qui suppose que le langage a les moyens de présenter la pensée comme un ordre c'est-à-dire il peut se plier aux exigences de l'ordre. D'où un impératif : montrer l'ordre comme racine commune du langage et de la pensée.
L'espace des mots offre-t-il à la pensée un lieu d'ordre ?
1- Le langage de l'ordre
Le langage peut se régler, c'est-à-dire se soumettre à une règle. Ainsi, il parvient à assainir la conversation, le discours quand les sophismes menacent.
ex 1 : premier sophisme :
Tout ce qui est rare est cher
Or un cheval bon marché est rare
Donc un cheval bon marché est cher.
En quoi est-ce un sophisme ? Le sophisme vient d'une contradiction dans les prémisses (2premières lignes).
ex 2 : Gorgias de Platon : à l'origine un ordre présidait à la vie des sociétés humaines. Les forts commandaient et les faibles exécutaient. Mais, les choses ont changé, un renversement, une subversion a eu lieu et les faibles ont inventé la loi. Grâce à elle, ils ont bridé l'effort, et aujourd'hui, les faibles commandent, et les forts sont soumis.
Objection et réfutation (= réponse de Socrate) : les prétendus forts n'avaient que la supériorité physique = la brutalité. Les faibles avaient compris la loi, c'est-à-dire le principe de la raison = la conduite sensée (par opposition à la déraison, la barbarie). Calliclès revendique une autorité réduite au culte du fait brut, c'est-à-dire je peux envahir le pays voisin = je m'y autorise = j'en ai acquis le droit = ce pays m'appartient.
Socrate = le droit de se réduit jamais au fait = il suppose un autre ordre, celui de la légitimité (donner à chacun son dû)
(Calliclès = le fait / Socrate : le droit / fait ≠ droit)
Contre la sophistique, une arme efficace : la dialectique : la technique du début contradictoire qui utilise les hypothèses comme des tremplins pour s'élever à l'absolu c'est-à-dire :
a- un ou plusieurs concepts
par ex : la justice en soi, la beauté en soi
b- le Bien lui-même, c'est-à-dire l'idée suprême. Elle commande toutes les autres, c'est le sens de tout ce qui existe.
La pensée dans sa nature intime atteste cette structure :
"La pensée est un dialogue silencieux et intérieur de l'âme avec elle-même." Platon.
Autrement dit, la pensée est dialectique (= elle utilise l'objection, la contestation, le renversement (du pour au contre) et la réfutation). On y parvient en mettant de l'ordre, c'est-à-dire en pensant bien et en parlant bien. D'où une correspondance rigoureuse.
On distinguera 3 ordres :
a- les choses
b- les idées ou concepts (= ce qui est intelligible c'est-à-dire compréhensible)
c- les mots, le langage proprement dit
La maxime du penseur est : pour une chose il faut une idée et pour cela un mot. Mais la rigueur nous impose l'univocité, c'est-à-dire un seul mot par idée et réciproquement un mot doit n'avoir qu'un sens. Du coup, on évite les jeux de mots. On rejettera les termes ambigus.
Nous arrivons à la notion du langage comme ordre classificatoire, c'est-à-dire une langue serait comme un fichier.
Rousseau - Discours sur l'origine de l'inégalité :
L'homme, c'est "l'agent libre" = l'animal qui agit autrement que par instinct. L'animal est limité par la règle (spécifique = propre à son espèce). L'homme est capable d'écart. La fidélité du premier lui profite le plus souvent (malgré quelques exceptions). L'infidélité du second, c'est-à-dire de l'homme est une porte ouverte à tous les possibles.
Paragraphe 2 : L'animal est capable de ruse et de quelques calculs élémentaires. L'homme s'en distingue en degré et non en nature. Aucun abîme ne sépare sur ce plan "intellectuel" l'homme de l'animal. On évoquera une différence quantitative plutôt que qualitative.
D'où un paradoxe, c'est-à-dire un jugement qui va à l'encontre de l'opinion reçue : certains hommes sont plus proches de l'animal, il faut trouver la différence spécifique (c'est-à-dire de l'espèce, dans le genre, dans la liberté, plutôt que dans l'entendement = faculté d'entendre, de comprendre, de saisir des idées et surtout des relations entre ces idées = juger).
argutie : argument de pacotille (ergoter) (synonyme : ratiocination)
Sophistique : dit toujours faux
Rhétorique : vise à convaincre et persuader, si possible dans la vérité
Relation mécanique ≠ relation téléologique
(schéma)
L'humanité suppose l'indépendance à l'égard de l'instinct = la faculté de dire oui ou non à une impulsion. D'où un partage entre l'univers mécanique, c'est-à-dire d'une part l'automatisme propre à un mouvement "qui s'effectue tout seul" et d'autre part, l'univers de la liberté, c'est-à-dire la faculté (humaine) de préférer (choisir = pouvoir dire je veux ceci plutôt que cela). On distinguera :
a- le mécanisme, c'est-à-dire les choses sont ainsi et non autrement
b- la téléologie, c'est-à-dire les choses sont ainsi plutôt qu'autrement
Ce que vise Rousseau : rendre compte de cette moralité qui distingue l'humanité. Moralité se prend ici en un sens enrichi (élargi) c'est-à-dire on part de l'idée des moeurs (mores) = façon d'agir, puis on arrive à une notion cardinale = la distinction et valeur (du bien et du mal). L'homme est l'être qui peut préférer le bien au mal (ou la réciproque). L'homme est libre (=non-mécanique).
Paragraphe 3 : Supposons que ce point est contesté. Il reste la constatation qui défie toute discussion. C'est le fait irrécusable de la perfectibilité.
Deux signes éloquents :
a- un animal devient très vite tout ce qu'il doit être
b- une espèce en un millénaire demeure inchangée
Moralité : l'animalité, c'est la permanence, la répétition de l'identité (spécifique). L'humanité, c'est la différence qui se déploie sans possibilité de répétition.
