vendredi 22 avril 2011

Genres et registres - L.


L’ODYSSÉE – GENRES ET REGISTRES

La tradition épique
            L’épopée, une tradition orale

L’épopée homérique s’inscrit dans une tradition ancienne dont les traces sont perdues. Ces épopées étaient transmises oralement par les aèdes et les formules figées, les motifs typiques (festins, sacrifices), les reprises de scène ou de discours correspondent à ces repères qui permettaient à l’aède de tenir le fil de sa narration et à son public de le suivre.

            L’épopée garante des valeurs d’un groupe

            L’épopée, art de la parole est faite pour perpétuer le savoir et la mémoire des cultures orales. Elle utilise des légendes nationales (la guerre de Troie) et des modèles de ma communauté (rites, coutumes) rejetés dans un passé mythique. Les héros sont les ancêtres des auditeurs, mais meilleurs et plus forts exaltant ainsi les valeurs de la collectivité : Ulysse apparaît ainsi comme le modèle de la curiosité du marin, mais aussi de la prudence et de la sagesse paysannes. On dessine les valeurs du groupe à travers des figures positives et négatives opposées : organisation harmonieuse, et ouverte, respect des dieux et des rites qui s’opposent à l’anarchie et à l’autarcie (Calypso)…
            L’épopée a aussi une vocation encyclopédique en transmettant une somme de savoirs dans le domaine mythologique, dans la construction navale, la navigation … La dimension collective de l’épopée est d’ailleurs confortée par le fait qu’elle se raconte autour d’un festin, rite social et religieux pas excellence.
            D’ailleurs, l’épopée prend aussi une dimension religieuse : notamment en rappelant des faits héroïques ou en redonnant aux choses leur nom divin, en évoquant les dieux pas leurs épithètes. Elle participe ainsi à un ordre cosmique et humain qu’elle perpétue en le rendant intangible. D’ailleurs, l’aède est aussi celui qui dans son chant accorde aux mortels « la gloire impérissable ».

Les caractéristiques de l’épopée  
            La présence du surnaturel

            Le surnaturel correspond à la vision du monde grecque où le divin et l’humain s’interpénètrent. Ainsi, l’action peut se situer aussi bien à Ithaque que sur l’Olympe ou l’île flottante d’Éole et mettra en scène des humains aussi bien que des personnages monstrueux. Le surnaturel donne ainsi une dimension cosmique à l’œuvre : les tempêtes sont la manifestation de Poséidon, les monstres peuvent renvoyer à des phénomènes naturels. D’ailleurs, le surnaturel garantit un certain ordre du monde, par l’équilibre des forces entre les dieux. Il magnifie aussi le héros, capable de vaincre les monstres, et bénéficiant de l’aide divine. Le surnaturel participe à l’amplification épique, par l’emploi, d’hyperboles, d’accumulations, d’adjectifs forts ou superlatifs : « la merveilleuse », « les effrayantes »

            L’évolution du héros épique

            Loin d’être surhumain, le héros dont la destinée peut parfois de révéler dure et plus riche que celle du commun des mortels, « porte au plus haut certains qualités ». Ainsi, Ulysse se distingue dans les épreuves par sa mêtis et son courage, mais aussi par sa force physique, sa maîtrise de soi et ses exploits. Ainsi, il est le premier à résister au filtre de Circé, à ne pas succomber au chant des Sirènes … Il est surtout l’objet d’une élection divine, négative de la part de Poséidon, positive en ce qui concerne Athéna. En outre, il bénéficie de la gloire épique célébrée à travers les aèdes, mis aussi les oracles divins qui ont annoncé son arrivée au Cyclope.
            Toutefois, le héros de l’Odyssée se distingue de ceux de l’Iliade, réputés pour leurs vertus héroïques dans une épopée guerrière, et qui avaient à prouver leur excellence au combat. Désormais, pour Ulysse les vertus majeures sont ailleurs : dans sa fidélité à lui-même et à sa terre. Il nous apparaît comme étant pleinement homme, assumant sa condition de mortel, avec les limites qui vont avec. D’ailleurs, dans l’Odyssée, la valeur principale au delà de la gloire c’est la vie mortelle, comme le dit Achille, semblant lui aussi remettre en question l’idéal héroïques : « j’aimerais être sur terre domestique d’un paysan, / que de régner ici parmi ces ombres consumées … ». C’est d’ailleurs sans doute cette primauté qui explique qu’Ulysse prenne la place de l’aède pour raconter sa propre histoire, de manière plus profane.

L’Odyssée un genre bigarré 
            Il semblerait que l’Odyssée relève aussi d’autres genres littéraires.

            Conte ou récit d’aventures ?

            Chez Alcinoos, les récits relèvent beaucoup plus du récit d’aventures, raconté par le héros lui-même comme un compte-rendu de voyage : Ulysse y est confronté à la mer, aux vents, à lui-même …
Chaque chant nous ouvre sur des horizons, des êtres nouveaux, et le poète y insère fabuleux et magie, inconnus dans l’Iliade. Une grande place est laissée à l’imaginaire et le suspense dramatique tient le spectateur en haleine.
            On peut également noter la présence de nombreux motifs folkloriques que l’on retrouve dans d’autres contes et légendes : le géant stupide vaincu par la ruse (David et Goliath / le Petit Poucet), les objets magiques (les Bottes de sept lieues, l’épée du roi Arthur), les hommes métamorphosés en bêtes (La Belle et la Bête), la curiosité punie (la jarre de Pandore, le cabinet de Barbe-Bleue), la nourriture interdite (le fruit du jardin d’Eden) …

            L’ancrage dans le quotidien

            Le poète de l’Odyssée peut d’ailleurs parfois faire appel à la réalité la plus concrète. Ainsi, il magnifie la vie rurale ou artisanale en décrivant les jardins des Phéaciens, le travail d’éleveur du Cyclope, la construction du navire chez Calypso … Il met aussi en scène des personnages très simples comme le porcher Eumée dont il décrit les étables. Les comparaisons font d’ailleurs souvent appel à des scènes de la vie quotidienne ainsi les compagnons d’Ulysse accueillent celui-ci comme les veaux des parcs vont tous ensemble bondissant / au-devant du troupeau de vaches rentrant à l’étable ».
            Peut être le poète veut-il tempérer le surnaturel, par la vraisemblance de cet ancrage réaliste et établir un lien avec ses auditeurs / lecteurs en faisant allusion à des réalités communes à tous.
Des registres variés
            Le pathétique

            Le poète y a souvent recours pour insister sur les épreuves de l’humanisation d’Ulysse : ainsi on le voit souvent pleurer, même chose pour ses compagnons. De plus, quasiment chaque épisode se termine par les vers : « Nous reprîmes alors la mer avec tristesse, / heureux d’être vivants, mais pleurant nos compagnons morts ».
Ce pathétique peut être utilisé pour agir sur l’auditoire en amplifiant à la fois le suspense et le poids des malheurs du héros, ce qui contribue d’ailleurs à le magnifier. D’autres scènes font appel à la compassion, notamment quand la solidarité humaine se heurte aux limites de la mort, quand les compagnons d’Ulysse sont dévorés par Scylla. Enfin, Ulysse pleure lors des récitations de Démodocos, ou face à l’ombre de sa mère. Mais c’est surtout chez Calypso qu’il libère sa tristesse : « où il passait ses jours, / le cœur brisé de larmes, de soupirs et de tristesse ».
           
            Le comique

            Sans oublier que l’Odyssée fait aussi appel au registre comique, notamment pour conter les aventures d’Arès et Aphrodite, traitées de façon légère. Quant à l’astuce d’Ulysse face au Cyclope, elle relève du comique traditionnel car elle met aux prises une grosse brute et un petit malin. Enfin, les relations entre Athéna et son protégé peuvent elles aussi prendre une dimension comique, notamment lorsqu’elle se moque de son goût pour la tromperie. 

jeudi 21 avril 2011

En l'honneur du 100ème message du site, je vous propose une petite recette, légèrement modifiée par mes soins, et qui régalera les amateurs de chocolat.


Gâteau choco-nutella : 
        Ingrédients : 


200 g de chocolat noir
- 4 oeufs
- 100 à 150 de Nutella - 125 g de beurre
- 200 g de sucre en poudre
- 120 g de farine
- 1 sachet de levure
- une pincée de bicarbonate de soude

       Préparation :

 Préchauffez le four à 200°C. 

Faites fondre le chocolat au bain-marie et le Nutella au micro-ondes. Même démarche pour le beurre. Mélangez les trois ingrédients ensemble. 
Dans un saladier, mélangez les oeufs et le sucre, la levure puis la farine, ainsi que le bicarbonate de soude (pas indispensable, mais rend le gâteau plus léger). 
Y ajouter le mélange chocolat-beurre-nutella, puis mélangez jusqu'à obtention d'une pâte homogène. 

Versez dans un moule beurré et fariné, pour qu'il se décolle mieux.  
Faites cuire environ 35min (moins ou plus, selon le type de four utilisé).


Une fois cuit, laissez refroidir quelques minutes, puis démoulez. 


Bon appétit !

Sens et interprétations - L.


SENS ET INTERPRÉTATIONS

Un périple vers la sagesse morale

            D !s le VIème siècle avant JC, beaucoup ont cherché en Ulysse un modèle moral, tandis que certains poètes tragiques, comme Sophocle, Et Euripide, en font un exemple négatif de fourberie et de cruauté. Son odyssée devient dès lors un périple vers la sagesse, où chaque étape constitue une figure allégorique des dangers menacant le sage : les Lotophages symbolisent l’attirance pour la vie facile,  le Cyclope avec son œil unique enfermé dans sa caverne, représente l’ignorance et la bestialité, Circé les passions qui rabaissent l’homme au rang d’animal, Scylla l’impudence (image de la chienne), et Charybde la débauche jamais rassasiée.
            Quant aux Sirènes, elles ont suscité une multitude d’interprétations philosophiques ou religieuses : figures de la tentation, elles veulent séduire le philosophe qui s’est attaché au mat de la sagesse, et se protège par la cire, qui représente les leçons du maître. Un interprétation chrétienne y voit quand à elle, la tentation du savoir uniquement profane qui conduit à la mort de l’âme. Enfin, la curiosité d’Ulysse qui veut connaître ces différents mondes a pu être interprétée comme le désir de connaissance du philosophe.

Un périple initiatique
            Les étapes fondamentales de la formation

            D’abord, il a la séparation du futur initié avec son milieu habituel, souvent accompagnée d’une  transgression : ainsi, au départ de Troie, certains chefs dont Ulysse n’ont pas offert les sacrifices nécessaires aux dieux qui entraîne pour le héros le rejet du monde connu au cap de Malée. Puis, Ulysse s’attire les foudres de Poséidon, et ses compagnons celles du Soleil.
            Puis, il y a la mort symbolique : ainsi, chaque étape du héros est marquée par une perte symbolique (de compagnons, de sa flotte, de son navire). En outre, Ulysse connaît une mort symbolique à presque chaque épisode : que ce soit l’ensevelissement dans une grotte par Polyphème ou Calypso, la négation de lui-même par le nom de Personne ou la mort par l’oubli chez les Lotophages et enfin la confrontation directe avec le monde d’Hadès. D’ailleurs, seul Ulysse franchit ces étapes, alors que ses compagnons trépassent, subissant l’effacement total.
            Ensuite vient la renaissance  après sept années passées hors du temps et du monde, passées à pleurer comme une sorte d’expiation, Ulysse doit accepter le dépouillement total et arriver dans une nudité rituelle en Phéacie
            L’initiation aux rites de la collectivité constitue un retour au monde : la Phéacie représente en effet le lieu idéal pour Ulysse, qui va s’y redécouvrir, par le biais d’une humanité civilisée et harmonieuse. L’initiation passe aussi par l’aède, dépositaire de la mémoire collective, qui rend à Ulysse son identité, son passé, et l’accès à la parole. Puis, les Phéaciens vont entreprendre avec lui le dernier passage d’Ulysse qu’l vivra comme une gestation, de nuit au creux du vaisseau et plongé dans un sommeil magique. Mais il faudra encore un dernier passage celui du déguisement et du mensonge pour qu’Ulysse reconnaisse enfin sa terre.

            Vers plus d’humanité ?

            Au début de l’Odyssée, Ulysse est un guerrier victorieux, certain de son retour, les bras chargés de richesse. Mais tout son périple contribue à le dépouiller de ce statut et à lui faire acquérir une humanité plus juste. Dans cette évolution, la descente chez Hadès marque un tournant puisque dès lors, la force et la ruse ne seront plus d’aucune utilité au héros qui devra alors s’en remettre à sa maîtrise de soi, et à sa constance, qualités strictement humaines.
D’ailleurs, son attitude vers ses compagnons change aussi, alors qu’il s’était résolu à abandonner sa flotte chez les Lestrygons, il décide de sauver ses compagnons chez Circé.
            En fait, le périple d’Ulysse n’a pas pour finalité de lui faire transcender sa condition humaine, mais au contraire de lui faire choisir l’humanité en toute conscience, connaissant désormais le sort réservé aux mortels. Il a découvert la juste place de l’humain différent des bêtes primitives et libéré du désir de régression vers le passé et des sirènes de l’oubli.

            La catharsis finale

            Après la violence et le désordre de ses errances, Ulysse va encore trouver un autre chaos sur son île, et la reconquête va s’achever dans un bain de sang : le massacre des prétendants. Mais Zeus et Athéna interviennent pour rétablir une paix définitive à Ithaque. Ulysse quant à lui à un dernier voyage de purification à effectuer, annoncé par Tirésias dans la nekuia. Il aura pour but de rejoindre « ceux qui ignorent / la mer », et sera terrestre, comme en miroir à l’autre voyage. Alors, le héros pourra obtenir l’apaisement de Poséidon, comme s’il était enfin sorti de son champ d’action : Ulysse n’aura alors plus rien à craindre de la mer.

La nekuia
            La conception homérique de la mort

            Chez Homère, les morts sont rejetés au delà du fleuve Océan. Le chant XI est une nekuia c’est-à-dire une évocation des morts et pas vraiment une descente aux enfers. La mort est alors vue comme une désintégration de ce qui faisait l’être : « les nerfs ne tiennent plus ni les chairs, ni les os ensemble ». L’âme, chez Homère est une sorte de double, de fantôme à l’image exacte du défunt au moment de sa mort, ce qui permet de le reconnaître. Mais cette image est amoindrie et sans consistance, accessible à la vue uniquement, et non pas au toucher : « trois fois hors de mes mains, pareille à une ombre ou un songe / elle s’enfuit ». Tout ce qui faisait sa personnalité vivante s’est évanoui dans la dissolution du corps mortel. Ces morts vivent alors dans le regret de la lumière et de la vie terrestre dont ils ignorent désormais tout. Cette conception amère de la mort, explique ainsi la tristesse régnant dans « la forte prison d’Hadès ». Nulle sérénité, nul apaisement ne s’en dégage, mais « la peur verte » devant cette multitude d’ombres, avides du sang qui leur redonnera la faculté de sentir et de s’exprimer, avec qu’elles ne sombrent une nouvelle fois dans une torpeur à demi consciente.

            Une étape dans l’initiation

            Ainsi, seule la confrontation avec la cruauté de la mort permettra au héros de résister à l’appel des Sirènes, mais lui donnera aussi une dimension héroïque lorsqu’il refusera l’immortalité proposée par Calypso. Il découvre ainsi la dure loi des mortels, l'égalité de tous devant la mort, et l’impuissance humiliante des grands meneurs d’hommes (cf Agamemnon). Il s’aperçoit ainsi que les sentiments qui ont animé les être vivants durant leur vie ont perdu tout sens chez Hadès et qu’ils ne peuvent désormais plus s’exprimer : la mère d’Ulysse ne peut l’embrasser, et la gloire pour laquelle Achille est mort n’est que vanité dans ce monde. En fait, c’est comme si tout ces morts voulaient lui dire que la seule valeur est la vie même, la lumière du soleil, la tendresse des hommes …
            Il vit aussi la coupure avec sa mère, qu’il veut prendre dans ses bras, mais ses bras se referment dans le vide : c’est ici une sorte d’initiation au mystère de la perte radicale, à la limite ultime des pouvoirs humains … Et c’est sa mère elle-même qui le renvoie au monde des vivants et à son destin de mortel : « Allons ! empresse toi vers la lumière, et tout cela, / retiens-le pour le répéter plus tard à ton épouse ! ».    

L'espace et le temps - L.

L’ESPACE ET LE TEMPS

Une géographie réelle ?
            La navigation historique

            Les navires homériques étaient propulsés à la rame et à la voile, rectangulaire qui était tendue au mât. Même le meilleur pilote qui le dirigeait était toujours soumis aux quatre vents qui sont (dans la croyance grecque) entre les mains des dieux, et peuvent favoriser ou non la navigation. D’où le vers que l’on retrouve plusieurs fois : « On se laissa conduire par le vent et par le pilote ».

            Homère, géographe ?

            Les Anciens pensaient qu’Homère avait déguisé sous des noms d’emprunt des pays réels et rassemblé les connaissances géographiques de son époque. Mais cette interprétation qui date sans doute des VIIème et VIème siècles, époque où les colons ont essayé de retrouver des souvenirs de leur épopée nationale.
            Victor Bérard est celui qui a poussé le plus loin la théorie d’une Odyssée réaliste : il est parti de l’idée qu’Homère, sans avoir une connaissance précise des lieux s’était inspiré des traités de navigation phéaciens, ce qui explique ainsi la précision de certains détails.
            Toutefois, il est difficile de faire d’Homère un géographe, du fait que les directions qu’emprunte Ulysse sont souvent confuses, et qu’il est le jouet du tourbillon des vents.
            Quant au traducteur de l’Odyssée, il préfère une géographie poétique : ainsi, le périple d’Ulysse ne commence-t-il pas dans le pays de l’oubli (les Lotophages) pour se terminer par un sommeil magique – ce qui nous emmènerait alors dans les pays des songes ?

Une géographie imaginaire ?
            Terre et mer

            Cette opposition constitue l’axe fondamental de l’Odyssée : la terre est l’espace humain, tandis que la mer est le lieu de l’inconnu, peuplé de monstres. Ainsi, les routes terrestres sont visibles alors que les voies maritimes sont changeantes, soumises aux aléas du vent, et à tous les dangers tant et si bien qu’Ulysse accuse Calypso de le pousser à se perte en l’incitant « à franchir en barque ce douloureux, / terrible abîme ». La « terre du blé » nourrit de sa fécondité les sociétés humaines organisées, tandis que la « mer stérile » ne produit que des îles peuplées de « hors la loi » qui ne connaissent ni l’agriculture ni les lois humaines (cf Poséidon, et Circé et Calypso qui vivent seules et violent les lois de l’hospitalité).
            L’opposition se prolonge dans le monde divin. La mer est le royaume de Poséidon, dont la colère frappe même ceux qui lui sont proches, à l’image des Phéaciens issus de son fils et qui risquent un terrible châtiment pour avoir aidé Ulysse à rentrer chez lui. Son pouvoir s’étend aussi bien sur la mer que sur les abysses, mais est aussi appelé : « l’Ebranleur des terres », qui agit sur les racines du monde.
Ainsi, les autres dieux le redoutent, et Zeus et Athéna profitent de son absence pour organiser le retour d’Ulysse et ce n’est qu’une fois que Poséidon est dans son palais sous-marin qu’Athéna porte secours à Ulysse, toutefois sans se manifester. D’ailleurs, au héros qui constate qu’elle ne l’a jamais aidé durant son périple en mer, elle répond : « je ne voulais pas combattre Poséidon ». La terre ferme ainsi le domaine de Pallas, qui sait alors mieux favoriser son protégé.
            Par ailleurs, l’homme homérique craint la mer, mais doit savoir à l’image d’Ulysse la maîtriser, naviguer, piloter un bateau voire même le construire. Cette capacité apparaît alors comme une preuve d’humanité, puisque les Cyclopes ne savent pas naviguer. Pour un Grec cependant, rien n’est pire que la mort en mer, qui équivaut à une mort sans gloire.
            L’Odyssée d’Ulysse ressemble donc bien à une  longue épopée maritime, avant de retrouver la terre et surtout sa terre.

            Du connu à l’inconnu

            Ulysse au cours de son périple va de très nombreuses fois, et cela très rapidement passer du connu à l’inconnu, à un ailleurs qui obéit à d’autres lois. Chez les Cicones, où Ulysse et ses compagnons se livrent à un pillage en règle, ils sont encore dans le connu, mais par la suite, les dieux empêchent le bateau de passer le cap de Malée, ce qui entraînent les marins dans des régions inconnues. Ulysse et ses compagnons quittent alors le monde des humains « mangeurs de pain » pour aller à la rencontre de « mangeurs de fleurs » (les Lotophages) ou de chair humaine. Enfin, tout de suite après les Lotophages, il aborde chez les Cyclopes, « pays de hors-la-loi » et il lui faudra attendre la rencontre avec les Phéaciens pour un retour à une société humaine.

            Le monde de l’errance

            Une fois le Malée passé, Ulysse aborde l’inconnu, et qualifie ainsi avec raison la mer de « brumeuse » et semble alors naviguer à l’aveuglette, privé de ses repères, comme en témoigne d’ailleurs l’arrivée chez le Cyclope. Chaque accostage devient alors une grande interrogation : « en quelle terre encore ai-je échoué ? / Vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice / ou des hommes hospitaliers, craignant les dieux ? ».
            D’ailleurs, la présence d’habitants n’est alors plus marqué par des cultures, mais pas de simples fumées, dont il apprendra à ses dépens, qu’elles ne se révèleront pas forcément des êtres hospitaliers. Toutes ces îles sont des lieux inhospitaliers, sur lesquels Ulysse échoue par hasard, ou au gré de la volonté des dieux. En outre, sur ordre de Circé, Ulysse devra renoncer à toute maîtrise sur la direction de son navire pour se rendre chez Hadès. L’épreuve ultime de dépossession dans l’errance sera d’abandonner son épave et de se laisser dériver, et balloter sous les flots déchainés, uniquement protégé par l’écharpe d’Ino.

            L’expérience des limites  

            Le périple d’Ulysse le confronte également aux frontières du monde connu et aux limites de l’humain. Si on peut dans une certaine mesure observer un Axe Est-Ouest (l’île de Circé est à l’Est, tandis que Ogygie, l’île de Calypso semble être à l’Ouest), tous ces lieu ont en commun d’être aux extrémités du monde connu et isolés des hommes. Schérie se trouve ainsi « très loin des hommes mange-pain », et Nausicaa expliquent explique que les Phéaciens vivent « au bout du monde, et sans fréquenter d’autres hommes ». Enfin, pour aller chez les morts, Ulysse doit atteindre « les confins u profond cours de l’Océan », le fleuve qui délimité la périphérie du monde humain. En fait c’est une géographie initiatique que décrit l’Odyssée, où le héros découvre toutes sortes d’au delà, pour enfin se retrouver lui-même, seul, confronté à son propre monde à reconquérir.

Des pats fabuleux
            Les îles qu’Ulysse rencontrent se ressemblent parfois, par leur caractère paradisiaque ou funeste, et possèdent toutes des aspects « in-humains », surnaturels, ou féériques.

            Une nature paradisiaque
           
            En général, les lieux ne connaissent pas l’agriculture, mais disposent d’une nature généreuse. Ainsi, chez les Cyclops, « tout pousse sans labour et sans mailles ». La grotte de Calypso est entourée d’arbres er de fleurs, ainsi que de quatre sources tant et si bien que « même un dieu / se fût senti émerveillé et plein de joie ». L’île d’Éole est un véritable pays de félicité, et ses fils et filles « toujours festoient ». D’ailleurs, cette île possède plus de caractéristiques surnaturelles, puisqu’elle est flottante.

            La Schérie : une utopie

            Cette île a un rôle particulier de par sa place centrale, et le nombre de chants qui lui sont consacrés. Ainsi, elle représente une sorte de transition entre les mondes surnaturels visités par Ulysse, et la terre réelle d’Ithaque. Si les Phéaciens sont bien des mortels très hospitaliers, ils gardent des traces de merveilleux, car il est notamment impossible de situer l’île des Phéaciens. Ainsi, comme pour les protéger, Homère faire errer Ulysse pendant 18 jours avant qu’il ne l’atteigne et le plonge dans un profond sommeil lorsqu’il en repart.
            La Schérie comporte d’ailleurs des éléments surnaturels comme le fait que ses vergers produisent en permanence, et que ses navires ont des pouvoirs magiques : « Nous autres Phéaciens ne nous servons pas de pilotes, / et nos vaisseaux n’ont pas de gouvernail comme les autres : / ils deviennent tout seuls les pensers, les desseins des hommes ». Quant à la description de la ville, elle relève de l’utopie, du fait de l’emploi d’une hyperbole : « un éclat comme du soleil et de la lune / rayonnait sous les hauts plafonds d’Alcinoos ».
Le quotidien des Phéaciens semble d’ailleurs paradisiaque, avec les « festins, la lyre, les danses, / les bains chauds et les lits, les vêtements souvent changés … ». Ils offrent d’ailleurs à Ulysse des cadeaux splendides.
            Leur société même fonctionne de manière idéale, il n’y ainsi pas de rivalité, sauf celle sportive, arbitrée par un couple royal symbole d’harmonie et de sagesse. Alcinoos règne avec modération entouré du conseil de 12 rois, tandis qu’Arété est vénérée comme une déesse, et intervient aussi dans les affaires des hommes.

            Le monde des morts

            Comme pour l’île des Phéaciens, il semble impossible qu’un mortel puisse l’atteindre par ses propres capacités. Or, c’est sans pilote qu’Ulysse atteint le royaume d’Hadès. L’ombre d’Anticlée, mère d’Ulysse, souligne la distance incommensurable  entre le monde des vivants et celui des morts : « entre eux et nous sont de grands fleuves et d’affreux courants / et l’Océan ». Ce monde se révèle d’ailleurs totalement inhumain, en cela que les arbres y sont stériles, et que le soleil est absent. D’ailleurs, l’idée même d’y aller, suscite chez Ulysse et ses marins larmes et désespoir, et c’est le seul endroit où le héros éprouve la « peur verte ». Enfin, il finit par s’enfuir, par crainte de voir la Gorgone.
           
            Ithaque, un entre deux ?

            Même Ithaque semble étrangement contaminée par l’errance d’Ulysse, notamment parce qu’à l’issue de sa traversée magique, il est plongé dans un sommeil « profond et tout pareil au calme de la mort », et entouré de brouillard par Athéna, croit se trouver ailleurs. D’ailleurs, à la première description de l’île apparait un lieu plus fabuleux et maritime que terrestre, avec la mention de Phorcys (divinité marine) et des Naïades. Au contraire de la présentation d’Ithaque par le pâtre, qui est en fait Athéna, et qui est plus réaliste et la situe dans un monde à la portée de la mesure humaine. Il faudra d’ailleurs qu’Athéna dissipe le brouillard afin qu’Ulysse reconnaisse enfin son île. Cette double nature d’Ithaque, constitue-t-elle une dernière épreuve pour le héros, qui devra retrouver sa vraie réalité, et non pas une île rêvée (de la même façon, Pénélope, mettra longtemps à admettre que l’homme devant elle est son époux) ? Est- ce une façon de signifier que rien n’est plus pareil après vingt ans d’absence … ?

            La marche du temps

            Les durées pour les trajets en mer sont plutôt symboliques que réalistes. De plus Ulysse passe peu de temps en mer, pour un périple censé durer dix ans. Ainsi, le temps semble écartelé entre l’impatience du retour et une sorte de temps arrêté qui risque d’engloutir le héros.