Fin de partie – Samuel Beckett (1957)
Citations
On parle pour le théâtre de Beckett de «théâtre de l’absurde» (Beckett n’aime pas cette expression) ou de dérision, ou encore d’anti-théâtre.
Pierre Mélèse (Beckett) donne une définition de son théâtre : «toute l’action dramatique fait des pièces de Beckett un jeu, car la vie est un jeu que les hommes, sans être dupes, s’efforcent de jouer pour combler le désert de l’attente d’un avenir peut-être inexistant. Jeu lamentable ou cruel, mais souvent aussi d’un comique grinçant.» → retenir notion de jeu, d’attente, de comique.
Beckett : «mais les valeurs morales ne sont pas accessibles. Et on ne peut pas les définir. Pour les définir, il faudrait prononcer un jugement de valeur, ce qui ne se peut. C’est pourquoi je n’ai jamais été d’accord avec cette notion de théâtre de l’absurde. (…) Paradoxalement, c’est par la forme que l’artiste peut trouver une sorte d’issue. En donnant forme à l’informe.»
Biographie
Beckett (1906-1989) est né à Dublin (Irlande) d’une classe moyenne protestante, foi qu’il perdra. Ce fût un brillant élève, sportif et populaire, il ira à l’université de Dublin et c’est là qu’il apprend le français. Il obtient sa licence en 1927 et se rend à Paris où il va être lecteur d’Anglais pendant deux ans. Il y fait une rencontre importante : celle de James Joyce, et rencontre également Paul Valéry, Philippe Soupeault et d’autres. Il se fait peu à peu une réputation de poète et gagne un prix littéraire. En 1930, il rentre à Dublin et occupe un poste d’adjoint à un professeur de langues romanes dans un lycée. On le destine alors à une carrière universitaire. Il écrit un essai sur Marcel Proust, où l’on retrouve déjà ses principaux thèmes comme l’impossibilité de la possession en amour et l’illusion de l’amitié (les rapports sociaux ne sont qu’une simple illusion → la vie d’artiste est une vie de solitude). Quatre ans plus tard il arrête et se met à voyager : Londres, Paris, Allemagne … Il fréquente un peu la fille de James Joyce, mais elle est déséquilibrée. «Un jeune homme fascinant mais d’une grande apathie» (Peggy Guggenheim). En période de guerre, il fait de la résistance ( il retourne en France), en août 1942 il apprend l’arrestation des membres de son réseau et s’enfuit donc en zone libre et travaille dans une ferme dans le Vaucluse. Il commence son premier roman : Watt. Il s’engage comme volontaire de la Croix-Rouge en Irlande puis retourne en France en automne 1945, dans son appartement resté par chance, intact. Commence alors la période littéraire féconde, il compose ses œuvres principales : du théâtre avec Eleutheria, En attendant Godot et Fin de partie, des romans avec Molloy, L’innommable, des nouvelles … Toutes ses œuvres après-guerre sont écrites en français.
Très grande connaissance de la religion. Les poètes de l’après-guerre veulent montrer l’inhumanité du monde, et que l’Europe a comprit toute l’absurdité et l’horreur dont les hommes sont capables.
Beckett choisit d’écrire en français parce qu’il sent qu’il a besoin de la discipline que lui impose l’emploi d’une langue acquise et non maternelle. «En français c’est plus facile d’écrire sans style». → il ne se laisse pas tenter par des effets de style, des phrases toutes faites … Il ne veut pas de logique du langage, pour Beckett son écriture doit être une lutte constante, une vigilance perpétuelle. Cependant, il traduit tout de même ses pièces en anglais.
En attendant Godot : son vrai premier triomphe. En 1952 il paraît d’abord sous forme de livre, et sera joué l’année suivante à Paris. Contre toute attente, c’est le plus grand succès théâtral de l’après-guerre. Deux ans plus tard, la pièce arrive en Grande-Bretagne (1955), avec le même succès, ainsi qu’aux Etats-Unis.
