mercredi 8 juin 2011

Les mères hitchcockiennes

Travail de Barbara pour le dossier d'audio lourd.

Les mères hitchcockiennes

            On parle souvent des blondes, des criminels ou encore des jeunes premiers à propos des films d'Hitchcock. Néanmoins, il est intéressant de s’attarder sur  le personnage de la mère, également présent. Rarement elles sont identifiées par un prénom ou un nom, elles existent plus comme un personnage type qui joue un rôle. La plupart du temps, l'image est négative voir malsaine mais nous étudierons plus précisément les modalités de la relation qui les lient à leur enfant,
Tyrannie, infantilisation, jalousie,folie... sont les motifs qui étant récurrents feront l'objet de cette étude

Une mère autoritaire:
           
            L'image du « tyran » chez la mère revient plusieurs fois. Dans un premier temps on peu l'observer dans La Mort aux Trousses, les rapport entre Roger Thornhill et sa mère sont restés très enfantins. Le héros doit des comptes à sa mère et semble vouloir se justifier en permanence. En face, sa mère est peu réceptive et cela est sans appel. Elle ne cesse de le juger. On peut le voir lorsqu'elle fait une réflexion sur le goût de Roger pour l'alcool, ou encore lorsqu'elle lui demande de payer l'amende pour la conduite en état d'ivresse. Le héros considère donc sa mère comme un juge qui doit lui dire quoi faire.

            L'un des films où cela semble le plus apparent est sans doute Les Enchaînés. Bien que Sebastian soit le criminel de l'histoire, sa mère se montre particulièrement autoritaire. Elle lui fait part de ses soupçons envers sa future belle-fille, Alicia Huberman, comme-ci cela devait suffire à son fils pour ne pas se marier. On sent d'ailleurs dans tout le film que si Sebastian n'est pas effrayé par sa mère, il attache néanmoins énormément d'importance à ce qu'elle pense. Ainsi lorsqu'il découvre que sa femme est en fait une espionne américaine, il s'empresse d'aller consulter sa mère. Celle-ci lui suggère d'empoisonner doucement Alicia et bien évidemment Sebastian approuve. Elle prend alors le commandement des opérations. C'est elle qui donne le poison à Alicia, en le versant dans son café.
L'aspect tyrannique de la mère ressort aussi grâce à sa gestuelle. En effet, lorsque Sebastian lui apprend qu'Alicia est une espionne, elle prend une cigarette, geste masculin à l'époque. Ou du moins, lorsque les femmes fumaient, c'était un signe d'indépendance (on retrouve cela dans la fameuse scène du wagon-restaurant dans La Mort aux Trousses, lorsque Eve Kendall allume sa cigarette).

            Nous pouvons aussi parler de la mère dans Les Oiseaux. En effet, celle-ci se montre particulièrement hostile aux choix de son fils. Elle a sa propre indépendance et on peut voir qu'elle a ses propres amis. Mitch Brenner a du mal à prendre de la distance vis à vis de sa mère. Il l'a prise en partant de son village mais il reste comme obligée envers elle. Lydia Brenner est une mère ayant une forte personnalité qui s'impose à toute la famille. Voilà pourquoi nous pouvons la qualifié de mère autoritaire.

            Enfin et surtout, nous nous devons d'aborder Psychose. Prenons la mère telle qu'Hitchcock nous la laisse imaginer avant la révélation de la schizophrénie de Norman Bates. Dans ce film, le fait que Madame Bates soit un tyran est évident. Elle est particulièrement exigeante avec son fils. Le ton qu'elle utilise paraît presque sans sentiment comme si elle méprisait Norman qui lui pense qu'il fait tout pour lui plaire. On peut voir tout au long du film son côté autoritaire, par exemple lorsque Norman invite Marion Crane à manger chez lui et que sa mère refuse que la jeune femme vienne. Il est donc contraint de proposer à Marion de manger dans son bureau au niveau de l'hôtel. La mère de Psychose apparaît donc comme l'une des mères les plus autoritaires avec son fils. Leur relation mère-fils en est presque dénaturée pour devenir une relation tyran-sujet. D'ailleurs dans sa folie Norman est totalement soumis à sa mère.


Une mère infantilisante :

            Dans beaucoup de ses films Hitchcock installe une relation très enfantine entre la mère et son fils. Dans La Mort aux Trousses, cet aspect est particulièrement mis en avant entre Roger Thornhill et sa mère. Ainsi le héros entretient une relation de dépendance avec sa mère. Il se conduit avec elle comme un petit garçon alors qu'il a largement l'âge d'être indépendant. sa mère sont restés. Le héros doit des comptes à sa mère et semble vouloir se justifier en permanence. Le héros considère donc sa mère comme un juge qui doit lui dire quoi faire.  Lorsqu'il est mis en prison pour conduite en état d'ébriété, le seul appel qu'il passe est à sa mère pour qu'elle vienne le chercher. comme  le ferait un enfant après une retenue à  l’école. Le personnage de Roger Thornil est enfantin. Ainsi   son comportement avec le médecin, ou lorsqu'il essaye de marcher droit, cela ressemble plus à un jeu d'enfant qu'à autre chose. On retrouve cette idée lorsque le héros emmène sa mère à Glen Cove pour prouver, aux inspecteurs mais aussi à elle, qu'il est innocent. Sa mère le considère comme un enfant qui fait tout pour cacher sa bêtise. Elle lui dit « Pay the two dollars » pour lui faire comprendre qu'elle pense qu'il a mis tout cela en scène uniquement pour échapper à l'amende.
Un autre point qui ramène Roger au statut de petit garçon est la façon dont sa mère ne cesse de le tourner en dérision. Notamment dans la scène de l'ascenseur lorsqu'elle demande de façon presque désinvolte aux criminels s'ils en veulent à son fils. Elle traite également Roger comme un enfant devant les policiers du commissariat.
Enfin le héros de La Mort aux Trousses amène sa mère presque partout où il va. Cela montre la dépendance du petit garçon envers sa mère malgré son âge « avancé ». Bien évidemment sa mère le suit mais semble être une maman qui doit jouer à un jeu pour son fils, elle montre souvent son agacement.

