samedi 12 février 2011

Sens et interprétations du roman et du film

Sens et interprétations du roman et du film

- Les « voix humaines » de la musique

            - La parole déficiente

Pour Quignard, la parole est toujours incomplète, car le langage n’es pas inné et le goût de parler peut se retirer.
            Beaucoup de personnages dans TLMM se heurtent à l’insuffisance de la parole, en particulier Monsieur de Sainte Colombe. Mais Madeleine aussi se heurte à la vacuité et même au mensonge des mots. Elle finit ainsi par dire à Marin « arrête de parler ».
            Le silence peut alors préparer l’avènement d’un autre langage. Plusieurs personnages reproduisent le même geste de mettre le doigt sur la bouche pour inviter à faire taire les mots, afin d’entendre une autre parole. C’est le cas de Monsieur de Sante Colombe faisant écouter à son élève l’ « aria » du vent.

            - La musique comme un langage

Sainte Colombe le dit clairement dans le dernier chapitre : « la musique est simplement là pour parler ce dont la parole ne peut parler ». Elle peut pallier le manque fondamental inhérent aux mots, comme il le montre à sa femme : « Voici la cabane où je parle ». La cabane est une sorte de caisse de résonnance qui permet au gambiste de s’exprimer.
La musique se distingue bien du silence qui n’est que « le contraire du langage » car elle est une « langue humaine ».
            Sainte Colombe est ainsi réputé pour pouvoir imiter toute la palette des voix humaines : « du soupir d’une jeune femme au sanglot d’un homme qui est âgé, au cri de guerre d’Henri de Navarre à la douceur d’un souffle d’enfant qui s’applique et dessine, du râle désordonné auquel incite quelquefois le plaisir à la gravité presque muette ». Marin Marais lui-même intitulera un de ses morceaux Les Voix humaines. La musique doit avant tout « faire naître une émotion dans nos oreilles. »

            - Une conception exigeante

Une telle conception de la musique est exigeante, et c’est pourquoi Sainte Colombe s’oppose avec tant de force à Marais.
            Pour le jeune homme, la musique est en effet un moyen de satisfaire son ambition et de prendre sa revanche sur cette voix qu’il a perdue. Pour son maître, Marais n’est qu’un « très grand bateleur », se satisfaisant de la virtuosité, mais qui n’est pas musicien. Ce point contraste avec la musique « merveilleuse et difficile » que joue Sainte Colombe.
            En fait, Marin semble avoir perdu en sensibilité musicale ce qu’il a gagné en technique. Son maître lui demandera ainsi : « Avez vous un cœur pour sentir ? ». Il semble d’ailleurs l’avoir perdu, notamment lorsqu’il rejette Madeleine, une fois qu’il l’a totalement dépouillée. Finalement, il semblerait que Marais se rende compte de la vanité de la richesse et de la gloire.
            Marin a une conception plus moderne de la musique, destinée à être écoutée, et publiée, au contraire de son maître, qui compose pour lui et n’a que faire de l’édition.

            - Une voix intérieure perdue

La musique n’est pas seulement un langage parallèle à celui des mots, pour Quignard elle semble représenter une force d’appel qu’exprime le verbe héler.
Il s’agit de retrouver en soi la voix féminine perdue lors de la mue, c’est le cas pour Marais, mais le jeune musicien a encore du chemin à parcourir, car il cherche d’abord à se venger de la voix qui l’a abandonné. Il ne s’agit pas de venger, mais de héler c’est-à-dire de quêter sans fin une voix perdue, la trace d’une perte qui ne s’oublie pas, comme un jardin d’Eden dont l’homme garderait une nostalgie.
            Le son de la viole peut alors retrouver cette voix perdue : cette instrument de forme féminine prend une valeur très symbolique en devenant un substitut de la femme, analogie fortement suggérée dans le roman : Sainte Colombe songe « à sa femme (…) à ses hanches et à son grand ventre ». De plus le film montre plusieurs fois la tête de l’instrument, représentant un visage féminin. Quand Sainte Colombe joue de la viole, c’est comme s’il prenait sa femme dans ses bras, renouant la communion interrompue par la mort.
            Même chose : il est significatif que Marais joue sur la viole de Madeleine au dernier chapitre : tous deux se retrouvent dans le désir d’évoquer une voix féminine aimée et disparue.
           
            - Un en-deçà du langage

Quignard va encore plus loin en faisant dire à Marais que la musique est « pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière ». La musique rejoint alors le monde intra-utérin, où l’on était oreille avant tout. On retrouve d’ailleurs ce motif lorsque Marais reste accroupi, en position fœtale, dans la nuit « l’oreille collée à la paroi de planches ».
            La musique est donc tendue vers cet état d’avant le langage, cet autre temps dont elle entretient la nostalgie.

-          Un au delà du langage
La musique établit aussi un rapport avec un autre monde et un autre temps privés de langage : celui des morts.
            Elle peut ainsi devenir « un petit abreuvoir pour ceux que le langage a déserté ».
La musique peut prêter une voix au silence de la mort, sans pour autant le combler : elle hèle l’autre monde, l’enfance sans jamais abolir la distance qui nous en sépare : elle ne peut ramener les morts.  
            Ainsi, elle est à la fois espoir de la main tendue et conscience de la perte.

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