Fin de partie : au départ en deux actes, puis réduite à un seul. Elle devait être jouée à Paris mais le projet est abandonné, sa première représentation est à Londres et en français (3 avril 1957). Paris accueillera la pièce un peu plus tard. Elle sera ensuite traduite en anglais. Gros succès également → jouée à New York, San Francisco.
Malgré ses succès, Beckett reste discret.
Oh les beaux jours : crée à New York en septembre 1961, sera jouée à Paris ensuite.
Le sens de son œuvre
«Si je le savais, je l’aurais dit dans la pièce» répond Beckett à un journaliste qui lui demande qui est Godot. → il ne faut jamais chercher un sens unique à une œuvre de Beckett. La forme, la structure et le ton même d’une expression artistique quelle qu’elle soit (ici le théâtre) ne peuvent pour Beckett être séparés du ou des sens. L’œuvre d’art et son sens forment un tout indissoluble, ce qui est dit est indissolublement lié à la manière dont c’est dit, et ne pourra être dit d’aucune autre façon.
PRESENTATION FIN DE PARTIE
La pièce commence par de longues didascalies, car Beckette attache beaucoup d’importance à ce que le metteur en scène respecte ce qu’il a écrit. C’est réglé comme une partition musicale → aspect déroutant, répétitif. Intérieur vide : cela pourrait être n’importe où, vide symbolique des terres ravagées par la guerre, du vide qu’elle a laissé derrière elle. Lumière grisâtre : atmosphère sombre, demi-mesure (pas tout à fait gris). Deux petites fenêtres haut perchées et rideaux fermés : sortie condamnée, effet de symétrie, rideaux fermés car la pièce n’a pas commencé, allusion au théâtre. Un tableau retourné : objet rendu inutile, il n’est plus décoratif, symbolique d’une volonté de ne pas représenter quoi que ce soit. Hamm, au centre, immobile, il est recouvert d’un drap → connotation de la mort, objet qu’on cache et qui ne sert plus. Personnage assisté (fauteuil roulant). A côté, Clov le regarde, le teint très rouge. Ensuite, jeu de déplacement de Clov, comme un automate, symboliquement il ouvre les rideaux des fenêtres → la pièce va commencer. Il fait six pas puis trois, réglé comme une danse, aspect chorégraphique, il se déplace comme un pion → «fin de partie» (d’échec). Hamm fait penser au roi mais tourné en dérision, roi déchu, de comédie (trône = chaise roulante, couronne = calotte en feutre). Clov, lui, est le valet, «rire bref» → sarcasme. Quand il enlève un drap il le plie sérieusement et le met sur son bras → garçon de café, ordonné. Mystère autour des poubelles. La pièce est un spectacle total, réglé comme une partition de musique. Pour Beckett, il s’agit de déconstruire le théâtre traditionnel pour parvenir à un théâtre complet, total, un spectacle.
Pour déconstruire, il commence par parodier les classiques :
_ il semble respecter une unité d’action, de lieu et de temps (une journée) mais ce n’est pas le cas : le temps vécu par les personnages est le même que celui des spectateurs (temps de la représentation), l’action pourrait se dérouler dans n’importe quelle pièce, pas de précisions et pas d’action. → temps hors du temps, action sans actions, lieu anonyme fermé. Nous sommes dans un décor d’apocalypse avec quatre survivants en mauvais état, monde vide.
_ références à certains auteurs : *Pascal → référence à l’ennui (le divertissement est là pour combler l’ennui, et si l’on s’ennuie on pense à la mort. Pour Pascal, le divertissement c’est, par exemple le travail, l’écriture, tout ce qui nous empêche de penser à Dieu, à la mort) lorsque Hamm dit «tu seras assis quelque part, petit plein perdu dans le vide, pour toujours, dans le noir» (p. 51)
*Descartes → p. 82, «il pleure. –Donc il vit» (je pense donc je suis)
*Shakespeare → Richard III, au moment où il succombe, il dit «mon royaume pour un cheval», p. 36 Hamm dit «mon royaume pour un boueux !» On fait également un rapprochement Clov/Hamlet.
