mardi 31 mai 2011

Travail / technique - P.


APERÇU SUR LA TECHNIQUE ET LE TRAVAIL

            Deux questions très proches mais irréductibles l’une à l’autre. La technique = la question des procédés, les moyens qui rendent possibles la réalisation d’une fin. Le travail c’est la question de la peine qui accompagne cette procédure et qui affecte aussi un groupe social qu’un individu. Distinction des deux questions : on peut imaginer une technique qui réduit le travail à zéro. Exemple : le machinisme poussé à l’extrême.
Réciproquement, on imaginera un travail qui réduit la technique à zéro, c’est-à-dire qui se dépense mais en pure perte, et sans réel égard pour une fin. Problématique commune : dans les deux cas, il s’agit de faciliter la vie = de dépasser la simple survie (quasi animale). Cette promesse est-elle tenue ?

            1- Sens

            L’homme transforme la nature à son profit, c’est-à-dire pour satisfaire ses besoins. Voir Aristote : « La technique achève ce que la nature n’a pas mené à bien ». Par exemple l’homme n’est pas pourvu comme les animaux. Il est le plus démuni. D’où le rôle du vêtement, de l’habitation, de l’outil, mais aussi de la parole, de la monnaie et globalement de la cité, c’est-à-dire l’unité collective sans laquelle l’homme est soit une bête, soit un dieu.
            Cette technique suppose une peine particulière : le travail, ce qui distingue l’homme de l’animal. L’animal agit de façon immédiate = par instinct. L’homme agit par médiation, c’est-à-dire par détour = calcul, planification qui suppose un recul, donc raison et liberté. « Ce qui distingue du premier coup l’architecte le plus maladroit de l’abeille la plus experte, c’est que le premier a construit la maison dans sa tête avant de la faire dans la cire ». Marx.
            L’homme progresse par sa perfectibilité, voir Rousseau : faculté d’accumuler les progrès indéfiniment.
            Critique : Nous serions face à un « progrès », c’est-à-dire une marche en avant qui serait la seule loi de l’histoire. L’homme vivrait de mieux en mieux. Or, nous voyons le contraire, c’est-à-dire nous observons des progrès (partiels) mais tout cela s’accompagne de régression. Par exemple des occultations (on ne voit plus un mal qu’on voyait un siècle plus tôt). On a perdu cette sensibilité au mal.

            2- Non-sens

            Technique et travail auraient favorisé l’apparition d’une certaine absurdité c’est-à-dire d’une contradiction vécue .
            Sur le plan technique : la technique a rompu avec le modèle antique, médiéval, Voir Descartes : « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Pour les Anciens, la sagesse consistait à s’intégrer au cours naturel des choses : « vivre conformément à la nature ». Pour les modernes, il s’agit de la domestiquer c’est-à-dire de l’utiliser pour rendre l’humanité plus forte.
            Exemple : guérir les maladies, en finir avec les famines, mais aussi utiliser les forces naturelles pour réduire les peines des hommes. La technique réduirait le pénible (?).  Voir Descartes : grâce aux divers artifices, « on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y rapportent ». La technique moderne veut servir l’homme. Ce projet est humaniste = il place l’homme au centre de la vision du monde = anthropocentrisme.
            Réponse de Heidegger : cette vision nous conduit à l’absurdité. Pourquoi ? Le Rhin a été une œuvre d’art, par exemple le titre d’un poème de Hölderlin. Aujourd’hui, c’est un séjour pour les touristes, et un lieu où l’homme construit des barrages hydrauliques. Autrefois, on utilisait la force de l’eau ou du vent en passant. Aujourd’hui on procède au stockage de l’énergie. « Le fleuve est muré dans la centrale ». Heidegger. Le grand danger, c’est moins le nucléaire que la volonté humaine. La volonté se porte vers un objet qui est elle-même. = la volonté est volonté de volonté. La chose est perceptible déjà chez Descartes. Pourquoi ? Le cogito est un volo, c’est-à-dire « je veux ». Le cogito présuppose le libre arbitre. D’où un renversement spectaculaire, pour les Anciens, impossible de réduire l’être à l’étant, c’est-à-dire à son participe présent. Pour les modernes, l’être se réduit à l’étant c’est-à-dire la grande question devient une pure forme de disponibilité (être prêt à servir, sous la main). L’être une question : pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ?

            (Critique ?) : Le travail n’est plus une distinction franche entre deux conditions politiques : d’une part le citoyen (libre). D’autre part, l’esclave. Voir Marx : le capitalisme a inventé l’occultation de la plus-value = le travail (non payé). Voir le fétichisme de la marchandise c’est-à-dire le problème de la valeur d’échange = la réification qu’elle suppose. Toute marchandise apparaît sur le marché comme un produit fini. Le travail vivant est devenu invisible. Cette illusion achève et parfait la dissimulation propre au mode  de production capitaliste. L’employeur fait croire qu’il achète du travail, mais en fait, il achète la force de travail : la liberté humaine : l’inaliénable. Solution de Marx : la société sans classes = abolition de toute distinction entre posséder et travailler. 

dimanche 29 mai 2011

L'art - P.



PHILOSOPHIE DE L’ART

            Problématisation : L’art serait la production de la beauté par la liberté humaine. Or, cette même beauté n’a pas attendu l’homme, la nature l’a prodigué et l’homme y a trouvé un modèle. Faut-il demander à la nature un modèle artistique de la beauté ?

