« Que faut-il appeler nature ? » CORRIGÉ
1- Une vie : une naissance
2- une essence
3- de « soi-même », spontanément
PLAN :
1- Naturalisme – Aristote
Critique : esclavage ? (le vivant-machine ?)
2- Artificialisme – Descartes + Hobbes
Critique : le corps politique / biologique ? (la « machine »-vie ?)
3- La « seconde nature » : l’homme engendre l’homme : la vie de l’esprit
Problématisation : Faut-il réserver le mot « nature » pour les manifestions d’un ordre vital ?
C’est par nature que le vivant est né (natus est) et qu’un ordre vital s’est révélé possible. La nature répartit par genre et espèces de naissance qui nous font parler de natures, dans un deuxième sens pour désigner des qualités, des formes spécifiques : il entre dans la nature du cercle d’être rond, de se distinguer du carré par une différence de nature et non de degré. Notre mot fait entendre une naissance et une essence à la fois ; ce qu’il y a à être, une nécessité qui prescrit un ordre, avec lequel un troisième sens ferait corps, suggérant l’idée de spontanéité : quelque chose qui se fait de soi-même. Parfois, les trois sens deviennent indiscernables. Ainsi, quand Descartes dit « les passions sont toutes bonnes de leur nature ». On oppose donc naturel tour à tour à artificiel, extrinsèque, et contraint. Mais le premier sens joue un rôle déterminant et imprègne tous les autres.
1er sens : le pouvoir de donner la vie (par naissance) semble laisser une trace dans toute essence, par une qualité intrinsèque (nature) et habiter tout vivant par une réelle spontanéité (innée, ou quasi innée).
Dénaturation sonne comme altération, prise au sens péjoratif, voire comme dégradation. Réserverons-nous le mot nature aux seules manifestations d’un ordre vital ?
1- Naturalisme
Par nature, il faut entendre une puissance de vie qui irrigue ce monde. Une seule et même puissance normative qui s’étend de façon continue jusqu’au monde humain. Il y a là un principe de spontanéité. Voir Aristote.
« L’être par nature est celui qui a en lui-même un principe de mouvement et de repos ».
Nature dit donc autonomie, et expansion d’un ordre, ce que l’artifice continue par d’autres moyens, mais sans l’altérer. La nature fait naître, le point de départ se retrouve comme point d’arrivée :
« L’homme engendre l’homme … la nature en tant que genèse est un acheminement vers la nature » c’est-à-dire les êtres par nature ne sont pas produits, ils résultent d’une reproduction.
Nature s’oppose à artifice, y compris dans la forme la plus aiguë, c’est-à-dire l’automate, c’est-à-dire ce qui marche soi-même. Et en même temps, nature s’oppose à abstraction, par exemple la monstruosité ou encore l’asocialité.
« L’homme est par nature un animal politique » c’est-à-dire fait pour vivre dans la cité.
Une téléologie : « la nature ne fait rien en vain ». Par exemple, elle donne à l’homme la parole pour qu’il puisse s’accomplir dans la cité = vivre avec son semblable par liberté. Néanmoins, la sociabilité, c’est-à-dire l’aptitude à vivre dans la cité équivaut à un instinct. La nature nous donne une dénaturation symbolique (par les signes) et cette parole nous conduit à construire l’espace des hommes, la cité. La nature se prolonge dans et par l’artifice.
Par exemple : la parole, les signes en général (vêtements, la monnaie …). Et ce sont des techniques, c’est-à-dire « ce qui accomplit et achève les processus que la nature n’a pas mené à leur terme ».
Aristote soutient une thèse naturaliste : il faut appeler nature tout ce qui demeure irréductible à l’artifice pur, par exemple une sophistication exagérée, ou alors ce qui relève de la tératologie (= les « échecs » de la nature).
« Quiconque vit hors de la cité, est soit une bête soit un dieu ».
La nature joue un rôle normatif, c’est-à-dire elle agit comme un garde-fou contre des désordres divers, des altérations qui peuvent « dénaturer » une puissance productrice, ou un ordre qualitatif.
Critique : « naturaliser » autant que possible nos pratiques, est-ce prudent ? Oui, quand on peut revendiquer une résistance à l’épreuve du temps. Mais l’argument mérite une critique attentive, par exemple la peine de mort résiste à l’épreuve du temps. Est-elle « naturelle » ? De même, à Athènes au 4ème siècle, l’esclavage appartient aux mœurs.
« L’esclavage existe par nature … certains sont faits pour commander et d’autres pour exécuter ». Aristote traite comme historique un fait de civilisation qui dépend d’une histoire donnée. Il y voit une nature, et non un fait culturel, c’est-à-dire un mode production (limité et dépassable). Aristote n’identifie pas le vivant-machine c’est-à-dire l’esclave comme un artifice avéré et irréductible à la nature. Il devrait y voir une contre-nature, une contrainte, une violence spécifique (contre la liberté humaine).
2- Artificialisme
On ne peut pas réserver le mot nature pour cette puissance de vie, puis cette « prétendue vie » n’a pas de spécificité.