Hamlet → parodie de son discours avec les rats.
Pour déconstruire le théâtre, Beckett déconstruit aussi la langue. (sera traité plus tard)
Extrait 1 (p. 13)
«ça va peut-être finir» → incertitude perpétuelle
«fini, c’est fini» → il n’y a pas vraiment de commencement (ni de fin).
Temps cyclique, la fin pourrait être le début, le début pourrait être la fin.
Paysages dévastés : L’œuvre de Beckett fait l’impasse des Trentes Glorieuses, paysages dévastés, personnages qui n’ont pas grand-chose → inverse de la société de consommation, «plus de nature» (p. 23), la nature se reflète en eux dans la dégradation. Kant parle de l’expérience du mal radical → l’existence est marquée à jamais par la guerre, traumatisme, monde en ruine (p. 23 la terre est stérile p. 25, procréateur en puissance p. 103, p. 26 …). Nous sommes aux antipodes de la Phéacie.
La notion d’humanité est remise en question : on se situe juste après Auschwitz (p. 63 «pue le cadavre) et Hiroshima. Remise en cause complète des relations humaines, on peut le voir dans le texte de Beckett par les relations entre les personnages :
*Clov serait plus ou moins le fils adoptif de Hamm, ils se disputent, ne se comprennent pas, Hamm se sert de Clov, relation «sado-masochiste», maître-esclave. Ils se détestent et pourtant restent ensemble.
*Nagg et Nell : un couple qui parle de leur amour au passé, ils sont séparés chacun dans une poubelle, ils n’ont plus de jambes (accident de tandem), c’est un «reste de couple».
* Nagg et Nell et Hamm : Hamm est excédé par ses parents (surtout son père), qu’ils traitent comme des chiens, p. 67 «salopard ! Pourquoi m’as-tu fait ?» → parodie de la Bible «père pourquoi m’as-tu abandonné ?».
→ relations humaines anéanties.
Les anciens repères ont disparu : _plus de repères religieux, Fin de partie illustre totalement l’absence du Ciel, discours régulièrement blasphématoire, références religieuses tournées en dérision. Hamm figure dégradée du Christ (p. 67), référence à l’enfer (p. 39), référence aux tables de la loi (p. 102 «la Pierre levée»). «Il ne peut pas se sauver» pas de salut possible (p. 73), «prions Dieu» p. 73-74 (blasphème avec «salaud»), la dragée est une parodie de l’hostie.
Représentations artistiques et littéraires en mutation : le théâtre de Beckett se positionne différemment par rapport au théâtre bourgeois de l’époque (vaudeville) ou au théâtre populaire (avec Jean Vilard). Il se démarque de ces courants là par un rapport conflictuel avec le public (il voit une image négative de lui), spectateurs intellectuels et avertis, théâtre qui requiert des références, de la culture, pour pouvoir comprendre → remise en cause de tous les savoirs. Il s’oppose également au théâtre politique (Camus et Sartre) : Beckett met en avant l’inutilité de l’action, il gomme les éléments qui pourraient faire penser à l’actualité, pas ancré dans un temps et un lieu définis, la parole est inutile.
Théâtre d’avant-garde : on a essayé de classer les écrivains d’avant-garde sous des étiquettes qui ne conviennent pas toujours. Par exemple l’étiquette du théâtre de l’absurde, qui ôte toute la force du théâtre de Beckett. «Nouveau théâtre», théâtre de la dérision → termes très réducteurs, le théâtre de Beckett ne peut se réduire à la dérision. Anti-théâtre car s’oppose au théâtre classique.
→ tous ces termes sont réducteurs. Dans le théâtre d’avant-garde, les auteurs sont très autonomes, on ne peut donc pas tous les rassembler sous une même appellation (Beckett, Ionesco, Adamov).