            1- « L’art doit avoir l’apparence de la nature » Kant (Critique du jugement)

            Impossible de partir de l’idée d’art pour saisir ce qu’est la beauté. Pourquoi ? Les œuvres d’art sont culturellement sédimentées c’est-à-dire elles ne sont pas goûtées sans préjugés.
            Par exemple : un chef-d’œuvre d’Extrême Orient peut déplaire à un européen ou le laisser indifférent. D’où la référence au mot naturel.
            Voir le jugement que nous inspire un coucher de soleil ou une fleur, ou le plumage d’un oiseau : « c’est beau ». Il s’agit d’un jugement de goût. Mais il ressemble à tout autre jugement. Par exemple : « le ciel est bleu » et même « 2+2 =4 ».
Voir Kant : la vraie différence est que le jugement esthétique exclut toute preuve. Je dis « c’est bon », mais je ne peux rien prouver = je prétends à l’universalité, à l’objectivité et à la nécessité.
            Trois distinctions :

            1- Le beau n’est pas l’agréable = ce qui est reconnu comme purement subjectif. Exemple : « le vin des Canaries m’est agréable ». Il s’agit de ce qui plait « aux sens dans la sensation ». Ce qui compte c’est que je reconnais un plaisir superficiel et épidermique.
            2- Le beau n’est pas le parfait  c’est-à-dire ce qui est « fait jusqu’au bout » = l’accompli, l’achevé (conforme aux attentes, conforme à un type). On distinguera deux beautés : la beauté adhérente et la beauté libre. La première est fixée à un type, une norme … La seconde est détachée de cette référence. Exemple : soit une fleur. Pour un pur botaniste, la « beauté » de ce végétal se mesurera à une certaine conformité (au type = une normalité) = beauté adhérente. Pour le profane, cette beauté ne renvoie pas à un concept. Elle est goûtée de façon immédiate. Et purement sensible.
            3- Le beau n’est pas l’utile. Pourquoi ? L’utile est bon à quelque chose. C’est pourquoi on le consomme, c’est-à-dire on le transforme par assimilation ou destruction. Le beau nous inspire une contemplation, c’est-à-dire nous laissons la chose être ce qu’elle est. D’om une attitude intéressée face à l’utile puisqu’il faut qu’il soit une r »alité (pour être consommable). Mais nous sommes désintéressés face au beau (il peut demeurer fictif) par exemple : un être imaginaire.
            Le beau recouvre une universalité subjective, c’est-à-dire nous prétendons à l’accord de tous nos semblables, mais il est impossible de trancher par des preuves. Et pourtant, l’unanimité se fait sur de nombreux cas, en particulier les cas de beauté naturelle. D’où 4 observations :
            a- Le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée
            b- Le beau est ce qui plait universellement, sans concept. Il n’est pas le parfait, c’est-à-dire ce qui évoque un type, une norme et exige une connaissance. Le beau est un sentiment, un élément affectif qui se passe de toute connaissance = le profane peut le goûter comme l’initié.
            c- « Le beau est la forme de la finalité d’un objet, dans la mesure ou cette finalité est perçue sans représentation d’une fin ». Kant.
Le beau donne l’impression de nous faire une faveur, par exemple la nature qui semble nous faire un clin d’œil. Mais en fait, nul n’a le droit de dire que la nature veut nous plaire, ou qu’elle fait cela pour nous. Il en ressort une impression de finalité = comme si la nature nous flattait et voulait nous toucher. Mais la nature ne veut pas nous être utile. Le beau n’est pas l’utile.
            d- « Le beau est ce qui est reconnu comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ». Kant.
A chaque fois, je suis convaincu qu’on ne peut pas ne pas aimer. Le beau n’est pas l’agréable.

            Il en ressort un conflit particulier dans notre esprit = l’antinomie du goût.
Thèse : il existe un principe spécifique du beau qui le tient à l’écart de toute preuve.
Antithèse : le beau n’échappe pas à notre faculté de prouver. Entre nous, nous parlons du beau, mais jamais nous ne pouvons convaincre autrui (ou alors il était déjà convaincu) : « Le beau est le sujet dont nous pouvons discuter, mais jamais disputer ». Kant. Nous échangeons des arguments, mais il est impossible de trancher.
            Application au beau artistique : un chassé croisé en art et nature. La nature nous donne l’impression d’un art spontané. L’artiste doit simuler la puissance naturelle de produire la beauté. Voir la théorie du génie qui est le propre des beaux arts (= les techniques visant la beauté). « Le génie est un talent inné par lequel la nature donne des règles à l’art ». Kant. Le génie est un style qui ne vient pas par copiage, mais qu’on porte en soi et qu’on développe.
            a- Une faculté pratique et non théorique. Le génie est celui qui peut faire, mais surtout quand il ne peut rien expliquer. Par opposition au critique (qui explique tout sans pouvoir faire une œuvre).
            b- Le génie n’imite personne c’est-à-dire il est lui-même son modèle. Il est « original ». Cela reste vrai, même quand il a commencé par recopier. Voir le cas extrême de Van Gogh qui recopie Millet dans sa jeunesse. Le génie apprend des techniques, il les assimile et se les approprie. Il ne craint pas les influences. Il les intègre : « une forte personnalité ».
            c- Le génie reste inimitable, mais il donne des idées, comme s’il lançait un défi. C’est comme une voix qui résonne en écho. Voir début 17ème, Le Caravage : il invente le clair-obscur. Et fin 17ème, Rembrandt reprend le principe mais en le transformant de façon radicale.
            NB : le savant n’est pas exactement un génie. Il y a une différence de degré entre un inventeur modeste et un vrai savant. Pourquoi ? Dans les deux cas, l’auteur peut expliquer par des raisons le détail de sa démarche. Mais il y a une différence de nature entre l’artiste c’est-à-dire le génie et tous les autres types humains. Il peut produire une œuvre en restant incapable d’en parler (= de dire d’où lui viennent les idées). La science revendique un juste avantage : elle améliore la vie des hommes grâce aux techniques. La science connaît un progrès (elle cerne de mieux en mieux la vérité). L’art ne progresse pas, mais il n’a pas à le faire. Pourquoi ? Depuis les origines, il connaît les sommets, par exemple Homère.

