Le sujet et sa liberté : le désir, autrui
Le désir a-t-il l'Autre pour le moi ?
1- Le moi a le désir (Freud)
2- Le moi est le désir (Spinoza) ⎬ c'est le moi qui fait le désir
3- C'est le désir qui fait le moi (= qui distingue le moi et l'autre) (Hegel)
Problématisation : "j'ai le désir de …"
L'homme a ses désirs. En apparence, il possède ce désir, il le suppose maîtrisable. Ce serait comme un objet qui se prête à notre action, par exemple : confronté à une dépendance. Je vérifie que le désir est un univers de passivité (des évènements qui s'enchainent en se donnant libre cours et la volonté agit (sur le désir). Et en même temps nous savons que le désir déploie une force extraordinaire. Nous disons je désire, j'ai le désir de … mais nous ignorons l'identité de ce "je" qui se met à part, nous ne savons pas d'où lui vient cette autonomie et de quel droit le "je" se la prête. Nous présupposons sans critique véritable. Or, il est évident que le sujet humain n'a pas nécessairement un désir comme en posséderait un objet étranger, extérieur … Le désir est il l'Autre pour le moi ?
principe de réalité : distinction entre le possible et l'impossible.
1- Le moi a le désir (Freud) - thèse
Le sujet est soumis à une genèse, on peut le reconstituer à partir des éléments les plus spontanés. Le désir plonge ses racines dans l'inconscient et dans sa forme radicale : la pulsion.
(Pulsion : réalité intermédiaire entre physique et psychique
4 étapes de la pulsion : - La source
- La poussée
- Le but
- L'objet )
Le moi apparait comme l'instance qui tend à se dresser face au "ça". L'introduction du principe de réalité pour faire pendant au principe de plaisir.
Le moi prête (traite ?) la sphère des désirs comme un élément autre, celui qui résiste (à la volonté, aux intentions directrices de la vie consciente) et du coup, la distinction du possible et de l'impossible devient la pierre angulaire de la construction. Le moi est déjà comme un diplomate, exposé et menacé, il doit satisfaire à la fois, le ça et le monde extérieur. La difficulté s'accentue avec la 3ème instance : le surmoi qui distingue entre permis et interdit.
Bilan : Le moi est resserré, bloqué entre 3 exigences :
- la réalité, le monde extérieur qui ne fait pas de compromis.
- le désir sous sa forme initiale (le ça) qui impose sa puissance organique.
- la critique, la censure du surmoi qui utilise certaines modifications du désir.
Critique du 1 : l'indécidabilité (ne pas pouvoir trancher) de cette thèse : On ne peut pas trancher sur l'orientation de la psychanalyse. D'une part, une invitation à l'encadrement, voire à la répression ("le moi doit déloger le ça").
D'autre part, l'expression (libre) (voir LACAN : "là où était le ça, le moi doit advenir".)
2- Le moi est le désir (Spinoza)
Le désir est le même pour le moi. Autant dire que le désir est le moi.
conatus (effort)
(choséité) ↙ ↘
conservation simple, vie
inertie ↙ ↘
végétalité humanité (=désir)
+ animalité avec conscience
sans conscience (= tendance)
Ce qui existe, jamais ne se détruit spontanément.
Le désir serait donc l'essence même du psychisme et sa totalité, sans la moindre relation d'extériorité ou d'étrangeté avec le moi. En d'autres termes, le moi se réduirait au désir, il ne serait pas son vis-à-vis, il serait tout le mouvement d'affirmation propre au désir.
Voir Spinoza : le moi est une vie, une activité qui se déploie mais avant tout une puissance qui s'effectue = qui produit des effets. Cette puissance reflète, traduit son fondement ultime : l'existence qui n'est pas une propriété des choses mais toute leur réalité. Ce qui existe, c'est le Tout, l'Univers, c'est-à-dire ce qui n'a aucune extériorité. Le Tout est affirmation (de soi) et il tire de soi son principe d'existence mais il n'est pas produit ou causé par autre chose. Cette cause de soi se retrouve exprimée dans toute chose singulière existante (ex : le moi).
"Tout ce qui existe s'efforce autant qu'il le peut de persévérer dans son être
➝ Toute expérience se définit comme effort (conatus) mais ce n'est pas nécessairement une tension vers quelque chose. C'est le plus souvent une continuation, une observation de ce qui est (sur le mode des choses, et par inertie). Et puis, le conatus produit aussi la vie = un mouvement d'appétition (une existence qui se porte vers …) voir le vivant qui recherche des aliments. La vie se partage en deux espèces :
- d'une part la tendance simple = sans conscience = sans réflexion sur soi (voir végétaux + animaux).