Le théâtre d’après-guerre
Profonds traumatisme, chute de l’humanisme, perte de confiance en l’homme, on prend conscience qu’il est capable de tout, crise de la foi. Hannah Arendt (philosophe allemande, auteur des Origines du totalitarisme, Condition de l’homme moderne) pose la question du mal.
I. Théâtre de l’absurde
Beckett, Adamov, Ionesco. Fond pessimiste, crise de la foi, suit les deux guerres mondiales. Crise de l’homme, effondrement des valeurs traditionnelles. Théâtre sombre mais transcendé par l’humour, rompt totalement avec le théâtre classique (pas d’intrigue ni de schéma narratif, personnages passifs, anti-héros, caractères interchangeables → destruction totale, langage simple, sujet commun …) , s’adresse aux intellectuels. Comique grinçant, apogée dans les années 1950, influence jusque dans les années 1970.
II. Théâtre politique
Engagé, apparaît au XXème siècle des pays opprimés de l’Est.
John Osbonne et Jean Genet en France, Sartre très mobilisé notamment en 68, Camus engagé également dans la résistance et dans les combats idéologiques après la guerre, il est amené à s’opposer à Sartre (Caligula), Anouilh (Antigone).
III. Théâtre de la cruauté
Théorie tirée de l’essai Le théâtre et son double (1935) d’Artaud, elle poursuit les grands changements dans les arts plastiques et littéraires. Cruauté = vie, c’est ce que prône Artaud. La cruauté nous fait vivre, nous émeut, nous assomme, c’est notre monde intérieur qu’il faut projeter sur la scène. Ce n’est pas la cruauté au sens sadique du terme. Théâtre qui doit submerger les spectateurs d’émotion, spectacle total, espace scénique étendu à toute la salle, lumières, musique, couleurs, sons, images, pas de langage articulé, le spectateur doit être plongé dans une transe, une émotion primitive.
IV. Théâtre de la distanciation
Bertolt Brecht
S’oppose à l’identification de l’acteur à son personnage, il prend du recul avec l’adresse aux spectateurs, la référence directe à un problème social etc … Le but est de perturber la vision linéaire et passive du spectateur. Brecht s’attaque au réalisme, il faut prendre ses distances par rapport à la réalité. Il veut élever l’esprit critique, effet de désaliénisation.
V. Autres formes de théâtre
_théâtre populaire = en 1947 naît le festival d’Avignon pour rassembler le peuple, intérêt culturel, théâtre pour tous.
_living théâtre = aux Etats-Unis, dans les années 1920 et redécouvert après la guerre.
_ théâtre ethnique = aux Etats-Unis.
***
Les personnages de Beckett peuvent presque se confondrent (pas d’épaisseur psychologique), tout comme les couples. Les noms sont interchangeables.
Théâtre de l’attente, sclérose du langage, les personnages soliloquent (parlent tout seuls).
Beckett dans ce théâtre d’avant-garde : deux grands axes à retenir :
_ déconstruire pour reconstruire l’être humain
_appauvrir le langage pour lui redonner tout son sens
Tendances générales de l’œuvre de Beckett :
_ dépouillement (spatial, temporel, physique et moral, matériel …)
_ abstraction (peu de choses concrètes)
_ indétermination
Les lieux : espaces en général déserts, pas de repères spatio-temporels, lieux clos (cylindres dans Le dépeupleur (1968-70), jarres dans Comédie.
Leitmotivs : la lumière (p. 24, p. 58), la mort (p. 76 avec l’ordre qui représente la mort, p. 51 «pour toujours dans le noir», «mais tu ne te lèveras pas», «infini du vide», «plus de …» …, p. 58 avec le rat, la seule bête réellement vivante doit être tuée.) «La fin est dans le commencement et cependant on continue.» (p. 89)
Les personnages incarnent l’homme moderne qui est à la fois étranger au monde, aux autres et à lui-même. Ils «vivent» selon Gilles Deleuze «l’épuisement du sujet» : épuisement physique et métaphysique (ils ne croient plus en rien),ils sont vieux, souvent des hommes, ils souffrent d’abord dans leurs corps (Hamm paralysé et aveugle) → à l’opposé des personnages traditionnels. Etat proche de la mort.
