Genres et registres dans le roman et le film
- Un roman d’apprentissage
Trois des personnages du roman sont jeunes et découvrent la vie durant la quarantaine d’années que dure l’histoire. On peut ainsi parler d’apprentissage ayant pour héros Marin Marais, Madeleine et Toinette, confrontés à la découverte de la musique, de la sexualité et de la société.
Madeleine et Toinette sont instruites par Mr de Bure, mais c’est leur père qui leur enseigne la musique. Marin Marais, lui viendra se perfectionner auprès de Monsieur de Sainte Colombe.
L’apprentissage social concerne Marin, ambitieux et égoïste qui sacrifie Madeleine et la vraie musique à son ascension à la cour de Versailles. Madeleine découvre ainsi la vanité de ce monde, si opposé à celui de son père.
- Le refus du pathos
Quignard a choisi de s’éloigner de toute forme de pathétique au profit d’une sorte d’esthétique, d’austérité, de retenue qui correspond bien au caractère de son héros.
Le narrateur utilise surtout un point de vue externe qui instaure une distance entre la narration et le lecteur. Ainsi le narrateur évoque d’emblée des personnages dont le lecteur ne sait rien et s’en tient au factuel : il n’y a aucun développement sur les sentiments. Les phrases très courtes, sont réduites au minimum d’information et interdisent tout épanchement affectif. Mais cette sécheresse apparente n’exclut pas l’émotion : elle doit seulement se lire entre les lignes.
La première apparition de Mme de Sainte Colombe est traitée avec une extrême sobriété : « c’était sa femme et les larmes coulaient ». L’art de la litote ne fait que renforcer le pouvoir émotionnel du récit.
Corneau aussi a opté pour la sobriété. Il a ainsi renoncé aux mouvements de caméra, et filme majoritairement en plans fixes laissant se déployer l’émotion des visages, l’intensité des regards.
Même chose pour la musique, qui est d’une expressivité forte toujours tempérée par la pudeur.
La mort de Madeleine elle-même se refuse au pathétique morbide : elle est évoquée par une simple notation physique : « une brusque secousse prit ses genoux ». Le film fait de même, en donnant au spectateur une vision partielle de la scène.
- Le refus du fantastique
On aurait pu exploiter la veine du fantastique en ce qui concerne les apparitions de Mme de Sainte Colombe, pourtant là aussi la sobriété prime.
Les apparitions et disparitions de l’épouse défunte sont souvent narrées du point de vue interne, perçues par le regard ou les sensations des héros : « Quand il leva la tête, elle n’était plus là », « Il tourna sa tête à droite : elle était assise à ses côtés ». Ces scènes ne semblent pas fantastiques car elles sont données comme réelles (car datées) (« si c’était folie, elle lui donnait du bonheur, si c’était vérité, c’était un miracle »).
La défunte apparaît donc simplement très pâle, qui sourit, parle, mange des gaufrettes. Le récit va même jusqu’à pénétrer son intériorité : « Il eut un air de douleur qui donna à Madame de Sainte Colombe le désir de porter la main vers lui ». Le contact avec les morts est à ce point évident, que le présent de vérité générale est employé : « Elle parlait lentement, comme font les morts ».
Même chose dans le film : Corneau n’utilise jamais aucun effet d’apparition. Il emploie simplement la caméra subjective, par le regard de l’acteur. Dans les scènes de la cabane, la caméra se place derrière le héros, comme si le spectateur découvrait son épouse morte avec lui.
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