Question : D'où vient ce "privilège" de l'humanité qui consiste dans le risque de la chute, c'est-à-dire la dégradation, la perte d'un statut etc … ? L'animal n'en a pas à perdre (pas de liberté). L'homme en arrive presque à perdre ce qui est son propre, c'est-à-dire ce qui fait son essence, sa propriété constitutive.
L'homme vaut soit plus, soit moins que l'animal. Il a quelque chose à perdre. Ce n'est pas exactement sa perfectibilité. Elle constitue son être, elle est donc inaliénable (= ce dont on ne peut se dépouiller). On peut se déposséder de ce qu'on a, mais jamais de ce qu'on est. L'homme peut perdre un "acquis" c'est-à-dire un certain usage de sa perfectibilité.
par ex : une conquête de la civilisation, un "progrès". Une amélioration morale dans le partage, ou une maîtrise de soi qui réduit les effets de l'amour propre.
Moralité du paragraphe 3 : la perfectibilité serait cette propriété ambiguë qui fait notre force et notre faiblesse. D'un côté, elle nous permet de valoir quelque chose. De l'autre, elle nous installe dans le risque : le progrès peut-être, mais pourquoi pas la régression ou simplement la stagnation.
Paragraphe 4 : d'où vient la perfectibilité ?
Réponse : du langage. Pourquoi ? Pour former des idées générales, c'est-à-dire génériques = des concepts, il faut des mots. Ce qui nous donne accès à l'entendement :
a- acte d'entente
b- faculté d'entendre
Cela suppose que l'esprit saisit des relations entre des concepts = il peut juger = énoncer une proposition (ce qui a valeur de vérité).
NB : un terme isolé n'est même pas vrai ou faux. Il faut établir une relation pour pouvoir trancher entre vrai et faux.
Démonstration : l'animal identifie un fruit, par exemple la noix.
identifie = c'est-à-dire il est capable de reconnaître une relation : "c'est idem", c'est le même. Deux interprétations possibles :
a- il a en lui le concept de noix qui lui sert d'archétype = de modèle.
Ce serait lui prêter un esprit qu'il n'a pas, et surtout une distance à recul, une liberté face à son milieu et face à l'immédiat qu'il possède encore moins.
moralité : le singe n'a pas d'espace du dedans. Il est tout entier dans l'extraversion.
b- le singe a une mémoire fondée sur les sensations et il en retire un réflexe conditionné qui doit tout à la perception sans s'élever au niveau du concept.
L'alternative est simple, nous pouvons soit dépasser le donné (toujours individuel et unique, c'est-à-dire telle noix + telle noix + telle noix etc …) soit rester fixés sur ce donné tout comme l'animal.
L'animalité, c'est la limitation à des signes de niveau inférieur, elle part de l'intuition sensible, c'est-à-dire ce que je perçois ici et maintenant = une existence particulière, un cas unique (par ex : cette noix bien distinguée de toute autre). Cette animalité s'élève parfois à l'image, c'est-à-dire la transformation du point de départ grâce à un travail de la mémoire, un mélange de traces. Aucune image ne peut s'élever à la généralité, c'est-à-dire une exigence qui exclut toute particularité.
L'humanité a un privilège : le mot, c'est-à-dire un contour qui exclut toute particularité.
par ex : "triangle" retient une forme qui exclut le cas de l'équilatéral, de l'isocèle, du rectangle et du quelconque.
Le mot nous libère des servitudes de l'image, il extrait dans un genre d'objet tous les points communs et du coup, il rejette ce qui particularise. Il reste le concept, c'est-à-dire l'élément universel (qui concerne tous les triangles, tous les arbres etc …)
Conclusion : pour penser, il faut parler, c'est-à-dire pouvoir abstraire (= extraire un tronc commun)
NB : Rousseau doit beaucoup à une tradition anglophone (voir Locke, Berkeley, Hobbes).
Voir aussi au Moyen-Age : la querelle des réaux et des universaux. Les réaux sont les "réalistes des idées", c'est-à-dire pour eux les concepts existent réellement = hors de notre esprit.
ex : les genres et les espèces chez les vivants. Les universaux sont des nominalistes, c'est-à-dire ils pensent que toute généralité se réduit au nom (nominés) et ce nom est parfois étendu jusqu'à l'universel (par ex : une classe, un genre, une espèce).
Conclusion : les réaux traitent le langage comme un instrument (pour la pensée). Les universaux disent que le langage est tout, c'est-à-dire sans lui l'homme ne penserait pas.
Critique : le langage est homogène à la pensée c'est-à-dire ils sont de la même famille = l'ordre. Les mots distinguent des genres et des espèces. Et nous penson tout cela en organisant des concepts.
Problème : nous classons les choses grâce à des signes arbitraires c'est-à-dire le signe linguistique est immotivé (il n'éveille pas naturellement la représentation d'une chose, ou d'un souvenir.) Les mots ne sont pas des onomatopées. Ils semblent résulter de conventions et d'accords.
2- L'ordre du langage (de Saussure)
Un signe linguistique est l'unité indissoluble d'un signifiant et d'un signifié. Tous deux sont comme les deux faces d'une feuille de papier, c'est-à-dire on ne peut pas découper l'une sans l'autre.
Signifiant = image acoustique, substance sonore.
Signifié = concept à distinguer du référent, c'est-à-dire la chose visée en dehors de notre esprit.
Toute langue constitue son ordre propre, c'est-à-dire elle n'est pas la transcription, le recopiage d'un ensemble de réalités extérieures. Une langue n'est pas la traduction terme à terme du monde ou de la nature etc… Toute langue reconstitue pour le peuple son propre monde. Les "choses" n'existent pas. On prend en compte un univers de pensée.
par ex : on évoque certaines choses grâce à un signe = on leur reconnait une existence ou une spécificité. Ainsi, le français distingue bleu et vert. Mais, d'autres langues se passent de l'un de ces deux termes = il est réduit à l'autre. (dans la Grèce Antique, la mer n'est jamais bleue, mais soit d'un vert "glauque" soit la mer "vineuse".