            Critique : Kant expose une thèse naturaliste, c’est-à-dire la nature nous dit ce qu’est la beauté, et ce que l’art doit faire. Mais on ne peut pas expliquer pourquoi il y a des styles, des modes, des écoles … Bref, l’historicité de l’art. Voir Hegel : « La nature n’a pas d’histoire ». Elle se répète en formant des cycles, mais ne déploie pas un renouvellement des formes, c’est-à-dire la nouveauté n’y apparaît pas et rien ne fait sens, c’est-à-dire les beautés naturelles sont de belles surfaces, sans profondeur. Nous ne savons pas rendre compte de l’histoire de l’art.

            2- L’art comme antinature (Hegel)





            Ne pas partir du beau et surtout de son modèle naturel. On partira de l’activité humaine, de sa pratique transformatrice. L’Esprit s’affirme en niant la nature, c’est-à-dire en transformant, en altérant le donné, l’immédiat. Voir l’enfant qui s’amuse à jeter des cailloux dans l’eau : il admire sa propre activité. Il s’y reconnaît, il y voit le sceau de son intériorité = il s’offre le spectacle de sa propre essence (l’esprit ne peut se connaître sans médiation, il doit sortir de lui-même). L’art c’est l’esprit = la liberté = l’absolu qui se cherche dans le domaine sensible = le monde extérieur. Ce qui exige une série de médiations = une histoire.
            1- L’art symbolique = l’architecture (l’Orient Ancien). Tout commence avec la représentation la plus grossière de l’infini, c’est le démesuré, l’écrasant, le colossal. Il faut une forme d’art qui puisse traduire le gigantisme = les dieux qui écrasent l’humanité de toute leur transcendance. D’où un conflit entre le fond (infini) et la forme (toujours limitée). Ce conflit suscite un malaise. Voir Babylone, la Tour de Babel, et les pyramides d’Egypte : « Ces énormes cristaux qui ne sont que les tombeaux du divin ». Hegel.
            Problèm: une conception unilatérale de l’absolu qui doit rester « symbolique ». Or, le symbole est toujours un signe équivoque, il a plusieurs sens et propose une simple allusion à l’objet. Il exprime, mais en restant inadéquat.
            Exemple : en Europe, le lion symbolise la majesté. Mais en Afrique, la paresse.       2- L’art classique (la sculpture et surtout la statuaire). Voir la Grèce et Rome dans l’Antiquité. Renversement complet, on passe à l’équilibre : aucun conflit entre fond et forme. L’absolu est humanisé. Voir la perfection formelle d’Apollon, le profil grec. Mais aussi l’économie des moyens, l’échelle très limitée. Voir aussi l’esprit des Jeux Olympiques = ne pas séparer le corps de l’esprit.
            Problème : L’absolu est figé dans une posture. Il lui manque la vie et très souvent l’humanité au sens profond, c’est-à-dire la faculté de souffrir. D’où l’inexpressivité des statues grecques : elles n’ont pas de regard. Il leur manque l’intériorité, la connaissance du déchirement.
            3- L’art romantique : a- peinture / b- musique / c- poésie
Tout cela recouvre le monde chrétien.
                       a- La peinture : elle apporte sa lumière propre en deux dimensions, elle introduit la vie et tout d’abord la lutte entre la vie et la mort. Voir la peinture italienne et avant tout son inspiration religieuse (Michel Ange, Botticelli, Raphael). Puis, passage au modèle flamand et hollandais. Voir surtout le 17ème : Vermeer et Rembrandt : l’esprit de la Réforme élargit le cham d’inspiration. On intègre des sujets profanes, et en même temps on fait ressortir l’intériorité de l’homme. D’un côté, on multiplie les scènes de la vie quotidienne, on cultive même une certaine trivialité (scènes de banquets). On considère que le sordide est encore humain, c’est-à-dire rien n’est honteux. Mais la prouesse technique met l’accent sur l’autre aspect, presque caché. Ce qui compte, c’est la pensée, ce qui n’apparaît pas.
            « La peinture hollandaise est le dimanche de la vie ». Hegel. C’est-à-dire le moment où l’homme se célèbre, c’est un hymne à l’homme.
            Problème : une perfection qui dit autre chose et qui fait signe. L’essentiel est ailleurs.
                       b- La musique : on passe de l’espace au temps, c’est-à-dire on entre dans l’art de la pure intériorité = la durée. D’où le rôle majeur de la mélodie, inséparable du rythme (mesure de la durée). La musique prétend exprimer l’indicible, l’ineffable. Voir l’idée de passion dans la musique religieuse, par exemple Bach. L’idée d’une expérience presque mystique comme si la musique nous valait un dialogue avec Dieu.
            Problème : elle donne l’illusion de l’inexprimable, c’est-à-dire d’un au-delà des mots qui est en fait un en-deçà du langage.
                        c- La poésie : l’art c’est mots, c’est-à-dire le langage cultivé pour sa puissance évocatrice, et même cosmogonique. Prononcer un mot, c’est faire exister une chose. D’où plusieurs présentations de cette puissance qui dit aussi bien l’épopée, la tragédie, la comédie et le drame. Voir Shakespeare.
            Problème : Chez Shakespeare, tout est mêlé, depuis le sublime jusqu’à l’extrême vulgarité. Voir Hamlet. L’art touche à sa limite = il annonce son propre dépassement.