- d'autre part, le désir : "tendance accompagnée de conscience" = le cas de l'être humain. Le désir n'est pas une propriété de l'homme, c'est l'homme tout entier, c'est-à-dire un mouvement d'affirmation de soi qui se trouve réfracté par la conscience.
"Le désir est l'essence de l'homme". Spinoza. Le désir est son être (et pas son avoir). Le désir n'est pas une chute, une déchéance, la marque d'une imperfection, ou un affaiblissement. Rien ne manque à l'homme. Désirer, c'est exprimer une plénitude, une action, une puissance de vie. L'objet désiré n'est pas la preuve d'un manque mais l'apparition d'un moyen (de satisfaire le désir). Du coup, c'est le désir qui détermine ces objets, c'est le moi désirant qui peut seul, se prononcer, mais ce n'est pas l'objet en soi qui devrait susciter ou justifier le désir. Ce n'est pas le désirable qui détermine le désir, c'est l'inverse.
"Ce n'est pas parce que nous jugeons une chose bonne, que nous la désirons, c'est parce que nous désirons une chose que nous la jugeons bonne". Spinoza.
ATTENTION : Le désir n'est pas "normatif" = il ne se prononce jamais sur le Bien et le Mal. Et réciproquement, il échappe à tout discours moral. Spinoza écrit une Ethique = une théorie des affections (les modifications du sujet, du moi, de la personnalité, etc …)
Ce projet suppose une distinction entre deux perspectives :
a- La moralité = une opposition entre ce qui doit être et ce qui est, d'où le Bien = conformité du second au premier et le Mal, discordance entre le second et le premier.
b- L'éthique qui exclut toute opposition et même toute distinction entre devoir être et être. L'éthique s'intéresse à des valeurs extra-morales avant tout, l'utile et le nuisible, parfois appelé bon et mauvais.
Spinoza présente le désir sous un jour inconnu. Auparavant, on le contrôlait au point de le réprimer, comme une force suspecte (d'immoralité). Spinoza innocente le désir, c'est-à-dire il le libère de toute culpabilité, il le présente comme la référence qui peut faire loi. Bref, il lui attribue un dynamisme, une plasticité qui peuvent modeler la vie des hommes. Il faut exclure l'idée d'une loi morale habilitée à juger le désir c'est-à-dire à lui désigner certains objets comme recommandables ou abominables. Il reste une seule règle en la matière : voir quel désir réussit à l'homme, c'est-à-dire lequel peut étendre la puissance = augmenter sa puissance d'agir.
ex : l'ivrogne désire le vin. Nul n'a le droit de disqualifier ce désir en invoquant une certaine immoralité. Il n'y a pas de devoir être, c'est-à-dire de modèle imposé par un créateur, un grand architecte … Selon Spinoza, le Bien et le Mal n'existent pas, puisqu'il n'y a pas de devoir être.
Dieu est le tout de ce qui existe et donc tout ce qu'il a à être = il n'est séparé de rien. Du coup, il ne vise aucune fin (rien ne lui manque) et ainsi il n'a pas à vouloir (nul besoin de volonté) d'où aucune législation. Dieu ne donne pas des ordres. Et les hommes n'ont pas à obéir ou à désobéir. D'où, ni Bien, ni Mal = aucune conformité ou non conformité à la volonté divine (qui n'existe pas).
ATTENTION : Le désir nous vaut ici une clarification :
- ou Dieu est un tyran qui donne des ordres et qui réprime (toute désobéissance)
- ou Dieu est l'ordre des choses, la nécessité universelle, la totalité des lois physiques (inviolables).
• 2 divisions incompatibles :
- la première développe l'obscurantisme et la crainte des hommes + des passions tristes (on culpabilise le désir, on encourage la mortification, l'ascèse, l'ascétisme …)
- la seconde développe le désir de connaître : la science, d'où une maîtrise de la nature hors de l'homme mais aussi dans l'homme, et le concorde et la paix ? .
Critique du 2 : Spinoza propose une géométrisation de la liberté et du désir. Il prend le contais comme fil conducteur et il en fait un principe de vie. La fondation de la science moderne, Galilée : "la nature est un livre écrit en langage mathématique".
Projet de Spinoza : On mettra les conduites humaines sur le même plan que les objets naturels.
"L'homme dans la nature n'est pas comme un empire dans un empire". Spinoza.
Supposons que l'homme soit une exception (une sorte de miracle) il n'y aurait plus de loi physique, c'est-à-dire la nécessité universelle disparaitrait et du coup, la science deviendrait impossible. Supposons que notre liberté soit un libre arbitre, c'est-à-dire une faculté de décider absolument n'importe quoi, alors l'homme serait un être inintelligible.