Voir le projet de Descartes : démystifier la notion de nature qui n’est pas une « déesse ». Pourquoi ? Voir Galilée. Il reste l’idée d’un cadre purement géométrique et inerte (sans initiative).
« Ma physique n’est autre que géométrie ». Descartes. Parler de la nature, c’est parler en géomètre.
On peut maîtriser cette disponibilité offerte, voir Francis Bacon : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant », c’est-à-dire l’action magique est impossible, il reste à utiliser de l’intérieur l’inviolabilité des lois physiques. Conclusion : la nature, c’est une certaine légalité. D’où l’idée de « nous rendre maîtres et possesseurs de la nature » c’est-à-dire agir techniquement pour étendre le domaine du bonheur humain.
Une vision artificialiste, c’est-à-dire une dénaturation de l’idée de nature. Il faut appeler nature tout ce qui fonctionne (par la simple disposition des parties). D’où un paradoxe apparent ; une montre marquant les heures le fait aussi naturellement qu’un arbre qui porte des fruits c’est-à-dire nature = fonction. La spontanéité, la vie sont des leurres. La nature n’a pas de vraie spécificité puisque l’artifice nous en promet autant.
Problème : Comment concevoir la vie des hommes dans ces termes artificialistes. Voir Hobbes : dès que l’homme apparaît, il devient délicat de parler de nature. C’est un point de départ qui n’est pas en même temps le point d’arrivée puisqu’il est cette condition initiale qui affirme la violence comme l’issue inévitable. Voir l’hypothèse d’une absence de sociabilité naturelle traduite par une stricte égalité c’est-à-dire à tout moment, chacun risque la mort violente. Cette égalité naturelle fait le contraire d’un âge d’or. Elle ne constitue pas une promesse d’équité, de justice, de liberté. Le « droit de nature » se réduit à une liberté illimitée de chacun sur chaque chose, mais dans un contexte de destruction réciproque. Nature = l’équilibre qui ne se suffit pas à lui-même. (il contrarie toute construction d’un ordre social viable et vivable). La « vie des homme » n’est pas donnée, ni immédiate, il faut la construire. D’où l’impératif : « Let us make man ». Autrement dit, la nature devient en même temps un constat d’impuissance. Elle dit la nécessité d’une rupture dans et par l’artifice, c’est-à-dire le pacte qui rend possible un état civil.
Voir la constitution de l’Etat comme personne publique.
Le droit de nature, c’est-à-dire nature au sens immédiat et la loi de nature, c’est-à-dire la médiation et une certaine dénaturation, un calcul qui introduit dans l’artifice. Seule condition de conduite compatible, consistante au regard de nos intérêts. La nature ne vaut que revue et corrigée par l’artifice comme si elle se dépassait elle-même de sa propre négation. On parlera du point de départ en terme « de condition naturelle ». Ce n’est pas exactement une nature. Il n’y a a pas de montage comme l’instinct qui agirait immédiatement. Il y a un simple cadre, une « condition » et les hommes deviennent sociables par accident, c’est-à-dire ce n’est pas spontané et pour chacun la nécessité vient de l’extérieur.
Critique : l’artificialisme veut évacuer toute vie au profit d’un mécanisme, il en tire une certaine distance, une objectivité qui semble « scientifique », mais il se condamne à ne pas expliquer comment la nature est encore et toujours puissance de vie. Descartes n’identifie pas la machine-vivante c’est-à-dire l’organisme comme nature authentique et irréductible à l’artifice. Une nature pleine, entière et spontanée. Voir Kant : la montre défectueuse ne se répare pas spontanément, mais l’arbre élagué régénère ses mutilations c’est-à-dire dans une machine (=l’artifice), la partie existe pour les autres, mais dans un organisme, la partie existe pour et par les autres. Cette autonomie du vivant rappelle que la nature agit non pas par production, mais par reproduction. La machine politique vue par Hobbes suscite les mêmes doutes. Hobbes n’y voit pas une nature seconde dérivée mais animée d’une vie spécifique. Voir cette société qui doit « tourner comme une machine » et qui reste aux antipodes d’un certain droit naturel, c’est-à-dire d’une référence dont Antigone se réclamera toujours pour dénoncer l’injustice. Ce droit naturel, qui participe de notre vie collective et qui fait de nos « corps politiques » des manifestations vitales. Toute « machine » politique témoigne d’une spontanéité qui rappelle une nature irréductible.
3- La « seconde nature »
La nature sait aussi se faire « seconde nature ». Voir Rousseau : « L’homme de l’homme ». C’est-à-dire celui qui s’engendre par nature qui se fait dans son histoire parce qu’il est naturel que l’homme se construise. Il y aurait peut être une « nature humaine », mais elle n’existerait qu’en creux, c’est-à-dire par défaut. Comme un vide à combler. Voir Rousseau : la perfectibilité, c’est-à-dire la « nature » de l’homme consiste à accumuler des apprentissages, des artifices, sous la forme d’une vie qui peut s’élever comme la vie de l’esprit (par exemple : un peuple vertueux mais qui peut aussi « devenir imbécile » c’est-à-dire ne même plus se tenir debout).Donc détruire sa propre terre autant que son espèce et cela par les moyens les plus « civilisés. »
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