            Critique : selon Hegel, « l’art est pour nous, dans cette destination suprême, chose du passé » = les peuples cherchent l’absolu ailleurs, ils vont voir dans la pratique religieuse, mais la production du beau, du sublime a perdu sa signification. Contresens à éviter : Hegel n’a jamais dit que l’homme cesserait de produire des œuvres d’art. Il dit que l’art ne peut que le répéter, passée une certaine date. Ou alors, il se perdra dans le frivole et les contre valeurs esthétiques. Exemple : le dérisoire, le trivial. Bref, le nul.
            Objection : Hegel postule une fin de l’histoire, c’est-à-dire l’idée que pour parler d’une chose, il faut qu’elle soit terminée (refermée comme une cercle). Or, l’art a continué sans perdre de sa pertinence. Hegel ne va pas plus loin que Kant puisqu’il partage avec lui un préjugé : l’art imite ou rejette la nature, mais à chaque fois il s’agit de la nature naturée, c’est-à-dire prisé comme un effet isolé et momentané. Aucun des deux ne s’intéresse à la nature naturant, c’est-à-dire la cause invisible, puissance de création des formes.

            3- Une théorie de l’art moderne ?

            Fin de l’impressionnisme français, début du 20èle siècle : Cézanne observe l’essoufflement de l’impressionnisme. Il fallait fixer l’impression fugitive, mais l’école se sera répétée et elle aura trop souvent manqué l’essentiel c’est-à-dire le mouvement. D’où 1906 à 1908 : la montage Sainte-Victoire. Commentaire de Merleau-Ponty : pour représenter un objet, tracer un contour, c’est figer la chose c’est-à-dire la réifier jusqu’au bout. Supprimer tout contour, c’est sacrifier l’individualité de l’objet qui ne se détache plus. Cézanne trace plusieurs contours = il rend une nature en train de se faire.
            « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee.
Quel est ce réel étrange que nous ne voyons jamais ? Réponse : c’est la force c’est-à-dire nous en voyons les effets, mais en aucun cas la force elle-même. Conclusion : l’artiste a une mission : montrer non pas des formes, mais des forces. D’où l’idée d’une imitation qui porte sur la nature naturante = le modèle qui n’apparaît jamais et qu’il faut deviner et même expérimenter. Toute œuvre essaie quelque chose. Trois conséquences :
            1- Autrefois, le parfait, c’était l’achevé. Désormais, ce sera l’inachevé = l’œuvre ouverte.
            2- L’œuvre se réduit à une simple ébauche, une esquisse, une « embryogenèse » qui repousse indéfiniment le moment de la naissance. Il s’agit de libérer la genèse ordinairement masquée sous son produit figé.
            3- L’art peut essayer grâce à l’aléatoire, voir le mobiles de Calder = des structures qui ignorent toute forme fixe, définitive ou privilégiée. Application en musique : l’improvisation limitée, par exemple les partitions sans reliures (Boulez).
            Problème : La peinture est un art « statique ». Comment simuler le mouvement ? Pour Klee, on travaillera sur quelques indices, par exemple l’épaisseur du trait, la suggestion de faisceaux de lignes convergentes ou divergentes. Tout cela invitant le regard de l’amateur à mobiliser les éléments de la toile, c’est-à-dire à voir des forces et des mouvements.
            Problème définitif de l’art contemporain : l’artiste forme son public, il lui apprend à regarder, mais ainsi il « libère » ce public = il rend l’œuvre d’art superflue. L’amateur peut se passer d’un support. L’art peut exister sans œuvre d’art. Les musées ne sont rient au regard de la rue. Il suffit de regarder une chose comme si c’était la première fois. 

            Une chose qu’on découvre : le plus trivial peut devenir sublime. Pourquoi ?- Peut-on parler de l’art sans parler du beau ? ou peut-on nommer art une pratique qui peut voir de la beauté n’importe où ? Peut-on dire que la beauté réside moins dans la chose même que dans le regard de l’amateur ?
            Récapitulation : 3 problèmes :
- Classique
- Beaucoup moins classique
- Contemporain
            1- Classique : je juge belle une chose sans pouvoir prouver ce que je prétends. Voir Kant c’est-à-dire le jugement de goût met en jeu :
a- un acte de l’imagination qui manipule les formes et joue avec tout cela
b- un concept indéterminé de l’entendement, par exemple : cette fleur est belle, mais je ne sais pas ce qu’elle est.
            2- Beaucoup moins classique : « c’est beau mais je n’aime pas » : on entrevoit des qualités « esthétiques » (un travail et même une relative originalité), mais on ne peut pas en tirer une émotion, c’est-à-dire l’œuvre nous laisse froids.
            3- Contemporain : « c’est beau, mais je suis peut être le seul à le penser », c’est-à-dire ici et maintenant. Tel spectacle me touche, mais je serais peut-être le seul dans cette circonstance = nul autre que moi ne serait ému. Problème : c’est sans doute le problème contemporain : celui du relativisme culturel, c’est-à-dire les uns pensent telle chose et les autres le contraire, mais tous ont raison = c’est une question de point de vue. Ce qui a disparu, c’est l’universalité et surtout toute tension vers l’universalité. On ne cherche plus à convaincre. On cherche à peine à partager. Peut-on fonder une culture sur ce relativisme ?


jeudi 26 mai 2011

Chapitre D - 3 - H.