            On peut également parler de L'inconnu du Nord-Expresse. En effet, on peut retrouver cette relation mère-fils importante. Bruno déteste son père, sa mère est là pour faire intermédiaire. Cela peut d'ailleurs rappeler les sentiments qu'Hitchcock entretenaient avec ses parents puisqu'il s'entendait particulièrement bien avec sa mère mais avait en revanche peur de son père, du moins d'après les rumeurs. Aussi la mère de Bruno le défend comme s'il était un petit garçon. D'ailleurs quand Anne veut intervenir par rapport à la conduite de Bruno elle va voir directement la mère de celui-ci. Celle-ci réagit d'ailleurs comme s'il s'agissait d'un petit garçon et tente de rassurer Anne.

            On peut plus ou moins retrouver cette infantilisation dans les relations que Sebastian entretient avec sa mère dans Les Enchaînés. En effet, il lui demande conseil comme un petit garçon penaud qui vient de se rendre compte qu'il a fait une  bêtise. 

            Dans le film Pas de Printemps pour Marnie, la relation de l'héroïne avec sa mère est très importante. On retrouve l'infantilisation : Marnie veut sans cesse impressionner sa mère et elle pense gagner son affection en lui envoyant de l'argent qu'elle a volé.  Elle est toujours à la recherche de la moindre tendresse  et se comporte comme une enfant en sa présence. Elle se sent même en compétition avec une petite fille, Jessie, que sa mère garde. Tout le traumatisme de Marnie est lié au fait que la jeune femme pense que sa mère la méprise. Lorsqu'elle lui en fait la remarque elle s'excuse après comme une enfant qui viendrait de faire une bêtise. Sa mère plus tard lui fait d'ailleurs la réflexion d'arrêter de faire son enfant lorsque Marnie est effrayée par l'orage.

            Enfin on peut faire une brève remarque sur le personnage de Rusk dans Frenzy. En effet celui-ci déteste toutes les femmes à un tel point qu'il leur fait subir un sort atroce. Néanmoins sa mère, qui n'apparaît que très brièvement, semble être la seule femme qu'il aime. En effet il la présente au héros avec des termes élogieux. Comme un petit garçon, il est tout excité que sa mère vienne lui rendre visite.

            Les relations maternelles sont donc un moyen de ramener le personnage au rang d'un petit enfant. L'absence de reconnaissance, de confiance et le perpétuel jugement sont les motifs récurrents de l'infantilisation.

Une mère envahissante :

            Dans La Mort aux Trousses, Roger est très lié à sa mère malgré son âge, ils se voient tous les jours. Une de ses premières préoccupations est de savoir comment il pourra prévenir sa mère pour le théâtre. C'est d'ailleurs à cause de cela qu'il est pris pour Georges Kaplan. Au début du film Roger est un personnage fade et sans grand intérêt. Plus il est avec sa mère plus il devient ridicule. Fort heureusement pour lui il connaît une remarquable évolution qui s'effectue avec douceur. Au début du film, on apprend qu'il a déjà été marié et divorcé, par conséquent sa mère semble être la seule femme qu'il puisse garder au près de lui. Mais le pauvre Roger rencontre la diabolique Eve Kendall au cours de sa recherche de la vérité. Celle-ci lui permet de se détacher doucement de l'emprise maternelle. Il prend son indépendance, il entre dans le personnage de Kaplan sans concerter sa mère et prend son envol. On peut donc dire que sa relation avec sa mère évolue à son avantage dans le sens ou il devient enfin indépendant. A la fin du film il trouvé le bonheur, il est marié, il a perdu sa fadeur du début. On observe d'ailleurs que la mère est très présente au début du film et que tout doucement elle s'éloigne de lui. D'abord en ne le croyant pas, puis physiquement Roger s'est défait de l'attachement maternel et peu désormais commencer sa nouvelle vie.

            Dans Les Oiseaux c'est la mère qui a du mal à se détacher de son fils. Lui, a manifestement prit son indépendance. Néanmoins, elle refuse de le voir partir et lui voue un amour presque malsain tentant de ruiner toutes les relations que son fils peut avoir avec une autre femme. Malgré tout elle aide son fils à soigner Melanie Daniels qui s'est faite presque dévorées par les oiseaux.

            Dans l'Inconnu du Nord-Expresse et Les Enchaînés, on peut remarquer que la relation avec la mère est entretenue par le fait que Bruno et Sebastian vivent tout deux encore avec leur mère. Leur relation reste donc très forte. Si l'une semble tout comme son fils légèrement folle ou ayant un caractère assez léger, l'autre s'impose réellement dans la maison et dans la vie de son fils. En effet la mère de Sebastian tentera jusqu'au bout d'aider son fils à s'en sortir. Malheureusement pour ces deux hommes, ils n'auront pas l'occasion de se détacher de leur mère ou même dans avoir envie.

