Les motifs de l’eau et de la barque
- L’eau, symbole positif
Monsieur de Sainte Colombe apparaît lié à l’eau dès le deuxième paragraphe du roman qui fait mention de son jardin sur la Bièvre et de sa barque. Les chemins qui mènent chez lui sont qualifiés « d’humides » et de « boueux ». Cette eau symbolise aussi le choix qu’il a fait d’une vie solitaire et libre, dans l’austérité et le dénuement, récalcitrante par rapport au pouvoir royal.
Les vues de l’étang et de ses rives sont presque toujours filmées en panoramiques, avec une belle lumière ce qui donne l’image d’un monde serein.
- L’eau de la noyade
L’image de la noyade apparaît plusieurs fois dans le roman, avec des valeurs différentes. Ainsi, Madeleine, lors des colères de son père est comparée à un « vaisseau qui chavire et qui coule inopinément ». Monsieur de Sainte Colombe lui-même est « comme un homme qui se noie sans retrouver le souffle ». Ces comparaisons semblent évoquer un naufrage du psychisme, une désunion de soi-même qui fait que l’être ne s’appartient plus, comme s’il état envahi par une force de mort qui le détruit.
On retrouve cette idée dans la confrontation avec l’abbé Mathieu : à l’abbé pour qui cette noyage représente l’engloutissement dans l’oubli du musicien loin de la Cour, Sainte Colombe réplique : « Vous êtes des noyés. (…) Non contents d’avoir perdu pied, vous voudriez encore attirer les autres pour les engloutir ». C’est bien à une naufrage total, à la perte de soi-même que conduit la mise en garde contre la vie courtisane.
- L’eau qui coule
L’eau courante est depuis longtemps associée à tout ce qui fuit « sans retour ».
Marais jeune développe cette image avec lyrisme dans son monologue : la Seine qu’il suit pour rentrer chez son père, après son exclusion du chœur devient métaphore de la perte irrémédiable de sa voix : cette eau teinté de rouge par la lumière devient : « une blessure qui saignait » et l’expression de son abandon et de sa nostalgie. De même, lorsqu’il revient pour écouter les airs de son maître, ce sont les berges de la rivière et le saule brisé qui évoquent pour lui un passé irrévocablement perdu.
- La barque, un accès à l’autre monde
L’eau est pour Sainte Colombe comme une porte pour accéder à l’autre monde, qui est d’abord celui du songe : sa barque qui prend l’eau n’est pas faite pour naviguer, il y reste « accroché à la rive », apaisé par la compagnie silencieuse de la nature et peut alors plonger dans le souvenir.
Dans le chapitre 4, immersion et sommeil finissent par se confondre dans l’image de la mort : il pénètre dans l’eau en se bouchant les oreilles et y « ensevelit son visage ». De même, son rêve le conduit à séjourner dans « l’eau obscure ».
Le film montre aussi Sainte Colombe entrant lentement dans l’eau qui se referme sur lui dans un plan s’achevant sur la surface de l’étang, semblant consacrer la disparition du personnage. Ou pouvant être assimiler à le descente aux Enfers d’Orphée pour rejoindre les morts et surtout sa femme.
Ce passage par l’eau du sommeil et de la mort est donc nécessaire pour que le héros puisse entrer en communication avec le monde des morts. Ainsi, sa vieille barque peut alors évoquer celle de Charon qui emmenait les âmes au delà de l’Acheron, fleuve que ceignait les Enfers de neuf tours – autant que les visites de Madame de Sainte Colombe.
La Barque de Charon est d’ailleurs un des morceaux du Tombeau des Regrets.
Le héros voudrait lui aussi rejoindre l’autre rive, mais sa barque prend l’eau et il ne peut la maintenir près de la rive, il n’y a que sa femme qui puisse la faire naviguer et disparaître avec elle. Si elle peut venir à lui, Sainte Colombe est « impuissant à lui rendre la pareille ».
Mais, si cette barque prend l’eau n’est-ce pas pour signifier que seule la mort réunira les deux époux ou alors qu’un autre lien doit être trouvé entre les morts et les vivants ?
- La barque comme une viole
Dans le roman, la barque prend « l’apparence d’une grande viole que Monsieur Pardoux aurait ouverte » et devient le titre d’une œuvre de Sainte Colombe.
On peut noter tout un réseau de connections et d’analogies liant la barque et la viole : - toutes deux associent des planches de bois avec l’eau (de la rivière ou des pleurs)
- permettent la plongée dans l’intériorité (du rêve du souvenir, de la création)
- offrent l’accès à un autre monde et créent un lien entre morts et vivants (barque de Charon entre les deux époux, viole de Madeleine entre maître et disciple).
Barque et viole sont pour Sainte Colombe liées à la création musicale, deviennent des « offrandes d’eau » et prennent la forme d’un « petit abreuvoir pour ceux que le langage a désertés ».
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