CHAPITRE D Économie, société et culture de 1945 à nos jours

La France d’aujourd’hui a-t-elle encore des points communs avec celle de 1945 ?

1- Les évolutions de l’économie
            a- La « Reconstruction » et le redémarrage économique

            La guerre a laissé un pays ravagé qu’il faut en partie rebâtir. Les premières mesures mises en œuvre s’inspirent du programme très volontariste du CNR. L’État entend encadrer la reconstruction économique par la planification. Le Commissariat du plan est créé en 1946 et dirigé par Jean Monnet. Il donne la priorité à l’industrie lourde, à la production d’énergie, et aux équipements de transport.
            Parallèlement, l’Etat procède à une série de nationalisations dans les secteurs clés de l’économie comme l’énergie (Charbonnage de France, EDF-GDF …), les transports (RATP, Air France …) et l’industrie (usines Renault). La banque de France et les quatre plus grandes banques de dépôt (Crédit Lyonnais) passent également sous le contrôle de l’État.
            A partir de 1947, le plan Marshall apporte une aide décisive, représentant environ 6 milliards de dollars, sous forme de dons et de prêts (20% du total de l’aide américaine à l’Europe). Aussi, au début des années 50, les infrastructures ont été entièrement rebâties, la production énergétique et industrielle relancée. Toutefois, certains secteurs ont progressé beaucoup plus lentement. C’est le cas de l’agriculture et de l’industrie de consommation.

            b- Les « Trente Glorieuses », essor er modernisation

            A partir de 1952, la France connaît une période de forte croissance, d’environ 5% par an, que Jean Fourastier appellera les « Trente Glorieuses ». Les années 60 sont marquées par un phénomène de concentration des entreprises françaises et une diversification de la production. Les industries de consommation (automobile, électroménager …) se développent rapidement. La production agricole elle-même prend son essor dans le cadre européen (PAC). Par ailleurs, l’économie française se tertiarise et s’internationalise, notamment dans le cadre de la CEE. Au début des années 70, la Franc est devenue la 5ème puissance économique mondiale et même la 4ème puissance exportatrice du monde.
            Cette croissance économique s’accompagne d’une modernisation des infrastructures et de progrès technologiques encouragés par une action forte de l’état volontiers colbertiste. La volonté d’indépendance nationale du Général de Gaulle est à l’origine de projet novateurs : développement du nucléaire civil, avions supersoniques, Concorde … Cette volonté de modernisation est reprise par ses successeurs. L’initiative privée est toutefois encouragée à partir de Valéry Giscard d’Estaing, incarnant une droite plus libérale.
            Néanmoins, il existe des points faibles dans différents secteurs de l’économie. A partir des années 60, les industries traditionnelle (mines, sidérurgie, et textile) connaissent des difficultés. Malgré le mouvement de concentration, les petites entreprises sont encore trop nombreuses et trop peu compétitives. Dès le début des années 70, l’investissement s’essouffle et le chômage qui avait quasiment disparu comme à monter.

            c- La croissance dépressive et la mondialisation

            A partir de 1974, la croissance économique est interrompue. Comme les autres PDEM, la France subit les chocs pétroliers (1973 et 1979), les désordres monétaires internationaux et l’épuisement du cycle l !é à le 2ème Révolution industrielle. La stagnation se combine avec l’inflation (stagflation), la balance commerciale du pays devient déficitaire, les investissements reculent. La crise du vieux monde industriel (Nord, Lorraine) se traduit par une montée spectaculaire du nombre de chômeurs, qui passe de 1 million en 1976 à 3 millions en 1997. L’alternance politique permet la mise en oeuvre de deux types de politiques anti-crise :
            - celle des gouvernements de gauche est fondée sur des nationalisations et une politique de relance. Elle ne parvient pas à diminuer le chômage et alimente les déficits. Ainsi en revient-on à une politique de rigueur.
            - à l’inverse, les gouvernements de droite lancent des politiques de privatisations, de rigueur budgétaire, et d’encouragement aux initiatives privées. Ces politiques ont jugulé l’inflation mais ont échoué à faire baisser le chômage et accroissent les inégalités.
            A partir des années 90, les différences s’estompent, les gouvernements de gauche comme de droite combinent une politique de rigueur et de mesures de relance ponctuelles. Durant la période, le pays a toutefois continué à s’enrichir. La reconstruction de l’économie a permis à de nombreuses entreprises françaises d’être efficaces et compétitives dans le cadre de la mondialisation actuelle.