Le rôle des objets
Dans le théâtre d’avant-garde, les objets appartiennent au langage paraverbale, c’est-à-dire le langage sans mots. Place prépondérante dans le rôle de l’œuvre. Beckett en met certain en avant.
I. Différentes sortes d’objets
Certains sont essentiels, d’autres de simples accessoires et d’autres encore sont justes mentionnés dans les dialogues.
1) Objets du décor
Les plus importants car ils sont constamment visibles par le spectateur, la pièce est vide mais * les murs : rideaux qui masquent les fenêtres, tableau retourné près de la porte, deux poubelles où logent Nagg et Nell, fauteuil à roulettes de Hamm → sans ces objets, la pièce perd sa cohérence et son intérêt et rend même toute représentation impossible.
2) Accessoires
Utilité moindre mais indispensable pour une bonne compréhension de l’œuvre. Trois catégories : *vestimentaires : mouchoir dont Hamm se couvre le visage, son plaid, sa robe de chambre, sa calotte en feutre, ses lunettes noires, les brodequins de Clov, son parapluie et son panama. *instruments et ustensiles de la vie courante : escabeau, lunettes, sifflet, gaffe (perche), réveil, valise. *le chien en peluche de Hamm.
3) Ceux qui ne sont que mentionnés
Hétéroclites : deux roues de bicyclette, un buffet, un cathéter, un radeau, une burette d’huile. Pas matériellement présents sur la scène mais leur évocation récurrente leur donne une existence virtuelle. Bien que le spectateur ne les voit pas, ils sont là.
II. Différente fonction des objets
Ils ne dressent pas un tableau réaliste, pas de fonction utilitaire, plutôt une fonction métaphorique, parfois comique et dramaturgique.
1) Fonction métaphorique
Fauteuil à roulettes de Hamm → symbole même de la paralysie
Poubelles → déchéance physique
Lunettes noires → aveuglement de Hamm
Les objets disent plus que les mots.
2) Fonction comique
Escabeau de Clov → numéro de clown, avec la lunette il cherche l’escabeau et demande à Hamm s’il ne l’a pas vu.
***
Jean Anouilh, sur le théâtre de Beckett : «Un sketch des Pensées de Pascal joué par les Fratellini» → clowns.
La plupart des objets peuvent être vus comme des accessoires de clowns, les personnages sont des clowns (Hamm est un roi tourné en dérision, Clov rit tout seul et se déplace sans cesse, ils ont tous les deux le teint très rouge). Le sifflet représente la musique. Les personnages sont des survivants, la plupart des objets sont en dégradation, il leur reste peu de choses (biscuits, comme des biscuits de survie, pas de meubles, l’escabeau et la lunette servent à ne rien voir …). Le chien en peluche = distraction, objet infantilisant et représentant le reste d’affection entre les êtres. Poubelles = dégradation.
Les objets servent à occuper le temps, cela leur permet de continuer à s’intéresser à quelque chose. S’il n’y avait pas ces objets, il n’y aurait presque plus de conversation → ils maintiennent le contact entre les personnages. Clov bouge pour aller chercher des objets → permettent le mouvement.
Les objets sont là pour distraire les personnages, les empêcher de penser au vide de leur existence (fond pascalien).
Les objets sont détournés de leur fonction première par Beckett :
le réveil → ne donne pas l’heure, indique si Clov est toujours là.
la gaffe → ne rapproche pas le tableau du port, elle chasse les intrus et fait avancer Hamm (son fauteuil)
le chien → faux chien
la lunette → sert à ne rien voir
le tableau → n’est pas un objet décoratif montre la crise du mimesis (représentation).
