Chapitre B : Le temps des démocraties populaires (1945-1989)
➞ Comment expliquer l'échec des démocraties populaires en Europe Centrale et Balkanique ?
1- Formation et mise au pas des démocraties populaires (1945-1953)
a- La conquête du pouvoir ou la "tactique du salami"
En 1945, l'Armée Rouge contrôle une grande partie de l'Europe Centrale et Balkanique. Actrice décisive de la victoire sur l'Allemagne, elle bénéficie d'un grand prestige, notamment en Tchécoslovaquie ou en Bulgarie. Staline souhaite en tirer parti pour bâtir une "zone tampon" protégeant l'URSS. Il appuie donc les communistes locaux. En Yougoslavie, en Albanie, où ils ont conduit de véritables armées de libération (Tito et les partisans yougoslaves), les communistes s'emparent du pouvoir dès 1945. Mais ailleurs, des élections souvent irrégulières (Pologne, Roumanie …) assurent leur percée électorale. Ils intègrent alors des "fronts nationaux" c'est-à-dire des gouvernements de coalition qui les associent aux socialistes et même aux libéraux. Ils s'y réservent des postes clés comme la justice, l'intérieur, la défense.
A partir de 1947 la logique de la Guerre Froide pousse l'URSS et le Kominform à organiser une conquête totale du pouvoir. Celle-ci obéit plus ou moins partout au même scénario. : noyautage des administrations, campagnes de calomnie, démonstrations de force. Les communistes n'ont ainsi aucun mal à éliminer leurs rivaux les uns après les autres. C'est la tactique du salami. Pologne, Hongrie, Roumanie et Bulgarie sont rapidement communisés sous le nom de démocratie populaire.
En Tchécoslovaquie, pays plus démocratique, il faut attendre février 1948 et le coup de Prague. La pression des milices ouvrières permet aux communistes d'éliminer les ministres libéraux. En 1949, la création de la RDA achève la constitution du bloc.
b- L' adoption du modèle soviétique
Selon la doctrine du Kominform, les démocraties populaires doivent former un bloc solide face à la menace "impérialiste". L'URSS y impose naturellement son modèle. Le parti communiste s'arroge tous les pouvoirs et tend à se confondre avec l'état. A sa tête, un secrétaire d'état organise le culte de la personnalité à l'image de celui de Staline (Gottwald, Dimitrov).
Derrière une façade démocratique (suffrage universel) et la volonté de construire une société sans classes, des états totalitaires se mettent en place. Les sociétés sont étroitement encadrées, notamment la jeunesse par des organisations de type soviétique : Pionniers, Jeunesses communistes … La propagande souvent peu subtile met en avance des slogans : "La politique de paix de l'URSS" ou "Les grands succès de l'édification du socialisme". Dans le domaine artistique, le réalisme socialiste s'impose. L'apprentissage du russe, la langue du "Grand Frère" devient obligatoire.
L'économie est rapidement soviétisée, elle repose désormais sur la collectivisation autoritaire des terres et l'étatisation de l'industrie et des services. La planification centralisée, obligatoire depuis 1948 donne toute priorité à l'industrie lourde.
c- Le renforcement du contrôle stalinien
La mise en place des démocraties populaires et la "construction du socialisme" s'accompagne de persécution systématique des opposants réels ou supposés. La police politique (Stasi en RDA, Securitate en Roumanie …) pourchasse "les ennemis du peuple" : paysans aisés, bourgeois. Elle fait régner la peur, la suspicion, en entretenant un réseau d'indicateurs et la compromission.
En 1948, la Yougoslavie de Tito trop indépendante aux yeux de Moscou est exclue du Kominform. Une vague de terreur s'abat sur les partis communistes des autres démocraties populaires.
? Des procès spectaculaires permettent de s'en débarasser au terme d'une longue misent condition (privation de sommeil, menaces). Les prévenus acceptent d'assumer de nombreux crimes, parfois fantaisistes. Ainsi, le procès de Prague en 1951-1952 condamne à mort 12 dirigeants communistes pour "titisme", "sionisme", et trahison.