2- Les mutations de la société
            a- La démographie

            A partir de 1942, la France connaît une reprise de sa natalité. C’est le Baby Boom. Ce phénomène s’explique par une politique nataliste (allocations familiales) et par une conjoncture économique favorable. Jusque dans les années 60, les moins de vingt ans représentent plus du tiers de la population française. La mortalité recule du fait des progrès de la médecine et de l’hygiène. Au total, la population française passe de 39 millions d’habitants en 1946 à 52 millions au milieu des années 70. Pourtant, un retournement s’opère à la fin des années 60. La baisse rapide de la fécondité s’explique par l’évolution des mentalités, le travail des femmes et la libéralisation de la contraception, puis de l’avortement (loi Veil en 1975). Comme l’espérance de vie continue à s’allonger, la population française vieillit. Malgré une certaine reprise de la natalité depuis quelques années qui permet à la population de dépasser les 63 millions d’habitants en 2010, le vieillissement pose de graves problèmes comme la gestion des dépenses de santé et le financement des retraites.
            - Pour assurer sa reconstruction, la France fait appel à des travailleurs étrangers. L’immigration se développe à partir de 1945 et s’accélère même jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. En 30 ans, la population étrangère passe de 1,7 à 4 millions de personnes. L’origine de ces travailleurs immigrés change également. Dans les années 60, les italiens et les polonais cèdent la place aux espagnols et aux portugais. C’est ensuite le tour des travailleurs originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. A partir de 74, et du début de la crise, l’immigration est officiellement interrompue en France. Elle se poursuit néanmoins du fait du regroupement familial, de l’accueil des réfugiés et de l’immigration clandestine. A partir des années 80, l’immigration devient un enjeu politique et sociétal majeur. Elle conduit également à l’apparition en deux générations d’une France désormais multiraciale et multiculturelle.
            b- La population active

            De manière générale, la part des salariés est devenue absolument prédominante. La population active s’est également fortement féminisée.
            - Du fait de la modernisation, les agriculteurs passent de 35% de la population active en 1946 à seulement 5% dans les années 90. La « fin des paysans » explique un très fort exode rural jusqu’au années 80.
            - De ce fait, on observe une forte augmentation de la population active industrielle qui culmine à 40% en 1968. La crise, et la restructuration des activités traditionnelles entraînent de nombreuses suppressions d’emplois notamment parmi les ouvriers non qualifiés. Aujourd’hui l’industrie représente moins de 25% de la population active.
            - Le phénomène majeur de la période est la tertiarisation de la société française et son entrée dans une aire post-industrielle. Le secteur des services passe de 34% des actifs en 1970 à plus de 70% aujourd’hui. Il se caractérise par une grande hétérogénéité entre le tertiaire supérieur et les petits emplois de service mal payés.

            c- Niveau de vie, consommation et urbanisation

            Le progrès sociale est une des grandes caractéristiques de notre période. Il consiste d’abord en une augmentation presque continue des revenus des français, notamment pendant les Trente Glorieuses. Il se traduit par le développement de la protection sociale dès l’après guerre : sécurité sociale, système de retraite et minimum vieillesse, allocations familiales, système d’assurance pour les demandeurs d’emplois. Le dernier aspect du progrès social se manifeste pas la baisse du temps de travail (Loi Aubry). Avec l’élévation du niveau de vie, la société française devient une société de consommation de masse caractérisée par ce qu’on appelle aux USA la « ronde des objets ». Parallèlement, elle devient également une société urbaine, protégée et gagnant du temps libre. Le taux d’urbanisation passe de 50% en 1945 à 80% en 200. Ce phénomène ne va pas sans poser des problèmes. Ainsi, les habitations collectives sous forme de grands ensembles construites à la hâte dans les années 50 et perçues d’abord de manière très positive se dégradent rapidement. Elles forment aujourd’hui des lieux de relégation socio-spatial. La flambée de violence dans une grand nombre de quartiers marginalisés à l’automne 2005 témoigne de la gravité de la situation.
            Malgré les progrès, la France est en effet confrontée au renforcement des inégalités, notamment depuis les années 80. La révolution informationnelle et la mondialisation ont conduit à une véritable « fracture sociale ». Une catégorie totalement exclue (nouveaux pauvres, SDF) est ainsi apparue. La précarisation fragilise par ailleurs une grande partie des milieux populaires et même les classes moyennes notamment la jeunesse.

3- Le bouleversement des mentalités et des pratiques culturelles
            a- L’entrée dans la modernité

            La période qui suit la crise de mai 1968 est marquée par une révolution des mœurs caractérisée par trois phénomènes majeurs :
            - L’affaiblissement des contraintes morales et religieuses traditionnelles. La libéralisation des mœurs, les différentes lois sur la contraception , la mixité scolaire, la reconnaissance du concubinage, l’affirmation du droit des femmes, mais aussi celui des homosexuels en sont les principales manifestations. 

            - Le développement de la contestation liée à l’arrivée à l’âge adulte de la génération du Baby Boom. Le rejet de l’autorité sous toutes ses formes : d’abord autorité parentale, des enseignants, et même des pouvoirs publics (politiques, forces de l’ordre …).
            - La place plus importante des femmes dans la société. Leur nombre augmente dans la population active, elles revendiquent le droit d’occuper des postes de responsabilité et de représentation politique. Certaines estiment même qu’il y aune féminisation des valeurs.
            Par ailleurs, la crise des années 70 et la disparition des solidarités traditionnelles entraînent une nouvelle transformation des mentalités. La préoccupation principale des français devient la recherche d’un mode de vie agréable et l’accès à toutes les formes de consommation. La montée de l’individualisme se traduit par la baisse de l’engagement dans les causes collectives qu’elles soient politiques, syndicales et même associatives. Cela conduit également à l’affaiblissement du sentiment national et à une crise de la citoyenneté. De nouvelles valeurs consensuelles et conformistes se dégagent comme le souci de la qualité de la vie, de l’environnement, de l’humanitarisme et du compassionnel.