            Nous devons bien évidemment parler de la relation que Norman Bates entretient avec sa mère, où du moins selon lui. Grâce au psychologue à la fin, nous apprenons que Norman a passé la plupart de son temps seul avec sa mère. N'acceptant pas qu'elle voit un autre homme il décide de les tuer tous les deux. Bien évidemment il ne peut supporter de ne plus avoir sa mère et ainsi commence son délire. Maintenir l'illusion que sa mère est vivante est essentiel. Il n'arrive donc pas à se détacher de la relation qu'il a put entretenir avec elle. Le voilà maintenant mère et fils. Plus le film passe et plus Norman perd sa personnalité pour prendre celle de sa mère. Il va tenter de penser à sa place, être l'auteur de conversations fictives et surtout il va finir par être habité par sa mère. Dans Psychose le fils n'arrive donc pas à se détacher de sa mère mais au contraire, elle prend possession de lui. Bien évidemment, elle finit par l'emporter. Il perd totalement son identité pour prendre celle de sa mère. A la fin, il se parle comme s'il était la mère et entretient l'illusion que c'est son fils qui va aller en prison et non lui. Malheureusement pour lui c'est bien la même personne. Ce film montre donc que contrairement à Roger dans La Mort aux Trousses, Norman ne parvient pas à se détacher de la relation qu'il croit entretenir avec sa mère , la relation filiale devient possession destructrice..

            Dans Pas de Printemps pour Manie l'évolution de la relation entre la mère et la fille est différente.  L'héroïne en souffre  énormément du manque de tendresse de sa mère. Elle va jusqu'à commettre un meurtre pour sa mère qu'elle aime tendrement. La jeune femme est néanmoins persuadée que sa mère n'a aucun sentiment à son égard malgré les efforts qu'elle fait pour lui plaire. L'évolution dans ce film est positive mais pas par un détachement. Au contraire, à la fin Marnie apprend que sa mère l'aime passionnément. Elle peut alors commencer à guérir de son traumatisme. L'évolution de la relation mère–fille apparaît donc bénéfique. La mère n'est pas trop présente comme dans beaucoup d'autres films d'Hitchcock. Voilà pourquoi la petite fille qui sommeille en Marnie souffre énormément. Heureusement, grâce à l'aide de son mari, elle se rappelle de son traumatisme et prend alors conscience que sa mère l'aime. Libérée, elle peut ainsi tenter de commencer une nouvelle vie, honnête.

            Pour conclure, le pouvoir de la mère sur la vie de l'enfant augmente selon la proximité que l'enfant entretient avec elle. Roger Thornhill s'émancipera grâce à Eve Kendal, Norman lui n'aura aucune issue.

Le sentiment de jalousie:

            De nombreux films d'Hitchcock parlent de la jalousie entre la mère et l'enfant. La plupart du temps, cette jalousie est un poids douloureux à porter pour l'un comme pour l'autre. Ainsi dans Les Oiseaux, Lydia Brenner ressent un amour inconditionnel pour son fils, devenant presque malsain. Depuis la mort de son époux, elle se sent abandonnée. Quand Mitch décide de partir à San Francisco elle se dit délaissée. Lorsque son fils ramène une femme pour la lui présenter, elle apparaît hostile. C'est ce qu'explique l'institutrice, Annie Hayworth, ancienne petite amie de Mitch. Lydia devient amicale avec Annie que quand celle-ci est séparée de son fils. Dans Les Oiseaux le personnage de la mère se définit presque uniquement par la jalousie qu'elle entretient envers toutes les femmes qui plaisent à son fils. Cette jalousie est totalement inconditionnelle. Elle pense que son fils ne devrait pas avoir besoin d'une autre femme. Mais surtout cette jalousie est totalement infondée puisque Mitch aime profondément sa mère. Il n'a jamais eu l'intention de l'abandonner et revient la voir tous les week-ends. Certains critiques vont jusqu'à penser que les attaques des oiseaux sont liés à la terreur de Lydia de voir son fils avec une autre femme. Cette mère possessive parviendra toutefois à accepter Melanie Daniels et aidera son fils à la soigner après l'attaque du grenier.

            Dans Pas de Printemps pour Marnie, c'est la jeune femme qui est jalouse. La mère de l'héroïne garde des fillettes pour gagner de l'argent. Marnie, qui pense que sa mère ne l'aime pas, ou en tous les cas n'a aucune tendresse pour elle, est folle de jalousie en particulier à l'égard de Jessie. Elle réagit d'ailleurs très mal quand sa mère lui apprend qu'elle veut proposer à Jessie  d'emménager  chez elle. La mère de l'héroïne lui répond alors qu'elle est ridicule d'être jalouse d'une enfant.  Souvent, la mère compare sa  fille à Jessie, en disant, par exemple, qu'elles ont les mêmes cheveux. Elle apparaît plus tendre avec les autres enfants qu'avec sa propre fille. Marnie, dans ses mensonges, dira de Jessie qu'elle est une méchante cousine qui veut lui prendre de l'argent.
Régulièrement, Marnie envoie de l'argent pour que sa mère puisse arrêter de travailler mais celle-ci répond qu'elle fait cela pour le plaisir  ce qui attise la jalousie de la jeune femme. L'argent (volé puis donné) est pour Marnie le moyen de se rassurer et de récupérer l'amour maternel.