Logique du discrédit
«L’art d’accommoder le gâchis» (Beckett, à propos de son théâtre)
art : dire quelque chose de cette «ordure» qu’est devenu le monde. gâchis : gâchis de la guerre. A partir de ce qu’il reste, il faut bien faire une belle œuvre (tâche de tout artiste, comme Baudelaire avec «Une charogne» ou Van Gogh qui peint une vieille chaussure). Fin de partie relève de cette poétique du reste, il s’agit de faire une pièce réussie malgré la culture en miettes. Fin de partie rend compte de cette crise :
_tableau retourné → crise de la mimesis
_roman de Hamm → on a l’impression que c’est l’histoire de Clov (de son adoption), ce ne sont que des brides, il raconte cela à Nagg qui l’écoute plus ou moins (p. 68-69. Mise en abyme : l’histoire racontée est celle des personnages.
_le mauvais traitement qu’il fait subir aux autres textes de la littérature : la Bible, Shakespeare, Descartes, Baudelaire (p. 108, son poème «Recueillement») il tourne en dérision la poésie.
_la logique du discrédit c’est aussi donner forme à l’informe. Sous l’apparence du désordre, il y a tout de même une structure. Il donne forme à l’informe (absence de tout) par :
_les jeux de mots, nécessité de l’oralisation pour les comprendre. Les tonalités sont importantes = musique. Jeu de répétitions (leitmotiv) → aspect musical et chorégraphique.
_métaphore du jeu d’échec, par les effets du décor (effet de symétrie avec les deux fenêtres, les deux poubelles), les déplacements de Clov, Hamm au centre, dans le langage (effet de réponses avec les répétitions). Goût chez Beckett de la géométrie, logique circulaire dans la pièce, spirale de motifs qui se reprennent («réfléchissez, réfléchissez» p. 71 et p. 89, «pas besoin d’aller loin» p. 54 et p. 91 etc …). Il avait prévu deux actes, dont le second répondait au premier.
_esthétique de l’entre deux : compromis où il n’y a pas d’action, pas de décor, pas de spectacle, et pourtant l’œuvre existe et persiste à être jouée. Pas de noir ou de blanc, du gris. C’est ni le jour ni la nuit, entre la vie et la mort. Figure de la rétractation : les personnages reprennent une réplique mais la modifient, l’inversent totalement (p. 18, Clov «alors nous mourrons», «alors nous mourrons pas»).
Hamm = marteau, référence à Hamlet, référence à Sham (fils maudit de Noé), hamm en anglais signifie aussi un mauvais.
Quelles sont les interprétations possibles de Fin de partie ?
Il faut prendre cette pièce comme un jeu de la part de Beckett → on joue beaucoup, époque d’après-guerre. Beckette met en crise toutes les interprétations possibles → il nous place dans le doute. Son théâtre n’admet pas d’interprétation et de sens définitifs. Il dit « Honni soit qui symbole y voit», c’est-à-dire «maudit soit celui qui voit des symboles dans mon théâtre». p. 47 «Signifier ? Nous signifier ! Ah elle est bonne»
*Première interprétation proposée → le théâtre de Beckett serait un théâtre métaphysique (Godot = God pour En attendant Godot). Pour Fin de partie → sorte de parabole sur la misère infinie de l’homme sans Dieu (théorie de Pascal), l’homme est perdu dans un cachot de ténèbres. Beaucoup de références à la Bible, de motifs Christiques : Hamm = marteau et Clov = clou → crucifixion, partage du biscuit (p. 30), le crachat (p. 105), appel du «père», «Salopard, pourquoi m’as-tu fait ?» (p. 67)
*Interprétation historique → littérature de l’après concentrationnaire (camps de concentration), l’après Auschwitz (p. 63, p. 106, références aux expérimentations, p. 102 «occupation», p. 103 «pourquoi tout cet interrogatoire».
*C’est seulement du théâtre : on joue simplement une pièce, on est là pour jouer. « honni soit qui symbole y voit», résiste à l’interprétation, Beckett refuse de donner un sens, p. 33 «ça ne veut rien dire». Histoire de fous où l’on se contredit sans arrêt (p. 60). Ca se dérobe à l’interprétation et en même temps ça y invite → lecteur frustré.