            b- L’avènement d’une culture de masse

            La promotion de la culture est d’abord le fait de l’Etat. Ainsi, en 1958, un ministère des affaires culturelles est créé et confié à André Malraux. Il entreprend la création de cinés clubs, de maisons de jeunes … Le budget de la culture est en constance augmentation, surtout après 1981, sous les ministères de Jack Lang. Les grands centres culturels se développent : centre Pompidou, opéra Bastille, BNF … La culture de masse est également portée par le développement et l’allongement de l’enseignement. Le bac général, qui n’était obtenu que par 5% d’une classe d’âge en 1950 l’est aujourd’hui par environ 35%. Dans le même temps, le nombre d’étudiants passe de 100 000 à plus de deux millions. Cependant, les problèmes importants demeures comme l’échec scolaire et l’insuffisante démocratisation de l’enseignement supérieur.
            Ce sont toutefois les médias qui jouent le rôle le plus essentiel. La radio, la télé, et plus récemment Internet véhiculent l’essentiel de la culture et de l’information au détriment de la presse dont les tirages diminuent. Surtout, il consacre le triomphe de la « société du spectacle ». Celle-ci se traduit par une certaine uniformisation et un appauvrissement du contenu culturel, dont l’évolution la plus achevée serait la télé-réalité.
            Les pratiques culturelles des français se débloquent toutefois du fait de l’augmentation du temps libre et du pouvoir d’achat comme le montrent la multiplication des déplacements pour le week-end et les voyages. L’accès à la « civilisation des loisirs » reste toutefois très inégal.

            c- Déchristianisation et nouvelles religiosités

            L’évolution majeure dans le domaine religieux est la poursuite de la déchristianisation. Si 70% des Français se déclarent encore catholiques, seulement 15% d’entre eux ont une pratique régulière. Ils sont également de plus en plus nombreux à ne plus tenir compte des recommandations de l’Eglise pour ce qui concerne leurs conceptions morales et leur vie privée. Les autres religions traditionnelles, le protestantisme et le judaïsme connaissent la même évolution. Seul l’islam, devenu en quarante ans la deuxième religion de France témoigne d’un certain dynamisme. Il suscite toutefois de nombreuses inquiétudes, notamment sur sa capacité à accepter les principes de laïcité. C’est d’ailleurs ce dont témoignent les affaires récurrentes portant sur la « tenue islamique », comme le foulard ou la burqa.
            Le recul de l’influence des religieux n’empêche cependant pas une aspiration confuse à davantage de spiritualité, ce que Régis Debray appelle « un besoin de ré-enchantement du monde ». Celui-ci se manifeste pas l’attirance des français pour les religions orientales en général, comme le bouddhisme. Par ailleurs, diverses superstitions et des sectes de tout genre prospèrent sur fond de progrès relatif de l’irrationalité. Certains évoquent le retour en force du religieux au 21ème siècle. 

Hegel, corrigé - P.



TEXTE DE HEGEL – CORRIGÉ

            Où faut-il chercher la clé de la rationalité historique ? Selon Hegel, c’est l’Esprit que se déploie comme activité et qui s’exprime dans cette liberté comme une œuvre, un spectacle observable qu’on peut aussi juger. Du coup, un peuple comme un individu doit être jugé sur ses œuvres. Il est permis de se demander si Hegel ne rationalise pas le devenir historique en réduisant bien vite la part de contingence, c’est-à-dire en faisant comme si l’échec incontrôlable n’existait pas.

            Le mouvement du texte fait d’abord apparaître la dénonciation d’un lieu commun (l1 à 9). On serait tenté de distinguer l’intériorité (d’un lieu commun) et l’extériorité (l’acte). Le deuxième temps expose la vision de Hegel : un agent n’existe pas en dehors de ses actes, et cela vaut à toute les échelles. Le dernier temps explique comme une conclusion la notion de culture et son caractère de perception immédiate pour l’individu (un effet d’immersion et en même temps une obligation faite au citoyen).