Voir Cinq grandes odes de Claudel : "la mer aux entrailles de raisin".
= 1ère thèse de Ferdinand de Saussure : toute langue utilise des unités SA(signifiant)/SÉ(signifié). Elle les combine, mais à chaque fois le rapport du Sa au Sé est arbitraire. D'où, l'objet de la linguistique. Elle s'occupe de la langue et non de la parole.
- langue : le code impersonnel et anonyme qui vaut pour un peuple ou plusieurs mais en aucun cas pour un individu isolé ou un groupe fermé.
- parole = utilisation qu'un individu ou un groupe fait de cette langue.
par ex : un dictionnaire ou un traité de grammaire étudie la langue. Mais, tout individu sélectionne son lexique personnel et parfois il se donne un style. Ou une corporation choisit des mots à usage interne et elle en tire un argot. Il est impossible de concevoir une science de l'argot et en même temps une science de la parole.
Voir Aristote :"Il n'y a de science que de l'universel". La langue utilise l'arbitraire du signe, c'est-à-dire un fait conventionnel = le résultat d'un accord (entre locuteurs).
Convention et culture :
Peut-on expliquer le langage par des organes appropriés (à l'acte de parole) ?
Réponse de Rousseau : Non, puisque certaines espèces communiquent par la parole et que l'homme y parvient dans certains cas. On supposera donc une faculté propre à l'homme.
Le langage suppose non pas la présence contingente de certains organes mais la volonté nécessaire d'expression et de communication. Une humanité plus sommaire : elle aura un esprit moins développé mais elle pourra encore parler, c'est-à-dire exprimer et communique (il suffit d'un homme pour agir et d'un autre pour recevoir cette action).
Paragraphe 2 :
inné ≠ acquis. Les langues humaines sont toutes acquises.
Les animaux ont des langues, c'est-à-dire des systèmes de signes, des codes, parfois de simples gestes qui parlent aux yeux. D'où le caractère inné de ces langages, c'est-à-dire un montage que la nature impose à toute une espèce dans distinction historique ou géographique.
Caractéristique majeure de l'inné : l'universalité parfaite. D'où, la permanence l'invariabilité, et l'anhistorique. Tout le contraire de la perfectibilité propre à l'homme.
Les langages humains supposent la dénaturation = l'artifice = la convention c'est-à-dire un accord qui n'est pas motivé par la nature. L'homme s'arrache à la nature, il est entré dans la culture et dans l'histoire. L'animal est un produit de la nature et il se reproduit. L'homme ne se réduit pas à ce simple statut de produit . Il est aussi une oeuvre, celle de ses propres activités. Il peut se former et se déformer. Il peut progresser, par exemple apprendre ce qu'est la justice. Il peut aussi "oublier" ou détruire son apprentissage, par exemple nuire à autrui comme pour le plaisir.
Discours sur l'origine de l'inégalité :
Genèse hypothétique des langues.
Point de départ : "le cri de la nature".
par ex : dans l'expression de la douleur ou de la peur (nul besoin de supposer la communication ou une assemblée) = aucune persuasion.
2ème temps : les sociétés même sous leur forme la plus rudimentaire. Leur langage est celui de l'ordre courant (l8) : "cours ordinaire de la vie" = la satisfaction des besoins.
3ème temps : la vie sociale s'enrichit. La communication doit s'affiner et on utilise un langage mixte. D'une part, les sons vocaux, d'autre part les gestes, c'est-à-dire des communications ponctuelles et autosuffisantes.
Le geste se rapporte à ce qui se voit et décrit un mouvement.
La voix prétend imiter soir des choses, soit des pensées.
La limite du geste c'est la disponibilité immédiate de l'objet auquel il se rapporte. D'où, le problème de l'obscurité (la nuit par ex), c'est-à-dire tout ce qui limite la visibilité. L'homme doit donc se libérer de la servitude du geste.
Le texte "conclut" sur un problème insoluble. L'invention des langues, leur institution suppose non pas la nature mais la convention, c'est-à-dire un accord, un consentement proche du contrat. D'où, la notion d'une motivation. Il s'agit d'établir, c'est-à-dire passer de la nature à l'établissement. Pour cela, il faut de bonnes raisons, des justifications, des décisions fondées. Donc, des choix (de mots) qui sont arbitraires au regard de la nature mais qui cessent de paraitre arbitraires une fois qu'ils sont institués, établis.
par ex : dire cheval est en soi "arbitraire". Mais, pour un français, ce mot est motivé (par l'usage).
La vraie question est celle de la fondation première, c'est-à-dire comment concevoir une convention qui fonderait une langue ?
Réponse : cette convention présuppose une langue déjà constituée. D'où, une régression à l'infini, c'est-à-dire l'origine se dérobe à chaque fois.
Les mots ont leur raison d'être. Ils instituent un ordre sans lequel nous sommes incapables de vivre ensemble. Mais, sur quel ordre ces mêmes mots reposent-ils ? Pour nous, le sens est "dans les mots", mais, cette construction est-elle fondée ?
Solution possible : voir Platon - Cratyle :
D'une part Cratyle, pour qui les noms ont une origine "naturelle" par harmonie imitative (comme les onomatopées). D'autre part, Hermogène pour qui les noms résultent d'un accord artificiel conclu entre les hommes = une convention arbitraire. Cratyle invoque la multitude de syllabes "expressives", par exemple dans les mots qui désignent un écoulement : la présence des consonnes liquides comme le "l". Hermogène objecte la relative rareté du procédé dans la totalité de la langue. Socrate les renvoie dos à dos et invoque l'usage, c'est-à-dire le fait qu'une langue n'apparait pas (par convention). C'est une pratique qui est déjà là, comme toute la culture c'est-à-dire quand nous en parlons, tout a déjà commencé, autrement nous ne pourrions pas en parler et nous ne serions peut être pas là.