            Enfin nous parlerons de Psychose. La jalousie entre la mère et le fils est presque le point le plus important de leur relation. Depuis la mort du père de Norman, l'enfant et plus tard le jeune homme est seul avec sa mère. Lorsque celle-ci rencontre un homme, le fils ne peut l'accepter. Sa jalousie l'amène jusqu'au meurtre de sa mère et de son amant.
La « mère » apparaît extrêmement jalouse puisqu'« elle » assassine toutes les femmes que Norman apprécie. Le psychologue, à la fin du film, explique que Norman étant jaloux de sa mère pensait qu'elle l'était également de lui. Voilà pourquoi quand il « devient » sa mère il assassine toutes les femmes que lui, Norman, désire.
Dans ce film on peut presque parler d'amour œdipien. Norman est jaloux et tue le prétendant de sa mère puis s'invente une relation  mère-fils privilégiée et exclusive.

La Folie

            De nombreux films d'Hitchcock parle de la folie d'un des personnages. Il est intéressant de voir que cette folie est souvent liée de près ou de loin à la relation de l'enfant avec sa mère?

            Dans Pas de Printemps pour Marnie  les délires de l'héroïne sont directement liés aux rapports qu'elle entretient avec sa mère. On ne peut pas encore parler de folie dans le sens psychiatrique du terme mais d'obsession. La jeune femme est hantée par le crime qu'elle a commis et dont elle ne se souvient pas. Ce meurtre est lié à sa mère puisque l'héroïne ou du moins la petite fille a agi en pensant la protéger.  Pour Marnie adulte, cela génère de nombreux cauchemars ou des phobies inexpliquées comme la peur de l'orage et de la couleur rouge. Surtout, la jeune fille fait des cauchemars violents la nuit. L'impression récurrente est qu'elle doit protéger sa mère car « ils veulent du mal à maman ».
Enfin, on sait que Marnie ne supporte de se faire toucher par un homme. Son mari en cherchant la raison comprend que cela a un rapport avec sa mère. En effet celle-ci était une prostituée. C'est d'ailleurs l'un des hommes que sa mère ramène à la maison que Marnie tue. La jeune femme est donc traumatisée par l'ancienne profession de sa mère, Elle ne supporte aucun contact qui lui rappelle les « baisers » du client qu'elle a assassiné. La scène du crime reste gravé dans l'inconscient de Marnie mais privée d'explications par sa mère qui pense la protéger, la jeune femme reste seule avec ses délires. 

            C'est sans doute dans Psychose que la folie du fils est la plus criante. En effet, Norman est schizophrène, étant parfois sa mère et parfois plus ou moins lui. Sa mère est donc la raison de sa folie puisqu'il ne supporte pas de l'avoir tué, mais elle apparaît également comme l'objet de sa folie. Le Norman le plus normal pense que c'est sa mère qui est folle, il déclare qu'elle a « quelques moments de folie » mais que cela arrive à tout le monde. Il est persuadé que sa mère est égoïste et qu'elle le laisse toujours réparer ses instants de folie, comme quand il doit s'occuper du corps de Marion. Il croit même devoir la protéger, par exemple quand il va cacher sa dépouille dans le cellier.
Le Norman, quand il est sa mère, donc dans sa folie la plus complète, juge que c'est son fils qui est fou. En effet, dans la dernière scène, on voit Norman devenu totalement sa mère qui déclare que c'est son fils (donc en fait lui-même) qui est fou. Norman ne peut accepter sa folie et ainsi il change de personnalité pour éviter de s'y confronter, tantôt la rejetant sur la mère, tantôt sur le fils.
La folie de Norman est exclusivement liée à sa mère. Celle-ci connaît plusieurs étapes comme nous l'avons vu. Le Norman qui s'occupe de sa mère folle, le Norman et la mère en même temps, par exemple lorsqu'ils ont des discussions, et enfin la mère le Norman qui se perd complètement.

            Dans une moindre mesure, on peut parler de L'inconnu du Nord-Expresse et de Frenzy. Dans ses deux films, les fils Bruno et Rusk sont fous. Dans Frenzy l'apparition de la mère ne dure quelques secondes, néanmoins elle révèle que la mère de Rusk ne se rend pas compte de la folie de son fils. Or, elle pourrait peut être être la seule personne qui canalise son fils mais elle ne fait rien par ignorance. Dans L'inconnu du Nord-Express, on retrouve   cette idée. Manifestement Bruno aime beaucoup sa mère mais celle-ci ne veut pas voir que son fils a un problème, elle pense qu'il est juste un peu original. On peut d'ailleurs se demander si elle même n'a pas une part de folie, qui nous est dévoilée par la vision de son  inquiétant tableau quand Anne vient se plaindre de l'attitude de Bruno. 

            Cette étude du  personnage de la mère dans les films d'Hitchcock révèlent des thèmes récurrents : l'infantilisation, l'autoritarisme, la jalousie...Quoiqu'au départ n'occupant pas le premier rôle, on réalise combien il participe à la bonne compréhension des héros ou héroïnes, Les mères sont un élément déclencheur de l'action (La mort aux trousses), elles provoquent les éléments malfaisants (Les Oiseaux), elles alimentent le trouble (L'Inconnu du Nord Express) enfin elles sont à elles seules le ressort dramatique du film (Psychose et Pas de Printemps pour Marnie),
Hitchcock  ne semblait pas avoir de relation conflictuelle avec sa propre mère mais redoutait son père. Peut être se fait- il l'écho, dans ses portraits de mère, où le père est le plus souvent absent, d'une analyse freudienne selon laquelle nous sommes à jamais marqués par notre relation aux parents et que les non dits de l'enfance et les abus de pouvoir sont indélébiles.

mardi 31 mai 2011

Travail / technique - P.


