Sainte Colombe / Marin Marais :
Opposition ou communion ?
- Des oppositions apparentes
Les personnages, présentent déjà du point de vue de leur physique des différences :
- Le vieux / le jeune :
Sainte Colombe est un homme du temps de Louis XIII, habillé à la mode de l’époque et refuse l’évolution sociale amenée par Louis XIV.
Ainsi, son deuil l’oriente vers le passé, ses souvenirs et c’est peut être ce pourquoi il se refuse à se mettre au goût du jour : « mes amis sont les souvenirs ». De plus, il a un âge assez avancé.
En ce qui concerne Marin Marais, il apparaît très jeune : « grand enfant de dix-sept ans », « adolescent », « jeune garçon » … Le texte insiste sur sa jeunesse. Ainsi, lorsqu’on le voit pour la première fois, il apparaît perdu, bégayant comme un enfant.
Alors que son maître a choisi de rester dans l’ombre lui aspire à la célébrité. Le film illustre cette différences à travers les couleurs : au costume et aux cheveux noirs de Sainte Colombe l’austérité s’oppose la blondeur de Marais, habillé de rouge ou de doré et filmé en pleine lumière. Il est d’ailleurs souvent représenté en mouvement tandis que le gambiste reste statique, « le dos très droit ».
- Le maigre / le gras :
Le roman signale plusieurs fois cette opposition, dès les premiers mots qualifiant les héros : Sainte Colombe est « très maigre », Marais est « joufflu ». Madeleine remarquera lors de sa dernière rencontre avec Marais qu’il est «gras ».
Dans le dernier chapitre, ce contraste est marqué lorsque Sainte Colombe prend « la main grasse de Marin Marais dans sa main décharnée ».
En fait, c’est une opposition symbolique entre Sainte Colombe, qui a renoncé à la vie et aux plaisirs visibles, suite à la mort de sa femme et Marais, empli d’appétit de vivre et qui dit à Madeleine : « nos cœurs sont des affamés ».
- Le sauvage / le courtisan :
Sainte Colombe méprise la musique de cour qu'il considère comme un divertissement. Il emploie ainsi avec sarcasme le vocabulaire du spectacle de foire pour qualifier la pratique de Marais : sa viole "n'est qu'un cheval de cirque pour pirouetter devant le roi" et le musicien un "très grand bateleur" tout juste dine de jouer " à Versailles, c'est-à-dire sur le Pont-Neuf".
Marais est sensible aux charmes de la cour et montre une fierté puérile à raconter qu'il a joué à la Chapelle du roi, qui provoque son exclusion par Sainte Colombe ou qu'il est devenu "musicqueur du roy".
Ce contraste est rendu à l'écran par les costumes. Marais avec sa perruque, son habit plein de dentelles et de rubans parait déplacé dans l'herbe ou la cabane de Sainte Colombe. Sa présence semble d'ailleurs incongrue dans la buanderie, face à Madeleine qui repasse.
- … Au rapprochement
Toutefois, malgré les incompréhensions et les rejets les deux musiciens se rejoignent dans une quête : celle de la voix féminine perdue : celle de sa femme pour Sainte Colombe, celle de sa voix d'enfant brisée par la mue pour Marais.
Cette souffrance ouvre des chemins différents chez les deux musiciens - Marais veut se "venge(r) de la voix qui l'avait abandonné" - mais Sainte Colombe la reconnaît et en fait le motif de son accueil du jeune homme comme élève : "votre voix brisée m'a ému. Je vous garde pour votre douleur, non pour votre art."
La fin du roman opère une sorte de rapprochement entre les deux hommes, après la mort de Madeleine comme s'il fallait un sacrifice d'une part d'eux mêmes (la fille et l'amante) pour que la communion initiatique s'effectue.
Marais, loin des satisfactions de l'ambition comblée rejoint Sainte Colombe dans la souffrance du manque : il est ainsi obsédé par la beauté ignorée que recèlent les airs que jouent son maître : il "regrettait de vivre sans les avoir entendus", il "souffrait en songeant que ces oeuvres allaient se perdre à jamais".
D'ailleurs, dans la scène finale, Marais arrive vêtu d'une cape noire comme s'il voulait se dépouiller de sa vanité de courtisan pour épouser le dévouement et l'austérité de son maître et ainsi accéder à la révélation.
Enfin, la film suggère le lien profond entre les deux hommes à travers le prologue et l'épilogue où Marais vieilli prend la place de Sainte Colombe dans la leçon de musique. Être devenu un "violiste renommé" n'a pas comblé le désormais vieux musicien qui réclame l'ombre au lieu de l'éclat de la gloire. Sa quête de la musique a rejoint celle de son maître dans son insatisfaction fondamentale : "Je ne suis pas venu à bout de son désir".
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