Le personnage de Sainte Colombe
- Un personnage historique :
Jean de Sainte Colombe : musicien qui a réellement existé. Il aurait vécu entre 1640 et 1700. Il était violiste, mais pas musicien de cour. Il aurait amélioré la technique et la pratique de la viole. Marin Marais fut son élève et lui consacra un hommage : Tombeau de Sainte Colombe en 1701.
A partir de ces quelques informations, Pascal Quignard imagine donc le personnage de ce musicien austère et intransigeant. Ce roman serait en fait le développement d’une œuvre antérieure La leçon de musique (1987) (qui évoquait à partir d’un court texte quelques épisodes de la vie de Marin Marais et de ses relations avec Mr de Sainte Colombe). Pascal Quignard crée en fait, à travers ce roman une sorte de biographie imaginaire de Sainte Colombe. On se focalise sur son deuil et sa solitude. Il est présenté comme un homme de « l’ancienne époque » (celle de Louis XIII) par opposition à la modernité de Marin Marais.
- Un veuf inconsolable
Dans le livre, l’accent est mis sur le deuil de Sainte Colombe, veuf inconsolable. Le roman s’ouvre ainsi sur la mort de sa femme, et l’histoire est ponctuée d’affirmations de souffrance et de regrets de son époux. Il compose ainsi pour elle le Tombeau des Regrets.
L’allusion à la masturbation est surprenante, lui qui semble si détaché des plaisirs terrestres : « Il avait renoncé à toutes les choses qu’il aimait sur cette terre, les instruments, les fleurs, les pâtisseries, les partitions roulées, les cerfs-volants, les visages, les plats d’étain, les vins ». Mais le désir pour sa femme ne l’a jamais quitté : « douze ans ont passé, mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids ».
- Un récalcitrant
Monsieur de Sainte Colombe se définit « contre » :
- son époque : il garde son habillement à la Louis XIII (fraise + habit noir + refus de la perruque) + désintérêt pour les productions littéraires et artistiques de ses contemporains.
« C’est moi qui suis passé de mode ».
- le pouvoir royal et l’idéologie dominante : notamment par son attachement au jansénisme. Il se dérobe ainsi au pouvoir royal en répondant à Mr Caignet : « Je suis si sauvage, Monsieur, que je pense que je n’appartiens qu’à moi-même ».
- la cour et ses fastes : il préfère vivre à la campagne dans l’austérité et l’obscurité. Chose qu’illustre Quignard en faisant ressortir l’opposition entre l’abbé et le musicien : « L’abbé Mathieu, devant la cheminée, posa ses mains garnies de bagues sur sa canne en bois rouge à pommeau d’argent. Monsieur de Sainte Colombe, devant la porte fenêtre qui donnait sur le jardin, posa ses mains nues sur le dossier d’une chaise étroite et basse ».
- Un proche des jansénistes
Quignard ne dit pas explicitement que le musicien est janséniste, mais multiplie les allusions, notamment à ses fréquentations.
Monsieur de Bure par exemple, qui éduque ses filles. (par ailleurs, le roi enjoignit de ne plus assister à ses concerts sous prétexte qu’il « était une sorte de récalcitrant et qu’il avait eu partie liée avec ces messieurs de Port Royal avant qu’il les eut dispersés ».
Son mode de vie fait de solitude et d’austérité fait toutefois penser à celui des jansénistes. Cependant, il ne manifeste pas de dévotion chrétienne particulière. Sa piété est vouée à son épouse, sa pratique ressemble aux libations du culte païen.
- Un musicien intransigeant
Après la mort de sa femme, Mr de Sainte Colombe s’enferme chez lui et se consacre à la musique, à la viole en particulier.
Ainsi il s’exerce jusqu’à quinze heures par jour et améliore la pratique de son instrument (« il trouva une façon différente de tenir la viole entre les genoux et sans la faire reposer sur le mollet. Il ajouta une corde basse à l’instrument pour le doter d’une possibilité plus grave ».)
Il peut ainsi imiter toutes les inflexions de la voix humaine.
Il semblerait que la musique de Sainte Colombe ait le pouvoir divin de faire revenir les morts. – ce qui n’est pas sans rappeler Orphée-.
Pour cela il doit refuser toute compromission avec le pouvoir, l’ambition, la vanité. Il présente son travail et son art comme un sacrifice : « Quand je tire mon archet, c’est un petit morceau de mon cœur vivant que je déchire. Ce que je fais ce n’est que la discipline d’une vie où aucun jour n’est férié. J’accomplis mon destin. »
La souffrance provoquée par la musique semblerait être le destin du personnage.
- Un accès difficile à la parole
Cette caractéristique du personnage peut être mise en parallèle avec les périodes de mutisme de Quignard dans sa jeunesse
Le mutisme de Sainte Colombe contribue au mystère qui l’entoure. Il a des difficultés à communiquer tant par la parole que par les gestes. Cette incapacité se retrouve lors d’un dialogue avec sa femme : « s’il lui avait bien témoigné à quel point il l’aimait », ce à quoi elle répond : « c’était aussi pauvre que fréquent, mon ami et le plus souvent muet. »
Ce « blocage » et cette rigidité qui le rendent malheureux expliquent peut être ses brusques colères.
Surtout il « n’avait guère d’attachement pour le langage et (…) ne prenait pas de plaisir dans la compagnie des gens ». Il ne semble pas faire d’effort pour communiquer.
Son défaut de parole le mène parfois à la violence, comme si il lui manquait la médiation du langage pour extérioriser un bouillonnement intérieur.
Ce trait le rend d’ailleurs difficile à appréhender par le lecteur/spectateur, et tandis que dans le livre, l’auteur peut nuancer son caractère, le film a plus de « difficultés » à dévoiler son monde intérieur.
Il accède ainsi tard à la parole, et beaucoup de scènes ne comportent pas de voix off pouvant éclairer l’intériorité du personnage. C’est essentiellement par la musique que le spectateur peut comprendre l’âme blessée du musicien.
Sa sensibilité s’exprimerait-elle seulement à travers la musique ?
- Une vie passionnée ?
Sainte Colombe mène-t-il une vie passionnée ?
A première vue son existence semble se réduire à une sorte de mort vivante : il se coupe du monde extérieur, chasse Marin, perd sa fille et se retrouve seul dans sa cabane.
Pourtant on sent qu’il est mué par la passion, la démesure. Ainsi Corneau voulait pour l’incarner « un grand Don Quichotte foudroyé, une espèce d’espagnol dingo ».
Sainte Colombe incarne un absolu qui peut friser la folie : son amour passionné et inaltérable pour son épouse l’amène à converser avec son ombre, son amour pour la musique le conduit à s’isoler …
- Un personnage mythique
Son nom, déjà est évocateur, puisque dans le christianisme, la Colombe représente le Saint Esprit, c'est-à-dire celui qui créa un lien entre l'homme et Dieu.
D'ailleurs, le héros peut aussi évoquer le mythe d'Orphée : Orphée était un musicien qui comme le gambits passe pour avoir ajouté des cordes à sa lyre et surtout pour avoir été lui aussi inconsolable de la mort d'Eurydice, sa femme. A tel point qu'il descend aux Enfers, charme le gardien par sa musique. On peut le comparer à Sainte Colombe, car celui-ci à travers sa musique essaie d'abolir les frontières entre le monde des morts et des vivants par sa musique.
D'ailleurs, les noms de ses morceaux sont nourris par la mythologie antique notamment en ce qui concerne les Enfers : La Barque de Charon, L'Ombre d'Enée …
Excellent article qui cerne en effet très bien les critères du personnage. Un grand merci pour celui qui l'a fait !!
RépondreSupprimerSuper, toutes les lignes caractéristiques du personnage sont abordées, un grand merci
RépondreSupprimerHeureuse que cela puisse aider :) (mais ma source d'inspiration principale est néanmoins un anabac, fin du mythe !)
RépondreSupprimerce site est super je suis en term cette année et je pense que je vais passer mon année avec ce site car il aide vachement ! Un grand merci au(x) personne(s) qui s'en occupe
RépondreSupprimerTant mieux, parce que c'est son but :)
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