APERÇU SUR LA TECHNIQUE ET LE TRAVAIL

            Deux questions très proches mais irréductibles l’une à l’autre. La technique = la question des procédés, les moyens qui rendent possibles la réalisation d’une fin. Le travail c’est la question de la peine qui accompagne cette procédure et qui affecte aussi un groupe social qu’un individu. Distinction des deux questions : on peut imaginer une technique qui réduit le travail à zéro. Exemple : le machinisme poussé à l’extrême.
Réciproquement, on imaginera un travail qui réduit la technique à zéro, c’est-à-dire qui se dépense mais en pure perte, et sans réel égard pour une fin. Problématique commune : dans les deux cas, il s’agit de faciliter la vie = de dépasser la simple survie (quasi animale). Cette promesse est-elle tenue ?

            1- Sens

            L’homme transforme la nature à son profit, c’est-à-dire pour satisfaire ses besoins. Voir Aristote : « La technique achève ce que la nature n’a pas mené à bien ». Par exemple l’homme n’est pas pourvu comme les animaux. Il est le plus démuni. D’où le rôle du vêtement, de l’habitation, de l’outil, mais aussi de la parole, de la monnaie et globalement de la cité, c’est-à-dire l’unité collective sans laquelle l’homme est soit une bête, soit un dieu.
            Cette technique suppose une peine particulière : le travail, ce qui distingue l’homme de l’animal. L’animal agit de façon immédiate = par instinct. L’homme agit par médiation, c’est-à-dire par détour = calcul, planification qui suppose un recul, donc raison et liberté. « Ce qui distingue du premier coup l’architecte le plus maladroit de l’abeille la plus experte, c’est que le premier a construit la maison dans sa tête avant de la faire dans la cire ». Marx.
            L’homme progresse par sa perfectibilité, voir Rousseau : faculté d’accumuler les progrès indéfiniment.
            Critique : Nous serions face à un « progrès », c’est-à-dire une marche en avant qui serait la seule loi de l’histoire. L’homme vivrait de mieux en mieux. Or, nous voyons le contraire, c’est-à-dire nous observons des progrès (partiels) mais tout cela s’accompagne de régression. Par exemple des occultations (on ne voit plus un mal qu’on voyait un siècle plus tôt). On a perdu cette sensibilité au mal.

            2- Non-sens

            Technique et travail auraient favorisé l’apparition d’une certaine absurdité c’est-à-dire d’une contradiction vécue .
            Sur le plan technique : la technique a rompu avec le modèle antique, médiéval, Voir Descartes : « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Pour les Anciens, la sagesse consistait à s’intégrer au cours naturel des choses : « vivre conformément à la nature ». Pour les modernes, il s’agit de la domestiquer c’est-à-dire de l’utiliser pour rendre l’humanité plus forte.
            Exemple : guérir les maladies, en finir avec les famines, mais aussi utiliser les forces naturelles pour réduire les peines des hommes. La technique réduirait le pénible (?).  Voir Descartes : grâce aux divers artifices, « on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y rapportent ». La technique moderne veut servir l’homme. Ce projet est humaniste = il place l’homme au centre de la vision du monde = anthropocentrisme.
            Réponse de Heidegger : cette vision nous conduit à l’absurdité. Pourquoi ? Le Rhin a été une œuvre d’art, par exemple le titre d’un poème de Hölderlin. Aujourd’hui, c’est un séjour pour les touristes, et un lieu où l’homme construit des barrages hydrauliques. Autrefois, on utilisait la force de l’eau ou du vent en passant. Aujourd’hui on procède au stockage de l’énergie. « Le fleuve est muré dans la centrale ». Heidegger. Le grand danger, c’est moins le nucléaire que la volonté humaine. La volonté se porte vers un objet qui est elle-même. = la volonté est volonté de volonté. La chose est perceptible déjà chez Descartes. Pourquoi ? Le cogito est un volo, c’est-à-dire « je veux ». Le cogito présuppose le libre arbitre. D’où un renversement spectaculaire, pour les Anciens, impossible de réduire l’être à l’étant, c’est-à-dire à son participe présent. Pour les modernes, l’être se réduit à l’étant c’est-à-dire la grande question devient une pure forme de disponibilité (être prêt à servir, sous la main). L’être une question : pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ?

            (Critique ?) : Le travail n’est plus une distinction franche entre deux conditions politiques : d’une part le citoyen (libre). D’autre part, l’esclave. Voir Marx : le capitalisme a inventé l’occultation de la plus-value = le travail (non payé). Voir le fétichisme de la marchandise c’est-à-dire le problème de la valeur d’échange = la réification qu’elle suppose. Toute marchandise apparaît sur le marché comme un produit fini. Le travail vivant est devenu invisible. Cette illusion achève et parfait la dissimulation propre au mode  de production capitaliste. L’employeur fait croire qu’il achète du travail, mais en fait, il achète la force de travail : la liberté humaine : l’inaliénable. Solution de Marx : la société sans classes = abolition de toute distinction entre posséder et travailler. 

dimanche 29 mai 2011

L'art - P.



PHILOSOPHIE DE L’ART

            Problématisation : L’art serait la production de la beauté par la liberté humaine. Or, cette même beauté n’a pas attendu l’homme, la nature l’a prodigué et l’homme y a trouvé un modèle. Faut-il demander à la nature un modèle artistique de la beauté ?