Beckett nous brouille le signifié (ou les signifiés) par la forme du signifiant. La dimension ludique prend le pas sur le sémantique (= les sens). Il aime jouer sur les mots, avec le sens des mots. (Ex : p. 20 «pourquoi ne me tus-tu pas ?»). On a pas la clef de la pièce, comme Clov n’a pas «la combinaison du buffet». Il est vain de chercher une seule interprétation. Il joue sur la polysémie (plusieurs sens) des mots, l’homophonie, les objets présents. On a du tragique et du comique (comme chez Shakespeare). Réversibilité dans les répliques des personnages (→ dire successivement une chose et son contraire). «Une histoire de fou» → pile au milieu du livre.
L’anti-théâtre de Beckett n’est-il pas le théâtre par excellence ?
Notion qui apparaît à la sortie de En attendant Godot. Ses œuvres représentent la crise du théâtre classique, le drame est mis en crise. Il n’y a pas d’action, «quelque chose suit son court», pas de péripéties ni de retournement de situation. Le «drame dans la vie» (théâtre classique) devient «le drame de la vie». Chez Beckett dans Fin de partie, il n’y a pas linéarité, il n’y a qu’une addition de moments («les grains s’ajoutent aux grains»). C’est une boucle, effets de répétitions (beaucoup de formes rondes : les poubelles, les roues du fauteuil de Hamm, les calmants …). Selon Aristote, il doit y avoir un événement final, l’action doit être menée à son terme, ce n’est pas le cas ici car la pièce n’a pas de fin, ou alors elle commence par la fin (histoire du mouchoir sur le visage). La catastrophe qui devait se produire à la fin (tragédie) a déjà eu lieu : décor apocalyptique.
Plusieurs crises :
_crise du personnage : pas d’identité, nom proche du surnom ou des mono-syllabes, plus d’humanité car vus comme des déchets, des objets, les personnages n’existent que les uns par rapport aux autres, fonctionnent par complémentarité : Clov a besoin de Hamm pour la combinaison du buffet et Hamm ne peut rien faire tout seul.
_crise du langage, du dialogue : les personnages ne s’écoutent pas (p. 65-66 «Tu veux écouter mon histoire ? –Non.», p. 17 «toute la vie … réponses».). Lorsqu’ils se répondent, il y a des problèmes d’interprétation (p. 58 avec le verbe éteindre).
Où est alors l’intérêt pour le spectateur ? La surprise, l’humour.
Les sens vont se dégager grâce au jeu des acteurs et aux objets, à l’utilisation que l’on en fait (ils sont là pour «relancer» la pièce lorsque les dialogues commencent à lasser).
C’est un théâtre qui se montre tel qu’il est : le texte lui-même nous dit que tout ceci est un jeu : récurrence du verbe «jouer», p. 14 «c’est à moi de jouer», p. 100 «cessons de jouer», dernière tirade «puisque ça se joue comme ça», p. 47 «pourquoi cette comédie» … etc.
Beckett provoque le lecteur, veut le faire réagir. Les spectateurs sont des victimes consentantes qui acceptent de voir bousculées les valeurs d’une société bien-pensante.
Remise en question des valeurs bourgeoises alors que les spectateurs sont en majorité des bourgeois/intellectuels. Comme dans la tragédie, il pourrait y avoir un plaisir à voir le malheur d’autrui représenté en spectacle. (Nell : «rien n’est plus drôle que le malheur»).
Thèmes de comédie (de vaudeville) avec «embrasse moi, tu ne veux pas m’embrasser !».
Double énonciation : le spectateur passe au dessus des personnages : comme avec «pouls» et «poux», message adressé au spectateur, Beckett se réapproprie tous les genres du spectacle (jeux de guignols → complicité Beckett/spectateur comme guignol/enfants). Les personnages ne comprennent pas tous les jeux de mots, le spectateur oui.
«Léchez-vous les uns les autres» → «aimez-vous les uns les autres» (Bible).
Merci à Salomé qui a tapé tout ceci !
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