Madeleine / Toinette
Un document de Titon du Tillet mentionnait l’existence de deux filles de Sainte Colombe qui pratiquaient la viole avec leur père. De ces êtres anonymes Quignard puis Corneau feront de vrais personnages.
- Deux tempéraments opposés
Le seul choix de leur prénom suffit à opposer les deux sœurs : alors que Toinette porte le prénom d’une soubrette délurée de Molière (Le Malade imaginaire), Madeleine évoque Marie-Madeleine.
è Madeleine, sainte pécheresse
Madeleine est la fille aînée de Sainte Colombe, âgée de six ans à la mort de sa mère, éduquée comme sa sœur par Guignotte la cuisinière et Mr de Bures. Elle est la plus sage des deux sœurs : « Madeleine ne se plaignait jamais. A chaque colère de son père elle était comme un vaisseau qui chavire et qui coule inopinément : elle ne mangeait plus et se retirait dans son silence ».
Douée comme sa sœur pour la viole elle n’est toutefois pas informée par son père des apparitions de sa mère. L’arrivée de Marin Marais bouleverse son existence. Dans une sorte de mise en abyme avec le couple formé par ses parents, elle reproduit le geste de son père en offrant du vin et des gaufrettes à l’être aimé. Après son renvoi, elle propose à Marais de lui enseigner ce qu’elle sait et devient ainsi sa maîtresse. Après lui avoir pris sa pratique, Marais la quitte, la plongeant dans la mélancolie. Elle le reverra une fois, lorsqu’il jouera la Rêveuse, puis se pendra.
è Toinette ou l’appétit de vivre
Toinette est la fille cadette de Sainte Colombe, âgée de deux ans à la mort de sa mère. Son tempérament est très différent de celui de sa sœur : ainsi face aux colères de son père : « Toinette se rebellait, réclamait contre son père, criait après lui. Elle ressemblait par le caractère au fur et à mesure qu’elle grandissait, à Madame de Sainte Colombe ». Jalouse de sa sœur quand son père lui apprend l’usage de la viole, elle finit par obtenir gain de cause, suite à ses colères et reçoit pour Pâques une petite viole.
Quelques années plus tard, elle s’offre à Marais comme elle a vu sa sœur faire. Elle épousera par la suite le fils du luthier : Luc Pardoux dont elle aura cinq enfants.
Elle se montre dévouée lorsque sa sœur est malade.
Son caractère s’oppose toutefois à celui de sa sœur, par sa détermination, sa simplicité comme par son destin bourgeois.
En fait, les deux sœurs s’opposent également par leur physique, on peut ainsi noter un clivage maigreur / rondeur : dès le début du roman Madeleine ne mange pas, puis devient « une jeune fille longue » et se laisse « sécher ». Tandis que Toinette a le corps « d’une femme ronde et épaisse », pleine de sensualité.
Mais aussi par leur physique : Madeleine est soumise et docile, alors que sa sœur est rebelle en proie à la « colère », aux « tempêtes », à « l’ébullition ». Par la suite, Madeleine devient « pleine d’une curiosité (…) qui lui procurait des sentiments d’angoisse » tandis que Toinette grandit en « joie, en invention, en virtuosité ». Les deux actrices choisies par Corneau illustrent bien ces tempéraments opposés : Anne Brochet est très mince, avec un visage pâle aux cheveux noirs et des yeux immenses où se lisent passion et angoisse. Au contraire, Carole Richet est ronde, rousse, rieuse et vêtue de couleurs chaudes.
- Une enfance musicale
Les deux orphelines vivent avec leur père, qui les aime maladroitement : s’il est capable de jouer avec elles aux cartes, et de se lever la nuit pour les consoler, il partage peu de choses avec elles et les délaisse pour sa cabane et sa musique.
Toutefois, la musique semble les réunir. On peut prendre pour exemple l’apprentissage de la viole pour Madeleine qui est l’occasion de créer un lien avec son père, et que Toinette jalouse. Puis on peut aussi mentionner les divers concerts qu’ils donnent tous les trois et qui le rendent « content ». Ce bonheur musical est montré à l’écran par l’intensité des regards.
Surtout, la musique semble être le seul moyen pour leur père de leur communiquer son amour, puisque parole et gestes affectifs lui font défaut. En leur transmettant son art, il leur donne ce qu’il aime et le fait vivre.
Une communion se créée entre eux, grâce à la musique.
- Élan de vie / élan de mort
Comme son père, Madeleine se laisse happer par une spirale mortelle.
Elle lui ressemble physiquement, se coupe du monde et ne dort plus lorsqu’elle souffre, comme lui. La dépendance de Madeleine à son père semble l’entraîner vers la mort, et fait d’elle « un vaisseau qui chavire et coule inopinément ». En fait, elle ne semble pas vivre pour elle : elle guette d’abord l’assentiment de son père, puis s’en remet à Marin Marais. Celui-ci causera avec son départ son refus progressif de toute vie. Le film évoque cet abandon du personnage à la mort en la montrant errant en chemise blanche – qui ressemble à un suaire, ou un linceul – ou couchée cadavérique, dans son lit.
Elle vit avec Marin Marais un amour sacrificiel : elle lui donne tout : aussi bien son corps que son art et même les secrets de son père. Trahie par sa sœur et son amant, elle se laisse détruire par un élan de mort et accouche même d’un enfant mort-né. Elle laisse son corps se dessécher.
Toinette, elle, se situe du côté de sa mère : lumineuse, vêtue des mêmes couleurs chaudes à l’écran. Elle vit avec Marais une union sous le signe d’une sensualité lumineuse et juvénile : lorsque Toinette surgit dans la buanderie, son rire et sa gaité installent un froid entre les deux amants. Elle saura s’échapper de la maison des Sainte Colombe, ne se sacrifiera ni à son père, ni à son amant et deviendra épouse et mère. Elle dénote par son appétit de la vie.
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