            1- « L’art doit avoir l’apparence de la nature » Kant (Critique du jugement)

            Impossible de partir de l’idée d’art pour saisir ce qu’est la beauté. Pourquoi ? Les œuvres d’art sont culturellement sédimentées c’est-à-dire elles ne sont pas goûtées sans préjugés.
            Par exemple : un chef-d’œuvre d’Extrême Orient peut déplaire à un européen ou le laisser indifférent. D’où la référence au mot naturel.
            Voir le jugement que nous inspire un coucher de soleil ou une fleur, ou le plumage d’un oiseau : « c’est beau ». Il s’agit d’un jugement de goût. Mais il ressemble à tout autre jugement. Par exemple : « le ciel est bleu » et même « 2+2 =4 ».
Voir Kant : la vraie différence est que le jugement esthétique exclut toute preuve. Je dis « c’est bon », mais je ne peux rien prouver = je prétends à l’universalité, à l’objectivité et à la nécessité.
            Trois distinctions :

            1- Le beau n’est pas l’agréable = ce qui est reconnu comme purement subjectif. Exemple : « le vin des Canaries m’est agréable ». Il s’agit de ce qui plait « aux sens dans la sensation ». Ce qui compte c’est que je reconnais un plaisir superficiel et épidermique.
            2- Le beau n’est pas le parfait  c’est-à-dire ce qui est « fait jusqu’au bout » = l’accompli, l’achevé (conforme aux attentes, conforme à un type). On distinguera deux beautés : la beauté adhérente et la beauté libre. La première est fixée à un type, une norme … La seconde est détachée de cette référence. Exemple : soit une fleur. Pour un pur botaniste, la « beauté » de ce végétal se mesurera à une certaine conformité (au type = une normalité) = beauté adhérente. Pour le profane, cette beauté ne renvoie pas à un concept. Elle est goûtée de façon immédiate. Et purement sensible.
            3- Le beau n’est pas l’utile. Pourquoi ? L’utile est bon à quelque chose. C’est pourquoi on le consomme, c’est-à-dire on le transforme par assimilation ou destruction. Le beau nous inspire une contemplation, c’est-à-dire nous laissons la chose être ce qu’elle est. D’om une attitude intéressée face à l’utile puisqu’il faut qu’il soit une r »alité (pour être consommable). Mais nous sommes désintéressés face au beau (il peut demeurer fictif) par exemple : un être imaginaire.
            Le beau recouvre une universalité subjective, c’est-à-dire nous prétendons à l’accord de tous nos semblables, mais il est impossible de trancher par des preuves. Et pourtant, l’unanimité se fait sur de nombreux cas, en particulier les cas de beauté naturelle. D’où 4 observations :
            a- Le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée
            b- Le beau est ce qui plait universellement, sans concept. Il n’est pas le parfait, c’est-à-dire ce qui évoque un type, une norme et exige une connaissance. Le beau est un sentiment, un élément affectif qui se passe de toute connaissance = le profane peut le goûter comme l’initié.
            c- « Le beau est la forme de la finalité d’un objet, dans la mesure ou cette finalité est perçue sans représentation d’une fin ». Kant.
Le beau donne l’impression de nous faire une faveur, par exemple la nature qui semble nous faire un clin d’œil. Mais en fait, nul n’a le droit de dire que la nature veut nous plaire, ou qu’elle fait cela pour nous. Il en ressort une impression de finalité = comme si la nature nous flattait et voulait nous toucher. Mais la nature ne veut pas nous être utile. Le beau n’est pas l’utile.
            d- « Le beau est ce qui est reconnu comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ». Kant.
A chaque fois, je suis convaincu qu’on ne peut pas ne pas aimer. Le beau n’est pas l’agréable.

            Il en ressort un conflit particulier dans notre esprit = l’antinomie du goût.
Thèse : il existe un principe spécifique du beau qui le tient à l’écart de toute preuve.
Antithèse : le beau n’échappe pas à notre faculté de prouver. Entre nous, nous parlons du beau, mais jamais nous ne pouvons convaincre autrui (ou alors il était déjà convaincu) : « Le beau est le sujet dont nous pouvons discuter, mais jamais disputer ». Kant. Nous échangeons des arguments, mais il est impossible de trancher.
            Application au beau artistique : un chassé croisé en art et nature. La nature nous donne l’impression d’un art spontané. L’artiste doit simuler la puissance naturelle de produire la beauté. Voir la théorie du génie qui est le propre des beaux arts (= les techniques visant la beauté). « Le génie est un talent inné par lequel la nature donne des règles à l’art ». Kant. Le génie est un style qui ne vient pas par copiage, mais qu’on porte en soi et qu’on développe.
            a- Une faculté pratique et non théorique. Le génie est celui qui peut faire, mais surtout quand il ne peut rien expliquer. Par opposition au critique (qui explique tout sans pouvoir faire une œuvre).
            b- Le génie n’imite personne c’est-à-dire il est lui-même son modèle. Il est « original ». Cela reste vrai, même quand il a commencé par recopier. Voir le cas extrême de Van Gogh qui recopie Millet dans sa jeunesse. Le génie apprend des techniques, il les assimile et se les approprie. Il ne craint pas les influences. Il les intègre : « une forte personnalité ».
            c- Le génie reste inimitable, mais il donne des idées, comme s’il lançait un défi. C’est comme une voix qui résonne en écho. Voir début 17ème, Le Caravage : il invente le clair-obscur. Et fin 17ème, Rembrandt reprend le principe mais en le transformant de façon radicale.
            NB : le savant n’est pas exactement un génie. Il y a une différence de degré entre un inventeur modeste et un vrai savant. Pourquoi ? Dans les deux cas, l’auteur peut expliquer par des raisons le détail de sa démarche. Mais il y a une différence de nature entre l’artiste c’est-à-dire le génie et tous les autres types humains. Il peut produire une œuvre en restant incapable d’en parler (= de dire d’où lui viennent les idées). La science revendique un juste avantage : elle améliore la vie des hommes grâce aux techniques. La science connaît un progrès (elle cerne de mieux en mieux la vérité). L’art ne progresse pas, mais il n’a pas à le faire. Pourquoi ? Depuis les origines, il connaît les sommets, par exemple Homère.

