dimanche 29 mai 2011

L'art - P.



PHILOSOPHIE DE L’ART

            Problématisation : L’art serait la production de la beauté par la liberté humaine. Or, cette même beauté n’a pas attendu l’homme, la nature l’a prodigué et l’homme y a trouvé un modèle. Faut-il demander à la nature un modèle artistique de la beauté ?

            1- « L’art doit avoir l’apparence de la nature » Kant (Critique du jugement)

            Impossible de partir de l’idée d’art pour saisir ce qu’est la beauté. Pourquoi ? Les œuvres d’art sont culturellement sédimentées c’est-à-dire elles ne sont pas goûtées sans préjugés.
            Par exemple : un chef-d’œuvre d’Extrême Orient peut déplaire à un européen ou le laisser indifférent. D’où la référence au mot naturel.
            Voir le jugement que nous inspire un coucher de soleil ou une fleur, ou le plumage d’un oiseau : « c’est beau ». Il s’agit d’un jugement de goût. Mais il ressemble à tout autre jugement. Par exemple : « le ciel est bleu » et même « 2+2 =4 ».
Voir Kant : la vraie différence est que le jugement esthétique exclut toute preuve. Je dis « c’est bon », mais je ne peux rien prouver = je prétends à l’universalité, à l’objectivité et à la nécessité.
            Trois distinctions :

            1- Le beau n’est pas l’agréable = ce qui est reconnu comme purement subjectif. Exemple : « le vin des Canaries m’est agréable ». Il s’agit de ce qui plait « aux sens dans la sensation ». Ce qui compte c’est que je reconnais un plaisir superficiel et épidermique.
            2- Le beau n’est pas le parfait  c’est-à-dire ce qui est « fait jusqu’au bout » = l’accompli, l’achevé (conforme aux attentes, conforme à un type). On distinguera deux beautés : la beauté adhérente et la beauté libre. La première est fixée à un type, une norme … La seconde est détachée de cette référence. Exemple : soit une fleur. Pour un pur botaniste, la « beauté » de ce végétal se mesurera à une certaine conformité (au type = une normalité) = beauté adhérente. Pour le profane, cette beauté ne renvoie pas à un concept. Elle est goûtée de façon immédiate. Et purement sensible.
            3- Le beau n’est pas l’utile. Pourquoi ? L’utile est bon à quelque chose. C’est pourquoi on le consomme, c’est-à-dire on le transforme par assimilation ou destruction. Le beau nous inspire une contemplation, c’est-à-dire nous laissons la chose être ce qu’elle est. D’om une attitude intéressée face à l’utile puisqu’il faut qu’il soit une r »alité (pour être consommable). Mais nous sommes désintéressés face au beau (il peut demeurer fictif) par exemple : un être imaginaire.
            Le beau recouvre une universalité subjective, c’est-à-dire nous prétendons à l’accord de tous nos semblables, mais il est impossible de trancher par des preuves. Et pourtant, l’unanimité se fait sur de nombreux cas, en particulier les cas de beauté naturelle. D’où 4 observations :
            a- Le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée
            b- Le beau est ce qui plait universellement, sans concept. Il n’est pas le parfait, c’est-à-dire ce qui évoque un type, une norme et exige une connaissance. Le beau est un sentiment, un élément affectif qui se passe de toute connaissance = le profane peut le goûter comme l’initié.
            c- « Le beau est la forme de la finalité d’un objet, dans la mesure ou cette finalité est perçue sans représentation d’une fin ». Kant.
Le beau donne l’impression de nous faire une faveur, par exemple la nature qui semble nous faire un clin d’œil. Mais en fait, nul n’a le droit de dire que la nature veut nous plaire, ou qu’elle fait cela pour nous. Il en ressort une impression de finalité = comme si la nature nous flattait et voulait nous toucher. Mais la nature ne veut pas nous être utile. Le beau n’est pas l’utile.
            d- « Le beau est ce qui est reconnu comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ». Kant.
A chaque fois, je suis convaincu qu’on ne peut pas ne pas aimer. Le beau n’est pas l’agréable.