Par ailleurs, des outils institutionnels comme le CAEM (1949) et le Pacte de Varsovie accentuent la dépendance des démocraties populaires vie à vis du "Grand Frère" soviétique. Au début des années 50, le système stalinien est solidement implanté au coeur de l'Europe.
2- Les démocraties populaires entre révolte et réformes (1953- début 1970's)
a- Les effets de la déstalinisation
La mort de Staline en mars 1953 fait naitre l'espoir du changement. Il se traduit en juin 1953 par une révolte ouvrière en RDA.
Avec l'arrivée au pouvoir de Khrouchtchev, un véritable changement se dessine. Dès 1955, il se réconcilie avec Tito. Il admet ainsi pour les démocraties populaires la pluralité des voies de passage au socialisme. Surtout ,au cours du 20ème Congrès du PCUS, il révèle certains crimes du stalinisme. Un peu plus tard, il dissout également le Kominform.
Le "dégel" soviétique va encourager la contestation dans les démocraties populaires. En Pologne, une forte coalition militaire et étudiante obtient le retour au pouvoir des communistes réformateurs (Gomulka).
A Budapest, une manifestation de solidarité avec les polonais en octobre 1956, se transforme en insurrection. Un gouvernement de communistes réformateurs, dirigé par Imre Nagy se met en place. Pour satisfaire les insurgés, il annonce des mesures radicales dont le retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie. Moscou invoque alors la menace d'une contre-révolution "fichiste" pour justifier l'intervention de l'Armée Rouge. Celle-ci écrase début novembre l'insurrection de Budapest. La Hongrie est fermement reprise en main et Nagy exécuté.
b- Le temps des réformes
La déstalinisation et les évènements de Pologne et de Hongrie poussent les démocraties populaires à entreprendre des politiques de réformes. Il s'agit pour elles de poursuivre une voie qui leur est propre, conforme à leurs traditions nationales, tout en restant fortement liées à l'URSS.
La Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, et la RDA amorcent des réformes économiques pour se concilier aux demandes de la population. Elle s'inspire parfois de l'expérience yougoslave qui privilégie l'auto gestion dans l'agriculture et l'industrie. Ainsi, en Hongrie, le gouvernement de Janos Kadar réduit le rôle de l'état au profit du marché et développe la production de biens de consommation. C'est "le socialisme du Goulash".
En Roumanie et en Albanie on assiste au développement d'une sorte de "national stalinisme". Le régime de Nicolae Ceausescu à Bucarest se caractérise ainsi par le maintien d'un régime de communisme répressif mais largement indépendant de Moscou (on l'appelle le De Gaulle de l'Est).
Au total la déstalinisation a révélé la faiblesse du soutien populaire au régime communiste. Elle met également fin au caractère néolithique du bloc soviétique.
c- L'écrasement du "Printemps de Prague" ou l'impossible réforme de fond
En Tchécoslovaquie, c'est au sein même du parti communiste que progresse la contestation. Elle permet l'arrivée au pouvoir du communiste réformateur Alexander Dubcek. Désireux de construire un socialisme à visage humain il cherche à concilier communisme et démocratie.
De février à août 1968, le "Printemps de Prague" sa caractérise par la fin de la censure et un extraordinaire bouillonnement intellectuel et politique. La montée d'exigences de plus en plus radicales ne tarde pas à inquiéter les communistes conservateurs, l'URSS et la plupart des autres démocraties populaires. Ils craignent la remise en cause du monopole du parti communiste et une éventuelle contagion.
Le 20 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie. Dubcek est arrêté et doit accepter la normalisation du pays. L'écrasement du Printemps de Prague marque le triomphe de la doctrine Brejnev de la "souveraineté limitée" des démocraties populaires. Aucune d'entre elles ne peut vraiment remettre en cause les fondements du système communiste.
3- Défection et effondrement des démocraties populaires (années 70-1989)
a- Les sociétés civiles entre détachement et résistance
A partir des années 70, l'es démocraties populaires s'enfoncent dans la stagnation économique et l'immobilisme politique. La capacité de séduction du communisme s'est épuisée. Le "socialisme réel" ne repose plus que sur un sentiment de crainte généralisée. Les pénuries, l'absence de perspectives, le contraste entre les proclamations exaltantes et la réalité se traduisent par le cynisme, le d"senchantement, la démoralisation et le repli sur la sphère privée.