            Critique : Kant expose une thèse naturaliste, c’est-à-dire la nature nous dit ce qu’est la beauté, et ce que l’art doit faire. Mais on ne peut pas expliquer pourquoi il y a des styles, des modes, des écoles … Bref, l’historicité de l’art. Voir Hegel : « La nature n’a pas d’histoire ». Elle se répète en formant des cycles, mais ne déploie pas un renouvellement des formes, c’est-à-dire la nouveauté n’y apparaît pas et rien ne fait sens, c’est-à-dire les beautés naturelles sont de belles surfaces, sans profondeur. Nous ne savons pas rendre compte de l’histoire de l’art.

            2- L’art comme antinature (Hegel)





            Ne pas partir du beau et surtout de son modèle naturel. On partira de l’activité humaine, de sa pratique transformatrice. L’Esprit s’affirme en niant la nature, c’est-à-dire en transformant, en altérant le donné, l’immédiat. Voir l’enfant qui s’amuse à jeter des cailloux dans l’eau : il admire sa propre activité. Il s’y reconnaît, il y voit le sceau de son intériorité = il s’offre le spectacle de sa propre essence (l’esprit ne peut se connaître sans médiation, il doit sortir de lui-même). L’art c’est l’esprit = la liberté = l’absolu qui se cherche dans le domaine sensible = le monde extérieur. Ce qui exige une série de médiations = une histoire.
            1- L’art symbolique = l’architecture (l’Orient Ancien). Tout commence avec la représentation la plus grossière de l’infini, c’est le démesuré, l’écrasant, le colossal. Il faut une forme d’art qui puisse traduire le gigantisme = les dieux qui écrasent l’humanité de toute leur transcendance. D’où un conflit entre le fond (infini) et la forme (toujours limitée). Ce conflit suscite un malaise. Voir Babylone, la Tour de Babel, et les pyramides d’Egypte : « Ces énormes cristaux qui ne sont que les tombeaux du divin ». Hegel.
            Problèm: une conception unilatérale de l’absolu qui doit rester « symbolique ». Or, le symbole est toujours un signe équivoque, il a plusieurs sens et propose une simple allusion à l’objet. Il exprime, mais en restant inadéquat.
            Exemple : en Europe, le lion symbolise la majesté. Mais en Afrique, la paresse.       2- L’art classique (la sculpture et surtout la statuaire). Voir la Grèce et Rome dans l’Antiquité. Renversement complet, on passe à l’équilibre : aucun conflit entre fond et forme. L’absolu est humanisé. Voir la perfection formelle d’Apollon, le profil grec. Mais aussi l’économie des moyens, l’échelle très limitée. Voir aussi l’esprit des Jeux Olympiques = ne pas séparer le corps de l’esprit.
            Problème : L’absolu est figé dans une posture. Il lui manque la vie et très souvent l’humanité au sens profond, c’est-à-dire la faculté de souffrir. D’où l’inexpressivité des statues grecques : elles n’ont pas de regard. Il leur manque l’intériorité, la connaissance du déchirement.
            3- L’art romantique : a- peinture / b- musique / c- poésie
Tout cela recouvre le monde chrétien.
                       a- La peinture : elle apporte sa lumière propre en deux dimensions, elle introduit la vie et tout d’abord la lutte entre la vie et la mort. Voir la peinture italienne et avant tout son inspiration religieuse (Michel Ange, Botticelli, Raphael). Puis, passage au modèle flamand et hollandais. Voir surtout le 17ème : Vermeer et Rembrandt : l’esprit de la Réforme élargit le cham d’inspiration. On intègre des sujets profanes, et en même temps on fait ressortir l’intériorité de l’homme. D’un côté, on multiplie les scènes de la vie quotidienne, on cultive même une certaine trivialité (scènes de banquets). On considère que le sordide est encore humain, c’est-à-dire rien n’est honteux. Mais la prouesse technique met l’accent sur l’autre aspect, presque caché. Ce qui compte, c’est la pensée, ce qui n’apparaît pas.
            « La peinture hollandaise est le dimanche de la vie ». Hegel. C’est-à-dire le moment où l’homme se célèbre, c’est un hymne à l’homme.
            Problème : une perfection qui dit autre chose et qui fait signe. L’essentiel est ailleurs.
                       b- La musique : on passe de l’espace au temps, c’est-à-dire on entre dans l’art de la pure intériorité = la durée. D’où le rôle majeur de la mélodie, inséparable du rythme (mesure de la durée). La musique prétend exprimer l’indicible, l’ineffable. Voir l’idée de passion dans la musique religieuse, par exemple Bach. L’idée d’une expérience presque mystique comme si la musique nous valait un dialogue avec Dieu.
            Problème : elle donne l’illusion de l’inexprimable, c’est-à-dire d’un au-delà des mots qui est en fait un en-deçà du langage.
                        c- La poésie : l’art c’est mots, c’est-à-dire le langage cultivé pour sa puissance évocatrice, et même cosmogonique. Prononcer un mot, c’est faire exister une chose. D’où plusieurs présentations de cette puissance qui dit aussi bien l’épopée, la tragédie, la comédie et le drame. Voir Shakespeare.
            Problème : Chez Shakespeare, tout est mêlé, depuis le sublime jusqu’à l’extrême vulgarité. Voir Hamlet. L’art touche à sa limite = il annonce son propre dépassement.