            Hegel rappelle un propos de la doxa, de l’opinion courante (« souvent ») : les actions d’un homme appartiendraient à un domaine qui n’est pas l’intériorité. En fait, le lieu commun séparerait l’être de l’homme (« ce qu’il est ») et ses actes, c’est-à-dire autre chose que son être. Une correction s’impose (l3-4). Elle vient de l’expérience historique. En histoire, il n’y a aucune place pour l’intention vertueuse ou cachée ou invisible dans l’action. L’homme se réduit à son activité (« ne que ») et Hegel suggère qu’une vie est une carrière c’est-à-dire une forme de linéarité (une flèche du temps qui va de la naissance à la mort). Et un devenir dans lequel certains point sont des tournants, des changements irréversibles. Le lieu commun se teinte d’une coloration moraliste. Il juge sur l’intention plus proche du bien que du mal et il ne s’étonne pas que les actes en soient la trahison. Ici, c’est l’imagination qui fausse le jugement. Elle fait comme si agir était une dégradation, une trahison de l’idéal. En fait, c’est l’acte qui dit ce qu’était l’intention.
            Voir l6 à 8 : on trouve toujours des cas de dissimulation et de ruse réussis, mais en fait, il est vain d’y réduire le travail historique (l8 « partiel »). Ce point de vue serait unilatéral. Il réduit toute l’histoire à un point de vue intérieur. Le reste serait dissimulation.
            1ère conclusion : Entre le dedans et le dehors. Ils sont indiscernables, sans le dehors, l’intention resterait un vœu pieux, et sans le dedans, l’acte n’aurait aucun sens.
            2ème temps : en termes positifs, la notion d’action historique conduit à réhabiliter cette dialectique du dedans et du dehors. Hegel énonce des distinctions subtiles c’est-à-dire des raffinements qui passent à côté d’une identité profonde : « Les peuples sont ce que sont leurs actes ». C’est-à-dire un peuple n’existe pas en soi. Ce n’est pas un simple rêve ou une idée suspendue, c’est une réalité, c’est-à-dire l’effectivité (ce qui produit des effets) : « ce qui est rationnel est effectif, ce qui est effectif est rationnel ». C’est-à-dire ce qui existe propose une solution pour un problème donné. Donc, un peuple propose une forme de vie sociale = une réponse à la question « comment vivre ensemble ? ». En même temps tout peuple vise un but, c’est-à-dire agit de façon coordonnée parce qu’il porte un esprit.
            L13 à 16 :                          est la force qui s’exprime dans l’histoire. Son sens, l’identité de la liberté avec la raison. Et ainsi, toute opposition tombe entre ce qui « est en soi » et la notion d’acte. D’où : l’esprit s’objective et devient spectacle pour lui-même.
Conclusion du 2ème temps : chaque peuple se définit comme esprit d’un peuple, c’est-à-dire il exprime une vision de la liberté. L’espace devient comme le relais du temps. L’histoire est un devenir, une chose par la succession. Ce devenir a besoin de l’espace, c’est-à-dire de rendre possible l’objectivité (la simultanéité). L’esprit produit une œuvre parce qu’il se produit comme œuvre. C’est la culture au sens large = ce qui ne concerne pas que l’individu au sens isolé. C’est la vie d’un peuple. Hegel établit une liste qui élargit peu à peu son cadre. Il définit par les institutions, les événements, et les actes. Il ne cite pas la langue maternelle, c’est-à-dire ce qui nous socialise dès la naissance, ce qui nous fait appartenir à un tout. Ce qui nous solidarise, mais cet élément est présent. Voir l22 : « chaque peuple éprouve ce sentiment », c’est-à-dire pour un peuple, sa propre culture est la vie humaine et non un milieu extérieur, étranger ou abstrait.
            Par exemple : une confession religieuse, une langue maternelle, les mœurs dans leur aspect le plus rudimentaire. Tout cela est la chair d’un peuple.
D’où une double réalité pour chacun : l’esprit du peuple est un fait (« un monde déjà prêt et fixé »). En même temps, ce même esprit prescrit un impératif : « il doit s’incorporer ». Chacun doit se sentir citoyen et donner une effectivité à ce sentiment, c’est-à-dire agir en citoyen.

            Critique : Hegel dénonce le pharisaïsme appliqué à l’histoire, c’est-à-dire l’hypocrisie qui occulte l’acte, la sanction des fais, au profit de l’intention (on dit toujours « pure »), comme si l’insondable, l’intériorité était irréprochable et toujours inspirée par la plus haute moralité. 

            « L’histoire jugera ». Formule favorite d’une certaine logique historique. Impossible de comprendre immédiatement la portée d’un événement ou d’un acte ou de « l’esprit d’un peuple ». Par exemple, ce que représente le « miracle grec » demeure inintelligible avant une certaine date (les grecs ont inventé la liberté de « quelques-uns », c’est-à-dire la démocratie athénienne). Puis, le destin de la Grèce s’est accompli et a passé le flambeau à Rome et surtout au monde chrétien. Ce que « vaut » la Grèce, c’est son acte et non pas ses intentions (que nous ne connaîtrons jamais). L’histoire, c’est le règne de l’effectivité c’est-à-dire la réalité qui se manifeste par des effets (par opposition à l’intention et surtout à la velléité). Selon Hegel, quand on veut faire quelque chose, on y parvient, parce qu’on s’en donne les moyens. Par exemple : la guerre.
            Cette vision ne préserve pas d’une dérive redoutable, une sorte de cynisme historique. Celui qui a raison, c’est celui qui survit, c’est-à-dire celui qui s’adapte. D’où un réel problème d’intelligence historique. Voir l6 à 8. Hegel exclut l’échec, c’est-à-dire le désaccord involontaire entre l’intention et l’acte. Pour lui, il n’y a pas d’échec, c’est-à-dire de projet qui se tenait par sa cohérence propre, mais qui se sera heurté à une contingence irréductible et destructrice. Or, l’échec existe, c’est-à-dire une intention que rien ne récompense. Il n’est pas rare que la pureté perde la partie, par refus des compromis, par respect des vrais principes moraux. Kant distingue entre moralisme politique et politique morale. D’une part, un discours qui justifie de façon opportuniste un projet indifférent à toute moralité. D’où une recherche de la pure efficacité. D’autre part, une attention permanente à la moralité, c’est-à-dire au respect de l’homme pour l’homme. Hegel a-t-il refusé le cynisme ? c’est-à-dire le moralisme politique ? Ce n’est pas certain. Et son éloge des grands hommes peut inquiéter. Une figure qui agit au-delà du bien et du mal, sans éviter le mépris de la liberté « utilisable », celle des citoyens qu’on va traiter en soldat.