La culture est un phénomène impersonnel qui dépasse l'échelle de l'individu. Elle emporte l'observateur isolé. Elle est comme l'histoire. Pourquoi ? D'un côté, nous la décrivons, mais de l'autre, c'est elle qui nous décrira bientôt.
par ex : l'observateur de 2011 sera bientôt décrit par ses successeurs.
Le sens est dans les mots, par le fait de l'usage, c'est-à-dire la pratique inter-personnelle et anonyme.
Le sens est dans les mots = chaque mot apporte un élément sémantique et la combinaison des mots dans la phrase produit du sens.
difficulté : c'est l'usage qui fait vivre ce sens, malgré l'arbitraire du signe, c'est-à-dire malgré l'insignifiance objective de chaque mot.
Voir Saussure : "dans la langue, il n'y a que des différences … mais des différences sans termes positifs".
Supposons une langue composée d'un mot unique. Ce mot se chargerait de tous les sens, significations (= langue impraticable).
Supposons une langue formée de deux mots. Ils se partageraient à parité tous les sens.
Supposons une langue formée de 50000 mots, elle serait donc très différenciée, précise etc …. Par exemple, en évoquant une chose par le biais de plusieurs fonctions ou dans plusieurs perspectives.
Le langage est le contraire d'un ordre classificatoire.
"La langue n'est pas une nomenclature." De Saussure.
Il s'agit d'un ordre structural, c'est-à-dire autosuffisant et refermé sur lui-même. Une lange ne repose pas sur la réalité extérieure, elle récréée la réalité avec ses moyens et ses besoins propres.
D'où l'inspiration du structuralisme (Claude Lévi-Strauss) : ce n'est pas la partie qui produit du sens, c'est le tout qui donne son sens à la partie c'est-à-dire un mot isolé ne fait pas sens, c'est la totalité de la langue qui lui donne une sens. C'est la structure qui prime, c'est-à-dire les relations entre les termes (et non les termes eux-mêmes).
Voir Georges Braque : "Je ne crois pas aux choses, mais aux relations entre les choses".
(schéma)
Parler, c'est procéder à une évocation qui semble "naturelle", mais qui ne l'est pas, puisque l'arbitraire du signe suppose l'usage et même une part de convention. Un mot produit du sens, non pas par relation fondamentale (du Sa au Sé), mais par relation latérale = par opposition significative entre plusieurs signifiants, ce qui produit une différenciation entre plusieurs signifiés. L'écriture exhibe, c'est-à-dire met à nu cette caractéristique. Pourquoi ? Elle sépare les mots = elle institue des plans (significatifs) alors que la parole cultive la continuité, c'est-à-dire efface le caractère spatial de la langue. Tout langage est avant tout une grille, un crible optique.
Moralité : ce n'est pas parce que nous parlons que nous pouvons écrire. C'est parce que nos facultés peuvent constituer la grille linguistique = le moyen d'écrire que nous parlons.
Critique : le langage suppose une certaine clôture, un ordre qui ne dépend que de lui-même et du coup, il se passe du monde extérieur. Ou, du moins il simule un certain rejet. Le risque est évident, le verbalisme, c'est-à-dire la tentation de s'enfermer dans un ordre qui se substitue à la vie, à l'action réelle. Le langage continuerait du coup un ordre illusoire. Il faut réduire à l'unité la dualité qui se présente (ordre classificatoire ou structural ?)
3- Langages et ordres
idiotisme : ce qui ne peut être traduit dans une autre langue.
➞ pluralité des idiomes.
Voir la Genèse : Tour de Babel. Les hommes parlaient la langue adamique. Ils construisirent une tour pour s'élever à l'Éternel qui interrompit la construction par la "confusion des langues" = il condamna les hommes à la pluralité des idiomes (l'union fait la force, la désunion fait la faiblesse). Ce mythe présente les langues naturelles comme une sorte de chute, une imperfection, un défaut à compenser. D'où les projets de langues "parfaites" c'est-à-dire universelles avec un parti pris d'univocité (un sens par mot et réciproquement).
ex : l'esperanto.
Problème : l'enracinement local de ces modèles, c'est à dire leur subordination.
par ex : des racines (européennes) ou des phonèmes. Il y a là des obstacles pour la volonté d'universaliser.
Voir Leibniz et son projet pour contourner les difficultés "régionales".
NB : les premiers projets datent du 17ème, mais l'espéranto du 19ème, néanmoins, la critique de Leibniz vaut pour tous les cas.
Son principe est de rejeter la parole comme fondement. Pourquoi ? (elle est toujours particulière et limitative). Il reste un modèle : la logique de la langue écrite.
Recensement des écritures :
a- l'alphabet : il imite les sons de la voix en les analysant.
Pour Leibniz, c'est le pire des modèles, il reste subordonné à la voix.
b- les pictogrammes = représentation directe des choses. Problème : comment faire avec l'abstraction ?
c- les hiéroglyphes = représentation indirecte des choses (symbole).
Problème : l'ambiguité du symbole qui conduit à l'équivoque, c'est-à-dire à l'erreur.
d- les idéogrammes : par ex la Chine. On représente l'idée.
Or, cet élément conceptuel est le seul qui touche à l'universel.
Conclusion de Leibniz : le modèle idéographique est le seul à retenir.
D'où le projet d'une "caractéristique universelle". Pourquoi ? Il s'agit de faire un relevé des pensées humaines simples = indécomposables.
Pour chaque signification, on constitue un caractère et on obtient une langue écrite, c'est-à-dire la parole viendra après.
Il faut une syntaxe. On simplifiera par exemple : on supprime la distinction des genres, et la pluralité des conjugaisons et des déclinaisons. Il reste un mot très général,
par exemple : être + des adjectifs + le verbe qui permet de juger + les particules.
Le résultat escompté c'est une grande clarification. On en finirait avec les questions mal posées, donc les problèmes insolubles.
Voir les domaines où la discussion n'a pas de fin, parce que l'objet reste indéterminé.
ex : beaucoup de conversations courantes :
la morale, le droit, la politique, l'esthétique et surtout la métaphysique.