            Critique : selon Hegel, « l’art est pour nous, dans cette destination suprême, chose du passé » = les peuples cherchent l’absolu ailleurs, ils vont voir dans la pratique religieuse, mais la production du beau, du sublime a perdu sa signification. Contresens à éviter : Hegel n’a jamais dit que l’homme cesserait de produire des œuvres d’art. Il dit que l’art ne peut que le répéter, passée une certaine date. Ou alors, il se perdra dans le frivole et les contre valeurs esthétiques. Exemple : le dérisoire, le trivial. Bref, le nul.
            Objection : Hegel postule une fin de l’histoire, c’est-à-dire l’idée que pour parler d’une chose, il faut qu’elle soit terminée (refermée comme une cercle). Or, l’art a continué sans perdre de sa pertinence. Hegel ne va pas plus loin que Kant puisqu’il partage avec lui un préjugé : l’art imite ou rejette la nature, mais à chaque fois il s’agit de la nature naturée, c’est-à-dire prisé comme un effet isolé et momentané. Aucun des deux ne s’intéresse à la nature naturant, c’est-à-dire la cause invisible, puissance de création des formes.

            3- Une théorie de l’art moderne ?

            Fin de l’impressionnisme français, début du 20èle siècle : Cézanne observe l’essoufflement de l’impressionnisme. Il fallait fixer l’impression fugitive, mais l’école se sera répétée et elle aura trop souvent manqué l’essentiel c’est-à-dire le mouvement. D’où 1906 à 1908 : la montage Sainte-Victoire. Commentaire de Merleau-Ponty : pour représenter un objet, tracer un contour, c’est figer la chose c’est-à-dire la réifier jusqu’au bout. Supprimer tout contour, c’est sacrifier l’individualité de l’objet qui ne se détache plus. Cézanne trace plusieurs contours = il rend une nature en train de se faire.
            « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee.
Quel est ce réel étrange que nous ne voyons jamais ? Réponse : c’est la force c’est-à-dire nous en voyons les effets, mais en aucun cas la force elle-même. Conclusion : l’artiste a une mission : montrer non pas des formes, mais des forces. D’où l’idée d’une imitation qui porte sur la nature naturante = le modèle qui n’apparaît jamais et qu’il faut deviner et même expérimenter. Toute œuvre essaie quelque chose. Trois conséquences :
            1- Autrefois, le parfait, c’était l’achevé. Désormais, ce sera l’inachevé = l’œuvre ouverte.
            2- L’œuvre se réduit à une simple ébauche, une esquisse, une « embryogenèse » qui repousse indéfiniment le moment de la naissance. Il s’agit de libérer la genèse ordinairement masquée sous son produit figé.
            3- L’art peut essayer grâce à l’aléatoire, voir le mobiles de Calder = des structures qui ignorent toute forme fixe, définitive ou privilégiée. Application en musique : l’improvisation limitée, par exemple les partitions sans reliures (Boulez).
            Problème : La peinture est un art « statique ». Comment simuler le mouvement ? Pour Klee, on travaillera sur quelques indices, par exemple l’épaisseur du trait, la suggestion de faisceaux de lignes convergentes ou divergentes. Tout cela invitant le regard de l’amateur à mobiliser les éléments de la toile, c’est-à-dire à voir des forces et des mouvements.
            Problème définitif de l’art contemporain : l’artiste forme son public, il lui apprend à regarder, mais ainsi il « libère » ce public = il rend l’œuvre d’art superflue. L’amateur peut se passer d’un support. L’art peut exister sans œuvre d’art. Les musées ne sont rient au regard de la rue. Il suffit de regarder une chose comme si c’était la première fois. 

            Une chose qu’on découvre : le plus trivial peut devenir sublime. Pourquoi ?- Peut-on parler de l’art sans parler du beau ? ou peut-on nommer art une pratique qui peut voir de la beauté n’importe où ? Peut-on dire que la beauté réside moins dans la chose même que dans le regard de l’amateur ?
            Récapitulation : 3 problèmes :
- Classique
- Beaucoup moins classique
- Contemporain
            1- Classique : je juge belle une chose sans pouvoir prouver ce que je prétends. Voir Kant c’est-à-dire le jugement de goût met en jeu :
a- un acte de l’imagination qui manipule les formes et joue avec tout cela
b- un concept indéterminé de l’entendement, par exemple : cette fleur est belle, mais je ne sais pas ce qu’elle est.
            2- Beaucoup moins classique : « c’est beau mais je n’aime pas » : on entrevoit des qualités « esthétiques » (un travail et même une relative originalité), mais on ne peut pas en tirer une émotion, c’est-à-dire l’œuvre nous laisse froids.
            3- Contemporain : « c’est beau, mais je suis peut être le seul à le penser », c’est-à-dire ici et maintenant. Tel spectacle me touche, mais je serais peut-être le seul dans cette circonstance = nul autre que moi ne serait ému. Problème : c’est sans doute le problème contemporain : celui du relativisme culturel, c’est-à-dire les uns pensent telle chose et les autres le contraire, mais tous ont raison = c’est une question de point de vue. Ce qui a disparu, c’est l’universalité et surtout toute tension vers l’universalité. On ne cherche plus à convaincre. On cherche à peine à partager. Peut-on fonder une culture sur ce relativisme ?