Spinoza veut élaborer une science du désir, d'où la présentation des affections comme des points, des lignes, et des volumes.
Le risque est évident, la réification de notre vie psychique, c'est-à-dire nous la réduisons à une simple chose et nous passons à côté de sa vie en sous estimant le rôle que joue la subjectivité dans la genèse des conduites.
Spinoza montre que la nature du désir détermine l'identité de l'homme (espèce mais aussi individu). Mais il ne montre pas comment le moi devient libre à une seule condition : n'obéir qu'à soi même. Pour être libre il faut se faire à la fois maître et serviteur de soi-même. Spinoza écrit une Ethique, mais c'est une éducation sans éducateur. Il faudrait expliquer que dans le désir, la conscience ne se réduit pas aux simples sentiments, c'est-à-dire, la conscience est réfléchie = conscience de soi et elle ne s'en tient pas aux simples sentiments de soi.
Comment expliquer que le désir nous tire hors de l'animalité ?
Le désir "humanise" le vivant. Dans son principe, il accomplit un passage. En d'autres termes, il ne caractérise pas un état, il montre comment le sujet se constitue et s'affirme dans son humanité : le désir contient quelque chose qui prend à témoin. Il suppose la présence de l'Autre. Il se présente comme un vis-à-vis pour cette présence. Si le désir est spécifiquement humain, c'est parce qu'il sait dire que le Même n'est pas l'Autre.
3- C'est le désir qui fait le moi (qui distingue avoir (relation à ce que j'ai) et être (relation à ce qui est moi)
(qui distingue l'Autre et le Même)
C'est le désir qui fait le moi, et cela en distinguant l'Autre et le Même. Autrement dit, le désir accomplit la conscience de soi. Le désir pose en opposant. En d'autres termes, il pose le moi en l'opposant à l'Autre, c'est-à-dire à un Non-Moi. Quelle est la vérité du désir ?
L'identité : je=je ne réside pas dans la conservation d'une unité avec soi-même. Elle se trouve dans la décision de risquer la rupture.
Voir Hegel : dialectique du maître et du serviteur, Phénoménologie de l'Esprit. (1807).
A- Le désir animal
(schéma)
Le désir apparait comme un phénomène biologique avant tout. Autrement dit, il prend son sens dans la logique du vivant : être en vie, c'est ne pas être inerte = rester exposé à la mort. On risque la mort soit par une cause extérieure, soit par une cause interne. Le second cas serait le plus fréquent, le plus "urgent", voir la nécessité de se nourrir = le fondement végétatif de la vie. Vivre, c'est pouvoir se donner une croissance et se développer, puis se conserver et éventuellement se reproduire.
Un animal, c'est un déséquilibre compensé = un ordre menacé à tout moment, voir la nutrition et le risque d'inanition. Tout cela présente l'individu vivant comme un poste d'observation qui voit tout le monde extérieur comme l'Autre, c'est-à-dire le Non-Moi. Et du coup, apparait dans ce Non-Moi une distinction :
- d'une part, ce qui est vital, c'est-à-dire ce qui donne le moyen de survivre = le consommable,
- d'autre part le reste.
Voir le comportement de la proie = prédateur. L'animal sent un vide, il est porté à le combler et il le fait en consommant une autre espèce = en tuant d'autres animaux.
"Le désir (pris de façon absolue) est destructeur". Hegel.
Désirer, c'est avant tout consommer, c'est-à-dire nier l'existence (d'un objet, d'un être, etc …) Le désir animal est donc limité de façon très étroite : il ne s'élève pas au dessus du simple sentiment de soi = il n'accède pas à la conscience de soi. L'animal est capable de sentir (une appétition) et réciproquement, à chaque fois qu'il désire, cette expérience le rabat sur du sentiment ou du "senti". Donc, ce désir est primaire et fruste, il lui manque la réflexion, c'est-à-dire il ne se réfléchit pas, il est vécu dans l'immédiat, il lui manque une médiation.
B- L'entrée dans l'humain (le désir humain)
Le point de départ est nouveau. Pourquoi ? Il faut débloquer une situation, c'est-à-dire montrer comment l'homme se définit de façon scientifique = en qualité d'humain = comment il dépasse l'animalité. D'où une alternative :
- soit la fidélité à la vie (biologique)
- soit le rejet de la vie (biologique)
D'où une constatation : en rester à la vie, c'est s'attacher à la simple survie = exprimer la logique du vivant et de la nature et du coup, ce qui prime, c'est le souci de se protéger et le rejet de tout risque.
L'autre possibilité, c'est d'affirmer la préséance de l'humain, donc de la liberté. Dans ce cas, l'humanité, c'est l'affirmation de la liberté contre la pression biologique et le nivellement par le bas qu'elle impose.