La caractéristique, c'est-à-dire une langue composée de caractères pourrait détecter les énoncés mal formés = les contradictions parfois latentes, voire incontrôlables.
Elles seraient universelles en 2 sens :
a- applicable à tous les objets (sans distinction de spécialité de langage spécialisé)
b- praticable pour tous
Mise au point sur le procès de l'écriture dans l'Antiquité et sa réhabilitation chez les modernes.
L'écriture serait aliénante, car elle nous déposséderait de notre intériorité (l7-9). Elle nous ferait dépendre d'un support extérieur.
Texte de Rousseau :
Reprise du projet socratique chez Rousseau. L'écriture aurait une raison d'être : "fixer la langue, c'est-à-dire lui assurer une pérennité". Elle devrait prévenir la dénaturation, mais en fait elle altère à chaque fois = elle la dégrade, elle la prive de sa vitalité. Elle en dissout le "génie", c'est-à-dire la spécificité et la puissance native. Elle substitue l'exactitude à l'expression. A la limite, l'écrit se rapproche d'une sorte d'algèbre et s'éloigne du champ spontané (origine de toute parole). Tout vient de l'expression, c'est-à-dire le lyrisme et tout s'expose au risque d'un assèchement collectif. Les peuples ont commencé avec l'évocation des états vécus par le sujet ce qui suppose un enracinement géographique précis et irremplaçable. Peu à peu l'écriture s'impose et substitue à cela un code anonyme, artificiel, sophistiqué et surtout inauthentique c'est-à-dire qui n'a rien de vécu.
L'écrit "énerve" la parole c'est-à-dire il la prive de son dynamisme de son retentissement. La parole c'est avant tout la présence du sujet qui vit ici et maintenant. L'écriture c'est son absence, son occultation au profit d'une existence aliénée, souvent mensongère.
Voir Platon : Socrate est l'homme de la parole vive, c'est-à-dire la voix qui est là pour défendre le sens, c'est-à-dire le protéger des déformations. Elle se suffit à elle-même alors que l'écriture a besoin d'une protection souvent absente ou déficiente. Du coup, la parole est une intériorité qui pénètre une autre intériorité.
Voir par exemple les évangiles. L'écriture reste extérieure au sujet (sur le mode de l'objectivité).
"On n'écrit pas dans âmes avec une plume". Louis de Bonald.
Deuxième texte :
Deux cas limites :
a- le chant originel qui défie toute traduction écrite
b- l'algèbre composé de signes qu'il faut lire sans avoir à les prononcer.
a- de l'essence de parole
b- de l'essence d'écriture
Rousseau développe un dualisme selon une bipolarisation. L'origine de l'expression, c'est le chant spontané, = des voyelles = les passions.
Peu à peu les besoins s'introduisent dans cet univers et avec eux une autre inspiration : la rigueur, le calcul, bref ce qui rejette le lyrisme originel et ainsi les consonnes font leur entrée. L'homme est passé de la simple accentuation à l'articulation. Et enfin, les besoins font "oublier" le chant et l'homme arrive à des codes abstraits et épurés = l'algèbre, mais aussi les langues "froides".
Pour Rousseau, les langues sont nées dans les pays chauds, c'est-à-dire méridionaux = civilisation de la fontaine. Les langues froides sont venues après coup, elles résultent de la dispersion des hommes et elles traduisent une préoccupation, un souci de protection (civilisation de la caverne et surtout du foyer).
Les Confessions - Livre III
Réhabilitation moderne de l'écriture par le même Rousseau.
"Moi présent, on n'aurait jamais su ce que je valais". Rousseau.
L'écriture ne se réduit pas à un expédient qui peut se substituer à la parole. L'écrit n'est pas un simple substitut. Il est aussi un "supplément" c'est-à-dire ce qui supplée un manque, une lacune etc ….
par ex : l'homme aimerait parler sans avoir à écrire mais la mort a raison de lui et il doit se confier à l'écrit pour transmettre ses acquis = pour fonder la culture.
Voir Pascal : Préface au traité du vide : Il faut l'écriture pour que notre histoire devienne une culture, c'est-à-dire pour que la suite des évènements produise un effet cumulatif de connaissances. L'écriture est une victoire sur la mort. Elle est aussi (voir Rousseau) un moyen de se présenter autrement et même d'exister sous la forme d'une autre vie?.
Voir la critique littéraire qui s'impose au 20ème siècle à partir de Proust - Contre Sainte-Beuve : l'écriture fait apparaitre un autre moi. Le moi qui écrit une oeuvre n'a rien à voir avec le moi qui vit en dehors de cette oeuvre.
par ex : l'homme vivant (de chair et d'os) a tel ou tel penchant.
Mais celui qui écrit se projette tout autrement et privilégie d'autres penchants.
Moralité : l'écriture dévoile et parfois elle suscite, c'est-à-dire elle éveille, elle donne une existence à ce qui resterait comme un rêve ou une possibilité.
Cas extrême : les Confessions de Rousseau, c'est-à-dire un homme qui écrit pour se dévoiler (sans risques) mais qui en fait constitue sa vie comme une oeuvre d'art. L'écriture serait non pas la médiation qui aliène, mais plutôt le supplément qui permet d'exister pleinement (et cela jusque dans la fiction).
Retour à Leibniz :
Le but constituent le calculus ratiocination = le moyen de calculer pour penser = la fondation logique des activités de l'esprit. Penser serait calculer, c'est-à-dire combiner des concepts.
NB : Leibniz entrevoit l'extension de l'idée combinatoire : la logique ancienne posait une question : étant donné un sujet, quels sont ses prédicats (attributs) possibles ?
par ex : Soit "homme" : on peut dire il est doué de raison, animal politique, animal qui rit … La logique moderne et surtout Leibniz renversent la question qui devient : étant donné un prédicat, quels sont ses sujets possibles ?
par ex : soit le prédicat "doué de raison". On l'attribuera à l'homme mais aussi aux anges et sous certaines précautions au créateur. Penser serait déployer la combinatoire de tous les prédicats possibles et éliminer les combinaisons irrecevables.
par ex : cercle carré.
La caractéristique rend possible une telle clarification. Il doit en résulter le discours le plus vrai = non-contradictoire en tout point.
1ère difficulté : l'inspiration formaliste
La vérité se mesure à la forme et non au contenu.
par ex : "il suffit qu'une idée soit possible, c'est-à-dire non-contradictoire pour qu'elle soit vraie".
Voir le cas de l'inventeur qui conçoit le plan d'une machine inconstructible mais il maintient que l'idée est "vraie".
On retrouve le problème du verbalisme.
NB : déviation possible : le solissisme c'est-à-dire la conviction que le monde extérieur n'existe pas. (moi seul existe).
Problème radical du projet leibnizien : elle présuppose une taxinomie parfaite.
taxinomie : l'image de la science et de toute connaissance par extension telle que l'Europe se la représente à l'âge classique, c'est-à-dire 17ème-18ème.
Voir le modèle des classifications en histoire naturelle :
ex : minéralogie, botanique, + plus toutes les espèces animales.
NB : cette technique du tableau dont on remplit des cases posera fin 18ème, la question d'une forme unique originelle et du coup le problème d'une évolutions des espèces. Difficulté majeure : savoir bien découper = distinguer genre, espèce, individu.
Voir Condillac, vers 1750 : "La science n'est qu'une langue bien faite" c'est-à-dire connaître, c'est savoir nommer. Or, trouver un nom n'est jamais facile.
par ex : quand on veut traduire la composition de ce qu'on nomme.
ex : faut-il dire loup ou chien-loup ?
Radicalisation avec la difficulté : en apparence la science utiliserait des noms pour progresser dans la connaissance, mais en fait, cette même science présuppose une foule de connaissances (dans les noms qu'elle utilise).
Voir Descartes - 1629 - Lettre à Mersenne :
Descartes écrit avant Leibniz mais sur un projet de langue universelle (la question agite les esprits depuis la fin 16ème).
"Je crois que l'innovation de cette langue dépend de la vraie philosophie".
Il faudrait tout savoir et tout comprend pour élaborer une langue universelle.
Point fort de l'argument : il suffirait d'ignorer une chose pour que tout le reste soit faux. Une langue parfaite exige l'omniscience.
Voir Cournot : vers 1860 : une langue universelle surtout faite de caractères serait peut être la pire des langues. Le projet est non seulement irréalisable mais aussi peu convaincant. Les langues naturelles sont des totalités organiques et vivantes c'est-à-dire chacune à son histoire et parvient à compenser l'arbitraire du signe par l'usage = ce qui paraitrait contingent est devenu nécessaire (par le jeu structurel des lexiques = l'économie de la langue). Une langue est une sagesse que l'histoire a modelé. Chaque élément a acquis sa raison d'être. L'artificiel est devenu naturel. Toute langue est avant un "génie" c'est-à-dire ingenium = une naissance très longue et même interminable = le seul vrai dénominateur commun d'un peuple
(schéma).
(…)
… de combinatoire
ex : les genres qui varient d'une langue à l'autre :
der Mond / die Sonne / die Liebe / der Tod
Il est impossible de traduire un poème de Goethe qui montre un soleil féminin et une lune masculine. "Traduction, trahison" mais en même temps chaque langue est un univers (de pensées, de sensations, de goûts de saveurs …)
Pourquoi le modèle politique est aussi propre au langage que le modèle logico-mathématique ?
Argument majeur : l'origine des langues ne se trouve pas dans le calcul mais dans l'affectivité c'est-à-dire les sentiments et les sensations. (les passions).
Chapitre II :
Paragraphe 1 :
Les besoins ont dispersé les hommes, c'est-à-dire ils les ont contraint à chercher de plus en plus loin leur substance. Cette dispersion ne poussait pas communiquer, ce qui rassemblait c'était l'expression des états affectifs, leurs échanges, leur communication.
On a commencé par le lyrisme = une langue de poète et après, beaucoup plus tard, on a parlé en géomètre.
Conclusion du paragraphe : on a commencé par le vif et le figuré, puis on est passé au méthodique, au raisonné, au didactique qui dit déjà comment on peut enseigner une pratique, une chose etc …
Paragraphe 2 :
L'origine de l'expression, c'est le sentir. Les gestes se rattachent à l'univers du besoin et ils agissent comme des signaux c'est-à-dire ils commandent une action. La parole met en jeu une résonance particulière du présent. Le geste appelle une réponse immédiate. La parole déploie ses effets dans le temps.
Paragraphe 3 :
Les conduites humaines s'expliquent par deux principes :
a- les besoins au sens strict = les besoins physiques
b- les besoins au sens large = besoins moraux qu'il vaut mieux appeler d'un terme spécifique : les passions.
Un seule point commun : dans les deux cas, le manque demande à être comblé (satisfaction). D'où une séparation entre deux types d'activité :
- d'une part la cueillette, la chasse , etc …
- d'autre part "émouvoir un jeune coeur" donc déclarer son amour mais aussi le sentiment de pitié (qui fait pendant au mouvement d'expansion évoquée auparavant : l'amour de soi vécu par l'attachement à autrui).
Conclusion du paragraphe : l'origine des langues : le chant spontané et l'expression de ce qu'on sent au premier degré et de façon immédiate.
Parler en poète c'est ne pas opposer les mots et les choses : dire que la "chose" est en nous, puisque que ce sont les mots qui font les choses. Ce sont nos émotions qui parlent, et les mots donnent l'existence à des êtres, le langage. Une langue n'est pas le recopiage d'une réalité extérieure et du coup le premier langage a déjà une réelle maturité. Il ne vise pas à l'objectivité, c'est-à-dire à cerner des objets. Il veut dire de quoi le moi est fait = exprimer un monde, un espace affectif, bref une vie immédiate, une expérience faite de simples rencontres par opposition au raisonnement et à la "vérité" prise au sens prosaïque = quasi scientifique.
Chapitre 3 :
Paragraphe 1 : Thèse : le premier langage ne vise pas à l'objectivité, c'est-à-dire il énonce plutôt un état d'âme, un état du moi. La notion de "vérité" n'est pas la préoccupation initiale. On s'intéresse d'abord à l'expression, c'est-à-dire à l'extériorisation (brute). Le "vrai nom" (l5) suppose que l'homme a formé l'idée de vérité = un accord entre l'esprit et la chose même. Or, à l'origine la chose même n'est pas extérieure au sujet. Elle est dans son expérience.
Paragraphe 2 : difficulté : il faudrait soutenir un paradoxe très violent : les figures de sens, c'est-à-dire les tropes ne viendraient pas d'un écart c'est-à-dire d'une liberté que nous prendrions par rapport à la prose. Nous aurions commencé par des images et non par un "langage objectif". Or, l'image suppose déjà un mot. Et ce mot a un sens (privilégié).
Question : Comment expliquer qu'on applique un mot à une idée qui ne convient pas ?
par ex : pour dire l'amour fou, on préfère dire flamme. Or, flamme est avant tout une r"alité physique et "objective". On supposerait donc que tout a commencé par flamme au sens objectif. Rousseau relève le défi.
Paragraphe 3 : exemple : tout commence par une "rencontre" = une expérience au sens le plus primitif. Nous en sommes au 1er degré = ce qui frappe notre affectivité. Du coup, nous ne distinguons pas l'objectif du subjectif c'est-à-dire nous vivons dans l'illusion et rien ne nous détrompe.
par ex : un homme isolé voit un groupe approcher et il croit à une supériorité physique écrasante. Il parle de "géant" mais pas encore d'ogre. Pourquoi ? Il décrit ce qu'il ressent (l2 : "frayeur") et il procède par hyperbole, c'est-à-dire par exagération.
Conclusion : pour le sauvage il n'y a pas de métaphore c'est-à-dire il nomme tout ce qu'il vit de façon directe = vécue aussi bien par le corps que par l'esprit.
ex : l'amour fou est ressenti comme une chaleur extrême, ardente. D'où l'expression d'une flamme qui consume.
Soit un énoncé comme "je t'aime" : il est remarquablement abstrait. Pourquoi ? Il présuppose un sujet déterminé (je) qui vise un interlocuteur (tu,te) et il utilise un verbe de sens très général.
Conclusion : Rousseau veut dénoncer ici une illusion de rétrospection = la tendance à parler du passé à travers le présent = on projette sur une période lointaine des traits, des caractéristiques, des modes de vie propres à notre expérience actuelle.
par ex : Socrate qui se sentirait "homme de l'Antiquité" ou encore Sait Thomas qui se percevrait comme philosophe du Moyen-âge.
La rétrospection c'est le discours tenu après coup mais selon une perspective faussée = les choses n'apparaissent plus dans leur devenir réel. Elles sont prises comme du devenu, c'est-à-dire du figé qu'on peut percevoir de façon aberrante.
Retour au texte : Rousseau veut limiter les prétentions de l'homme "civilisé" pour qui le premier langage souffrirait "d'immaturité". Pour Rousseau, la première expression ne manquait de rien, elle était déjà tout ce qu'elle avait à être. Elle disait parfaitement ce qu'elle "voulait dire".
Voir la mise au point d'André Breton en 1930 :
André Breton rappelant les droits de la parole poétique à propos d'une remarque mal venue sur Saint Pol Roux ("mamelle de cristal" pour bouchon de carafe). Un lecteur imprudent lui ayant prêté l'idée d'une signification cachée ("Saint Pol Roux a voulu dire") Breton met les choses au point et rappelle qu'on ne peut pas traduire une image en prose, c'est-à-dire elle est irréductible. "Non monsieur, Saint Pol Roux n'a pas "voulu dire", car s'il avait voulu dire, il aurait dit".
Conclusion : Il n'y a pas dans le langage un ordre privilégié. La modèle de l'univocité a sa légitimité mais la parole poétique n'est pas moins légitime. Elle appartient sans doute de façon originaire à l'expression, c'est-à-dire au logos, volonté de signifier (donc de parler ou raisonner).
Quel est le propre de l'homme ? Réponse : selon Kant, la faculté de penser ne fait qu'un avec l'aptitude à dire "je". Et du coup, elle nous distingue des animaux. On peut se demander si, l'acte de langage ("dire" se réduit ici à une simple activité de pensée.
Le texte semble se distribuer autour d'un pivot. Kant, par une description analytique de la subjectivité ("dire je"). Ce premier paragraphe conduit à identifier la pensée à l'entendement (l12). Une objection apparait alors par déplacement de l'axe. Le paragraphe 2 ("dire je") porte sur l'entrée tardive dans un énoncé bien différent des autres.
Point de départ : un abîme sépare l'homme de l'animal. Le premier n'est pas une forme plus accomplie du second. L'homme n'est pas un "sur-animal". Il faut y voir une différence de nature et non de degré ("infiniment au dessus de"). Cette supériorité tient à une faculté (l1 le verbe pouvoir : "puisse"). Il s'agit non pas de la représentation en général mais d'une représentation privilégiée. Ce n'est pas le moi, c'est-à-dire un simple fait psychologique, une série d'états d'âme, c'est ce qui permet de juger par opposition à la "simple vie" (l2), pure activité biologique. Le Je signifie la personnalité, le statut d'une personne, d'un être qui peut selon tous les autres répondre de ses actes. Le Je n'est donc pas irresponsable, c'est-à-dire incohérent jusqu'à la "folie". Ce Je se tient par un fil conducteur, une certaine existence logique, celle de la non contradiction. D'où, "l'unité de la conscience" (l3-4) malgré l'imprévisibilité qui affecte la succession de ces états. Notre conscience est supposée uni-indivisible. On ne prête par à un individu deux consciences successives, sauf cas pathologique.
par ex : une maladie qui altère la personnalité en la rendant méconnaissable. D'où la notion de conscience psychologique qui se double d'une conscience morale. Une "personne" est considérée comme sensible au respect. On lui prête une connaissance des valeurs morales et ainsi l'unité psychologique fait corps avec la responsabilité = la faculté de se conduire, d'agir selon une conduite qui peut être qualifiée moralement et juridiquement.