            Il en ressort un conflit particulier dans notre esprit = l’antinomie du goût.
Thèse : il existe un principe spécifique du beau qui le tient à l’écart de toute preuve.
Antithèse : le beau n’échappe pas à notre faculté de prouver. Entre nous, nous parlons du beau, mais jamais nous ne pouvons convaincre autrui (ou alors il était déjà convaincu) : « Le beau est le sujet dont nous pouvons discuter, mais jamais disputer ». Kant. Nous échangeons des arguments, mais il est impossible de trancher.
            Application au beau artistique : un chassé croisé en art et nature. La nature nous donne l’impression d’un art spontané. L’artiste doit simuler la puissance naturelle de produire la beauté. Voir la théorie du génie qui est le propre des beaux arts (= les techniques visant la beauté). « Le génie est un talent inné par lequel la nature donne des règles à l’art ». Kant. Le génie est un style qui ne vient pas par copiage, mais qu’on porte en soi et qu’on développe.
            a- Une faculté pratique et non théorique. Le génie est celui qui peut faire, mais surtout quand il ne peut rien expliquer. Par opposition au critique (qui explique tout sans pouvoir faire une œuvre).
            b- Le génie n’imite personne c’est-à-dire il est lui-même son modèle. Il est « original ». Cela reste vrai, même quand il a commencé par recopier. Voir le cas extrême de Van Gogh qui recopie Millet dans sa jeunesse. Le génie apprend des techniques, il les assimile et se les approprie. Il ne craint pas les influences. Il les intègre : « une forte personnalité ».
            c- Le génie reste inimitable, mais il donne des idées, comme s’il lançait un défi. C’est comme une voix qui résonne en écho. Voir début 17ème, Le Caravage : il invente le clair-obscur. Et fin 17ème, Rembrandt reprend le principe mais en le transformant de façon radicale.
            NB : le savant n’est pas exactement un génie. Il y a une différence de degré entre un inventeur modeste et un vrai savant. Pourquoi ? Dans les deux cas, l’auteur peut expliquer par des raisons le détail de sa démarche. Mais il y a une différence de nature entre l’artiste c’est-à-dire le génie et tous les autres types humains. Il peut produire une œuvre en restant incapable d’en parler (= de dire d’où lui viennent les idées). La science revendique un juste avantage : elle améliore la vie des hommes grâce aux techniques. La science connaît un progrès (elle cerne de mieux en mieux la vérité). L’art ne progresse pas, mais il n’a pas à le faire. Pourquoi ? Depuis les origines, il connaît les sommets, par exemple Homère.

            Critique : Kant expose une thèse naturaliste, c’est-à-dire la nature nous dit ce qu’est la beauté, et ce que l’art doit faire. Mais on ne peut pas expliquer pourquoi il y a des styles, des modes, des écoles … Bref, l’historicité de l’art. Voir Hegel : « La nature n’a pas d’histoire ». Elle se répète en formant des cycles, mais ne déploie pas un renouvellement des formes, c’est-à-dire la nouveauté n’y apparaît pas et rien ne fait sens, c’est-à-dire les beautés naturelles sont de belles surfaces, sans profondeur. Nous ne savons pas rendre compte de l’histoire de l’art.

            2- L’art comme antinature (Hegel)