Derrière le consensus apparent et obligatoire, le fossé entre société civile et (c'est-à-dire les structures sociales non étatiques) et les autorités se creusent.
Société civile : les communautés traditionnelles (village, quartiers, les associations professionnelles, culturelles (chorale), sportive ...), les cercles intellectuels et surtout les cercles de nature religieuse (paroisses protestantes (RDA), catholiques (Pologne) offrent des espaces refuges qui échappent à l'emprise du pouvoir. Elles sont le théâtre de débats, parfois même de contestations. C'est dans ce cadre que la dissidence prend notamment parmi les jeunes générations et les intellectuels. Ainsi, en Tchécoslovaquie, quelques intellectuels parmi lesquels le dramaturge Vaclac Havel élaborent la Charte 77. Ils dénoncent en particulier la violation des accords d'Helsinki sur les Droits de L'homme.
Surtout en Pologne, le rejet du communisme et la défense de l'identité nationale se cristallisent autour de l'Eglise Catholique. L'élection du Pape Jean-Paul II en 1978 galvanise cette opposition. Elle aboutit à la création puis à la connaissance du syndicat libre Solidarnosc dirigé par Lech Walesa. Sa montée en puissance pousse le général à proclamer "l'état de guerre" en 1981. Solidarnosc est interdit mais le pouvoir ne parvient pas à en venir à bout.
b- L'effet décisif : Gorbatchev ou le renoncement soviétique
Dans les année 80, la montée sourde des oppositions ne semble pas les régimes communistes. C'est la "nouvelle donne" soviétique qui va bouleverser la situation. La politique de détente menée par Gorbatchev depuis 1987, l'amène à renoncer la doctrine de la souveraineté limitée, c'est-à-dire à s'ingérer dans les affaires intérieures des pays satellites.
Par ailleurs, la Perestroïka, et le Glasnost qu'il lance en URSS encouragent les dissidents et surtout les partis communistes des démocraties populaires. Gorbatchev accepte ainsi la formation en Pologne d’un gouvernement de transition composé d’une majorité de ministres issus de Solidarnosc. Une transition pacifique s’opère aussi en Hongrie au début de 1989. Le parti communiste hongrois se reconvertit en parti socialiste, renonce au monopole du pouvoir politique et accepte le principe d’élections libres.
Durant l’été 1989, la Hongrie ouvre sa frontière avec l’Autriche sans rencontrer la moindre opposition de la part de Moscou. Des dizaines de millions d’allemands de l’Est qui y passent leurs vacances en profitent pour gagner la RFA ce qui va enclencher l’automne des peuples.
c- La débâcle
L’action des dissidents va préparer le réveil de la société civile. En RDA, en septembre et en octobre 1989, ils organisent à Leipzig, puis à Berlin-Est des manifestations (slogan : « Wir sind das Wolk » pour obtenir des libertés démocratiques. Privés du soutien soviétique, le parti communiste (SED) écarte Erich Honecker, symbole d’un communisme dur. Le 9 novembre 1989, il décide d’ouvrir le mur de Berlin, annonce des élections libres et renonce à son rôle de dirigeant.
Ces évènements formidables connaissent un grand retentissement en Tchécoslovaquie. La répression brutale d’une manifestation étudiante, le 17 novembre à Prague provoque des manifestations massives de protestation. Elles sont massivement encadrées par des organisations issues de la dissidence. Au bout de quelques jours, le pouvoir communiste se saborde. C’est la « révolution de velours ». Vaclav Havel tout juste sorti de prison devient le nouveau président de la république.
En Bulgarie, les communistes conservateurs sont écartés par les communistes réformateurs. Il en va de même en Roumanie en décembre. Une révolution largement manipulée semble-t-il provoque l’effondrement du régime. Le couple Ceausescu est alors sommairement exécuté.
En Yougoslavie, et en Albanie, les pouvoirs communistes vont bénéficier d’un sursis provisoire en se reconvertissant dans le nationalisme.
La fin de l’appui soviétique a donc provoqué l’effondrement extrêmement rapide des démocraties, largement désavouées (désabusées ?).
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