La vérité du désir humain est une exigence de reconnaissance. Etre reconnu par autrui, dans cette qualité d'humain qui consomme, qui effectue la rupture avec l'animalité (= l'attachement biologique à la vie). Etre humain, c'est montrer qu'on vaut mieux que cette espèce de survie organique qui ne libère pas. Etre humain, c'est prouver qu'on peut s'affirmer par liberté et non en simple consommateur d'individus vivants (prédateur). C'est attester une volonté de s'affirmer, c'est-à-dire de se poser en s'opposant par un mouvement d'opposition. Notre désir dépasse le sentiment de soi. En d'autres termes, le désir humain prétend à la conscience de soi. Ce n'est pas la relation à la chose qui la produira, même si cette chose présente les propriétés du vivant. Il faut se heurter par un choc à un autre prétendant, c'est-à-dire une conscience qui désire elle aussi être reconnue dans son humanité.
Le désir humain est un mouvement et il dit, il expose la recherche de la conscience de soi. D'une part, une activité qui dépasse le sentiment, d'autre part, une activité qui se réfléchit. L'entrée dans l'humain a lieu non pas par sympathie, c'est-à-dire sentir ensemble la même chose, mais par un chic, une concurrence, un concours (deux prétendants pour une seule place, celle de la conscience reconnue et libre).
La lutte pour la reconnaissance : c'est une lutte à mort, mais seule la liberté doit mourir. Pourquoi ? Nous ne sommes plus dans la sphère de la vie purement biologique. En d'autres termes, une mort physique imposerait la retour à la phase antérieure, au désir "destructeur", celui qui consomme.
Le désir animal traite littéralement l'Autre comme une chose, c'est-à-dire toute réciprocité est exclue. Hegel propose un modèle qui met à nu la logique du désir humain. Une sorte de parabole qui peut rendre compte de nombreuses situations, relations entre les être humains.
Deux consciences se dressent face à face :
Chacune des deux veut obtenir la reconnaissance de l'autre, ce qui suppose l'apparition d'une inégalité. Deux figures contraires se constituent :
a- La 1ère préfère la vie à la liberté = figure de servitude
b- La 2nde préfère la liberté à la vie = figure de maîtrise
La première se dirige vers l'obéissance et la soumission (voir l'esclave comme institution Antique : servis : conservé (en vie). La conscience s'est partagée en 2 figures dissymétriques. D'un côté, l'attachement animal à la survie (animalité), de l'autre, le risque qui fait entrer dans l'humain. Il vaut mieux mourir debout que vivre à genoux.
NB : Le face à face est un modèle qui explique la vérité, c'est-à-dire la spécificité du désir humain. Voir l'amour : quand on aime quelqu'un, on veut en être aimé. Le désir humain porte en fait sur le désir que l'autre peut vivre, c'est-à-dire réfléchir, renvoyer. Notre désir a donc une structure dialectique c'est-à-dire il suppose un mouvement contraire, qui vient de l'être aimé.
Je désire = je désire être désiré.
C- La libération par le travail
Deux figures : l'une qui semble porter toute l'humanité = le maître, l'autre qui parait continuer la simple animalité, le serviteur. D'où une situation qui semble bloquée. En fait, le maître n'a pas d'avenir, c'est-à-dire il ne règne que symboliquement, il donne des ordres, on les exécute mais il n'agit pas, et surtout il ne produit pas, il utilise des signes. Le signe montre et cache à la fois. D'une part, il évoque une chose, une idée … et ainsi, il agit comme un substitut favorable, c'est-à-dire une médiation qui permet de maîtriser la réalité (un instrument). D'autre part, ce même signe agit en substitut défavorable, c'est-à-dire il se substitue (à la chose…) D'où une occultation de la réalité, une sorte d'écran qui s'interpose et qui éloigne notre esprit de ce monde extérieur, ce monde de l'action qui est vital. Le maître devient comme l'esclave de son esclave, c'est-à-dire il utilise ses services comme une médiation, mais il ne voit pas que tout cela le condamne à la dépossession = l'aliénation.
Le serviteur travaille = il se heurte à la réalité et à sa résistance : les lois physiques, leur inviolabilité et à la nécessité de ruser pour transformer le donné.
Voir 1620, Françis Bacon : "on ne commande à la nature qu'en lui obéissant" : c'est-à-dire il faut utiliser la nécessité universelle pour transformer les choses au profit de l'homme. ex : un métal est un corps d'une grande dureté, mais le feu le rend malléable et nous pouvons le travailler, ou encore l'air, l'eau peuvent mouvoir les roues (de moulin) et produire du travail.
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