            Ne pas partir du beau et surtout de son modèle naturel. On partira de l’activité humaine, de sa pratique transformatrice. L’Esprit s’affirme en niant la nature, c’est-à-dire en transformant, en altérant le donné, l’immédiat. Voir l’enfant qui s’amuse à jeter des cailloux dans l’eau : il admire sa propre activité. Il s’y reconnaît, il y voit le sceau de son intériorité = il s’offre le spectacle de sa propre essence (l’esprit ne peut se connaître sans médiation, il doit sortir de lui-même). L’art c’est l’esprit = la liberté = l’absolu qui se cherche dans le domaine sensible = le monde extérieur. Ce qui exige une série de médiations = une histoire.
            1- L’art symbolique = l’architecture (l’Orient Ancien). Tout commence avec la représentation la plus grossière de l’infini, c’est le démesuré, l’écrasant, le colossal. Il faut une forme d’art qui puisse traduire le gigantisme = les dieux qui écrasent l’humanité de toute leur transcendance. D’où un conflit entre le fond (infini) et la forme (toujours limitée). Ce conflit suscite un malaise. Voir Babylone, la Tour de Babel, et les pyramides d’Egypte : « Ces énormes cristaux qui ne sont que les tombeaux du divin ». Hegel.
            Problèm: une conception unilatérale de l’absolu qui doit rester « symbolique ». Or, le symbole est toujours un signe équivoque, il a plusieurs sens et propose une simple allusion à l’objet. Il exprime, mais en restant inadéquat.
            Exemple : en Europe, le lion symbolise la majesté. Mais en Afrique, la paresse.       2- L’art classique (la sculpture et surtout la statuaire). Voir la Grèce et Rome dans l’Antiquité. Renversement complet, on passe à l’équilibre : aucun conflit entre fond et forme. L’absolu est humanisé. Voir la perfection formelle d’Apollon, le profil grec. Mais aussi l’économie des moyens, l’échelle très limitée. Voir aussi l’esprit des Jeux Olympiques = ne pas séparer le corps de l’esprit.
            Problème : L’absolu est figé dans une posture. Il lui manque la vie et très souvent l’humanité au sens profond, c’est-à-dire la faculté de souffrir. D’où l’inexpressivité des statues grecques : elles n’ont pas de regard. Il leur manque l’intériorité, la connaissance du déchirement.
            3- L’art romantique : a- peinture / b- musique / c- poésie
Tout cela recouvre le monde chrétien.
                       a- La peinture : elle apporte sa lumière propre en deux dimensions, elle introduit la vie et tout d’abord la lutte entre la vie et la mort. Voir la peinture italienne et avant tout son inspiration religieuse (Michel Ange, Botticelli, Raphael). Puis, passage au modèle flamand et hollandais. Voir surtout le 17ème : Vermeer et Rembrandt : l’esprit de la Réforme élargit le cham d’inspiration. On intègre des sujets profanes, et en même temps on fait ressortir l’intériorité de l’homme. D’un côté, on multiplie les scènes de la vie quotidienne, on cultive même une certaine trivialité (scènes de banquets). On considère que le sordide est encore humain, c’est-à-dire rien n’est honteux. Mais la prouesse technique met l’accent sur l’autre aspect, presque caché. Ce qui compte, c’est la pensée, ce qui n’apparaît pas.
            « La peinture hollandaise est le dimanche de la vie ». Hegel. C’est-à-dire le moment où l’homme se célèbre, c’est un hymne à l’homme.
            Problème : une perfection qui dit autre chose et qui fait signe. L’essentiel est ailleurs.
                       b- La musique : on passe de l’espace au temps, c’est-à-dire on entre dans l’art de la pure intériorité = la durée. D’où le rôle majeur de la mélodie, inséparable du rythme (mesure de la durée). La musique prétend exprimer l’indicible, l’ineffable. Voir l’idée de passion dans la musique religieuse, par exemple Bach. L’idée d’une expérience presque mystique comme si la musique nous valait un dialogue avec Dieu.
            Problème : elle donne l’illusion de l’inexprimable, c’est-à-dire d’un au-delà des mots qui est en fait un en-deçà du langage.
                        c- La poésie : l’art c’est mots, c’est-à-dire le langage cultivé pour sa puissance évocatrice, et même cosmogonique. Prononcer un mot, c’est faire exister une chose. D’où plusieurs présentations de cette puissance qui dit aussi bien l’épopée, la tragédie, la comédie et le drame. Voir Shakespeare.
            Problème : Chez Shakespeare, tout est mêlé, depuis le sublime jusqu’à l’extrême vulgarité. Voir Hamlet. L’art touche à sa limite = il annonce son propre dépassement.

            Critique : selon Hegel, « l’art est pour nous, dans cette destination suprême, chose du passé » = les peuples cherchent l’absolu ailleurs, ils vont voir dans la pratique religieuse, mais la production du beau, du sublime a perdu sa signification. Contresens à éviter : Hegel n’a jamais dit que l’homme cesserait de produire des œuvres d’art. Il dit que l’art ne peut que le répéter, passée une certaine date. Ou alors, il se perdra dans le frivole et les contre valeurs esthétiques. Exemple : le dérisoire, le trivial. Bref, le nul.
            Objection : Hegel postule une fin de l’histoire, c’est-à-dire l’idée que pour parler d’une chose, il faut qu’elle soit terminée (refermée comme une cercle). Or, l’art a continué sans perdre de sa pertinence. Hegel ne va pas plus loin que Kant puisqu’il partage avec lui un préjugé : l’art imite ou rejette la nature, mais à chaque fois il s’agit de la nature naturée, c’est-à-dire prisé comme un effet isolé et momentané. Aucun des deux ne s’intéresse à la nature naturant, c’est-à-dire la cause invisible, puissance de création des formes.