D'où la notion de conscience morale : l'homme possède une conscience (psychologique) et du même coup, nous lui prêtons une conscience (moral) = la faculté de juger ses propres actes, ses décisions etc et de les qualifier. La responsabilité réside dans le statut de l'animal qui n'a pas un simple comportement, mais une conduite, une action imputable (= susceptible d'être imputée à un sujet plus un sens au regard des valeurs morales et juridiques.
Voir (l7) : "les animaux sans raison" c'est-à-dire les espèces qui ne se prescrivent pas des fins autrement que par la nature, c'est-à-dire l'instinct et les impulsions immédiates.
Il y a là une hiérarchie, l'homme est au sommer puisque sa liberté ne peut être soumise. L'animal se réduit à une "chose", c'est-à-dire ce qu'on peut utiliser simplement comme un moyen.
NB : Ce traitement appliqué à l'homme se nomme esclavagisme.
Voir Autrui II : l'homme suscite le respect c'est-à-dire la relation d'une liberté à une autre liberté (l'animal peut inspirer de l'affection etc …)
Le Je est implicite chez l'homme (voir l7-12)/
par ex : en latin la désinence ; le cogito.
Le Je c'est l'entendement en personne, c'est-à-dire la faculté de penser (l12). Le Je se distingue du moi. Pourquoi ? Le moi est une suite observable, empirique d'états d'âme. Le Je échappe à toute observation c'est une pure faculté. Elle établit des relations entre les états (d'âme) ou des pensées, ou des concepts. Elle les forme, c'est-à-dire elle les "conçoit".
Problème : Kant ne dit pas en quoi l'acte de dire Je est indiscernable de l'entendement. L'entendement forme des concepts, c'est-à-dire des abstractions.
Concept : cum caper : il prend ensemble tous les individus d'une classe (dans un genre ou une espèce). Il s'agit alors d'extraire les points communs = rejeter les éléments particuliers, ceux qui appartiennent à une partie ou à un seul individu. L'entendement extrait l'universel ("tous") et il obtient l'abstraction = un moyen pour penser = pour domine la réalité (diverse et inépuisable).
NB : l'ambivalence de l'abstraction :
- d'une part elle nous donne du recul et de la distance pour produire la pensée, c'est-à-dire le moyen de concentrer de façon schématique quelque chose qui pourrait nous échapper. Ainsi, le concept nous permet de saisir l'unité du multiple = il prélève l'identique dans une masse de différences. Il faut abstraire pour entrer dans l'humain = échapper à l'animalité. L'abstraction fait donc les moeurs du genre humain, c'est-à-dire l'animal vit dans son milieu naturel immédiat, il ne fait qu'un avec ce cadre qui le conditionne. Mais l'homme prend ses distances grâce à l'abstraction.
Voir Bergson : L'évolution créatrice - 1907 :
"C'est l'herbe en général qui attire l'herbivore. Ce n'est pas le concept d'herbe". L'animal réagit selon un schéma stimulus/réponse. D'où aucune autonomie. L'homme forme des concepts, c'est-à-dire il se crée un espace du dedans, celui de sa représentation. Il a une intériorité.
- d'autre part, cette même abstraction nous expose à des déconvenues. Notre esprit s'expose à une déconnexion, comme si le concept s'interposait entre la réalité et notre disponibilité, notre liberté, notre ouverture au réel et à sa complexité. L'abstraction nous livre du simple = du "sans parties". D'où le risque de simplisme c'est-à-dire le simple qui devient réducteur c'est-à-dire qui ravale le supérieur au rang de l'inférieur (le riche est rabattu vers l'indigent). Le concept devient vite schématique au sens péjoratif = une forme privée de son contenu, une vision globale mais grossière et indifférente aux détails.
Voir Shakespeare - Hamlet - 1601- Juste après l'apparition du spectre.
"Il y a infiniment plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en a rêvé votre philosophie".
Méfiance typiquement anglophone à l'égard de l'abstraction (toujours pauvre au regard de la réalité).
Abstraire, contient un cas particulier = s'abstraire c'est-à-dire se poser à part (se séparer du milieu naturel) et peut être du "monde" c'est-à-dire des autres et de l'histoire. Dire Je suppose la réflexion, la conscience de soi d'où la difficulté qu'évoque le paragraphe 2.
Paragraphe 2 : dire Je c'est aussi se confier à un mot. Un processus de pensée conduit à un procès de langage. Kant présente un fait troublant : l'acte linguistique (de dire Je) suppose un murissement, une maturation. Le Je connait une genèse dans notre faculté de parler. Il n'est pas donné immédiatement, il faut y accéder (par des médiations).
Voir l13-21 : la compétence linguistique reste inachevée, incomplète pendant près d'un an avant d'accéder à la première personne du singulier.
Explication possible : l'enfant parlerait mais il continuerait à baigner dans l'affectivité sans s'élever à l'intellect pur. D'où une abstraction incomplète. Explication très douteuse. Pourquoi ? Je n'est pas un mot comme les autres. Il est plus facile d'utiliser la troisième personne. Pourquoi ?
a- le prénom agit comme un pur nom propre.
b- le "il" ou "elle" agit plus ou moins comme un nom commun.
Le Je est découvert plus tard comme une synthèse paradoxale.
- D'une part, ce serait plutôt un nom commun et même beaucoup plus étendu que Karl. Il a quelque chose d'universel.
- D'autre part, Je agit comme un nom propre, c'es-à-dire à chaque fois que Karl dit, je signifie Karl.
Je identifie le sujet et l'objet de l'énonciation, c'est-à-dire c'est le même qui parle et dont on parle. Je est par excellence le mot de l'identité, c'est-à-dire Je signifie toujours "je = je".
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