            3- Une théorie de l’art moderne ?

            Fin de l’impressionnisme français, début du 20èle siècle : Cézanne observe l’essoufflement de l’impressionnisme. Il fallait fixer l’impression fugitive, mais l’école se sera répétée et elle aura trop souvent manqué l’essentiel c’est-à-dire le mouvement. D’où 1906 à 1908 : la montage Sainte-Victoire. Commentaire de Merleau-Ponty : pour représenter un objet, tracer un contour, c’est figer la chose c’est-à-dire la réifier jusqu’au bout. Supprimer tout contour, c’est sacrifier l’individualité de l’objet qui ne se détache plus. Cézanne trace plusieurs contours = il rend une nature en train de se faire.
            « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee.
Quel est ce réel étrange que nous ne voyons jamais ? Réponse : c’est la force c’est-à-dire nous en voyons les effets, mais en aucun cas la force elle-même. Conclusion : l’artiste a une mission : montrer non pas des formes, mais des forces. D’où l’idée d’une imitation qui porte sur la nature naturante = le modèle qui n’apparaît jamais et qu’il faut deviner et même expérimenter. Toute œuvre essaie quelque chose. Trois conséquences :
            1- Autrefois, le parfait, c’était l’achevé. Désormais, ce sera l’inachevé = l’œuvre ouverte.
            2- L’œuvre se réduit à une simple ébauche, une esquisse, une « embryogenèse » qui repousse indéfiniment le moment de la naissance. Il s’agit de libérer la genèse ordinairement masquée sous son produit figé.
            3- L’art peut essayer grâce à l’aléatoire, voir le mobiles de Calder = des structures qui ignorent toute forme fixe, définitive ou privilégiée. Application en musique : l’improvisation limitée, par exemple les partitions sans reliures (Boulez).
            Problème : La peinture est un art « statique ». Comment simuler le mouvement ? Pour Klee, on travaillera sur quelques indices, par exemple l’épaisseur du trait, la suggestion de faisceaux de lignes convergentes ou divergentes. Tout cela invitant le regard de l’amateur à mobiliser les éléments de la toile, c’est-à-dire à voir des forces et des mouvements.
            Problème définitif de l’art contemporain : l’artiste forme son public, il lui apprend à regarder, mais ainsi il « libère » ce public = il rend l’œuvre d’art superflue. L’amateur peut se passer d’un support. L’art peut exister sans œuvre d’art. Les musées ne sont rient au regard de la rue. Il suffit de regarder une chose comme si c’était la première fois. 

            Une chose qu’on découvre : le plus trivial peut devenir sublime. Pourquoi ?- Peut-on parler de l’art sans parler du beau ? ou peut-on nommer art une pratique qui peut voir de la beauté n’importe où ? Peut-on dire que la beauté réside moins dans la chose même que dans le regard de l’amateur ?
            Récapitulation : 3 problèmes :
- Classique
- Beaucoup moins classique
- Contemporain
            1- Classique : je juge belle une chose sans pouvoir prouver ce que je prétends. Voir Kant c’est-à-dire le jugement de goût met en jeu :
a- un acte de l’imagination qui manipule les formes et joue avec tout cela
b- un concept indéterminé de l’entendement, par exemple : cette fleur est belle, mais je ne sais pas ce qu’elle est.
            2- Beaucoup moins classique : « c’est beau mais je n’aime pas » : on entrevoit des qualités « esthétiques » (un travail et même une relative originalité), mais on ne peut pas en tirer une émotion, c’est-à-dire l’œuvre nous laisse froids.
            3- Contemporain : « c’est beau, mais je suis peut être le seul à le penser », c’est-à-dire ici et maintenant. Tel spectacle me touche, mais je serais peut-être le seul dans cette circonstance = nul autre que moi ne serait ému. Problème : c’est sans doute le problème contemporain : celui du relativisme culturel, c’est-à-dire les uns pensent telle chose et les autres le contraire, mais tous ont raison = c’est une question de point de vue. Ce qui a disparu, c’est l’universalité et surtout toute tension vers l’universalité. On ne cherche plus à convaincre. On cherche à peine à partager. Peut-on fonder une culture sur ce relativisme ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire