YEELEN – Analyse de séquences :
Le sacrifice
1ère image : la soleil qui apparaît (on le verra à deux reprises). Donc, le film correspond à son titre : la lumière. Mais on le place également d’emblée sous le signe de la mythologie, c’est-à-dire on raconte une histoire particulière, mais aussi une histoire universelle : l’histoire des bambaras pourrait être déplacée.
- On a l’idée du cosmos, conçu comme réunion du ciel et de la terre. (Ouranos : la semence, Gaïa : la reçoit). C’est aussi un principe sexuel : cela illustre l’union d’un homme et d’une femme. Ce qui se rapporte alors aux parents de Nianankoro : union entre une femme Peul et un homme Bambara.
- Le montage laisse à penser que l’aile du Korê et le pilon magique, pourtant éloignés sont situés près l’un de l’autre. On retrouve en fait la pierre précieuse, et dans les deux cas, on a un panoramique vertical. Il faut élargir le cadre pour comprendre que l’on a changé de lieu.
L’arbre qui va s’enflammer : presque un immense double de l’aile du Korê. Ceci rappelle la question du double, mais aussi celle de l’union et surtout de la réunion. Il faut se réunir et abandonner quelque chose pour donner naissance à quelque chose de nouveau. Ainsi, on marie deux objets, deux ethnies, deux éléments pour qu’advienne quelque chose de nouveau.
Le pilon symbole de virilité (vertical) : liée au feu (principe plutôt masculin.
Le sacrifice : ce qu’on offre et partage avec un dieu. On fait les sacrifices dans des lieux consacrés (autel / table : idée du repas partagé avec les dieux). En Afrique, souvent, on sacrifie l’animal sur la divinité même, sur l’objet qui représente la divinité.
Plus tard, le thème du sacrifice revient avec l’albinos. D’ailleurs Nianankoro lui-même est aussi un peu celui qui est sacrifié, dans cet acte qu’il accomplit : il accomplit un acte nécessaire, mais il y perd la vie.
- animisme : idée que l’on regard le monde et que l’on y voit des objets très différents les uns des autres. Tous ces objets seraient doués, comme celui qui les regarde, d’une âme / conscience / esprit. De fait, ce qui réunirait l’animal, la plante et l’homme serait le fait qu’ils aient tous trois une âme / conscience / esprit. (anima = âme en latin).
- On parle beaucoup de symbolisme à propos de Yeelen. (exemple : le pilon symbole de la force fécondante, virile). Mais en même temps, les objets, les plantes, les animaux ne sont pas seulement montrés comme des choses, mais aussi comme des choses animées avec lesquelles on entretient une relation.
(dans beaucoup de cultures africaines, l’homme est forgeron (et travaille donc le feu) , tandis que la femme est potière (et travaille la terre, Gaïa).
Enfin, cette séquence inscrit le film dans la pensée magique. Il y a un fort ancrage dans la magie = il faut non seulement l’accepter mais aussi revendiquer cet héritage.
La divination
Nianankoro regarde dans la surface de l’eau et il y crache pour que les choses apparaissent.
Dans cette séquence, on passe à l’élément eau. On comprend que cette eau est liée à la mère, tandis que le feu est lié au père. Ce trait est d’ailleurs universel car dans de nombreuses cultures on associe l’eau à l’élément féminin. D’ailleurs, le premier élément dans lequel nous vivons, c’est le liquide amniotique. D’un sens, on cherche à retrouver cet épisode premier. (relations enfants / eau). L’autre lien vient des menstruations : le cycle vital de la femme et de l’Homme est lié au liquide sanguin, lui-même lié à des cycles naturels (marées, lune).
- Dans cette calebasse, il voit l’oncle Bafing qui est en fait à l’origine Soma. En fait, le premier acteur jouant Soma est mort, et Cissé a choisi de conserver certaines où il jouait et de les insérer dans le film. L’oncle Bafing ressemble beaucoup à Soma, ce sont d’ailleurs presque les mêmes personnages. Dans le film, il y a une forme de pensée qui fait dire que tous les personnages ne sont pas forcément individualisés.
Par exemple : Soma et Oncle Bafing sont comparables : c’est le personnage au pilon magique.
- Apparaît ensuite le visage du père dans l’eau : c’est une première réunion avec lui, par le biais de la pensée et de la divination.
Le dialogue
C’est une séquence de proximité / d’intimité entre la mère et le fils.
C’est aussi une séquence d’exposition qui donne des éléments d’explication. La parole y est très importante. Elle est proférée tout doucement et elle explique, du moins partiellement (tout n’est pas dit). Soma donnera plus tard une explication des faits, dont on ne sait pas si elle est vraie : il présentera son fils comme un traître. Cette histoire fait en quelque sorte écho à une structure œdipienne : le fils doit fuir le courroux et l’envie de meurtre de son père.
La parole a ici toute une gravité dans les relations entre les individus. Le statut de la parole est très important. On ne peut pas user de la parole pour dire n’importe quoi. D’ailleurs, le fils va toucher un sujet tabou : il franchit une limite = l’intimité dans la conversation a une limite située, instaurée par des codes sociaux. (En Occident, les règles familiales sont désormais plus propres à chaque famille. Il n’y a plus vraiment de règle commune). Ici, il y a des règles sociales dépassant individus et familles.
Il y a de nombreux axes, de nombreux plans qui peuvent soit réunie les personnages dans une même image, soit les séparer. La séparation va d’ailleurs se produire dans la séquence suivante. Nianankoro va se diriger vers le Nord-Est et sa mère vers le Sud-Ouest.
Ici, on recrée quelques chose de profond et de grave, mais on le fait de façon très simple : dans une case où il n’y a presque rien. Il y a ne sorte de sobriété, de dépouillement, qui donne sa force au mythe.
« Parler ainsi te rend maudit » : en réalité sa mère le traite d’idiot = non traduit dans la version sous titrée.
« Je ne voulais pas te blesser » : je ne voulais pas dire quelque chose de mal.
(le passage est structuré comme une sorte de montage alterné, le changement est parfois même imperceptible).
En fait, on est un peu dans la structure du conte : un élément oblige le héros à agir et à partir. Ici, on lui confie une mission : porter un objet à son oncle. Ce qui entraîne un voyage et des péripéties au cours desquelles il rencontrera Attou.
La recherche du fils se fait de façon assez brutale (le pilon brise la porte, il aurait presque une force interne) car accompagnée de démonstrations de force, et des incantations virulentes de Soma. Ce qui n’est pas sans rappeler une sorte de brutalité masculine qui trouve une limite à la fin, quand Soma ne maîtrisera plus vraiment le pilon.
Soma est accueilli hors du village par une femme qui lui offre à boire. Ces actes qui peuvent paraître anodins correspondent à un code, à quelque chose que l’on doit faire. Souvent d’ailleurs, ces actes gardent dans les sociétés pauvres une grande profondeur.
La rencontre avec le chef du village se fait près de l’atelier du forgeron qui travaille. Pourquoi montrer des images de son métier ? Le métier de forgeron est typiquement masculin et liée au feu, mais aussi à des rites d’initiation comme la circoncision par exemple. Ils incarnent une classe sociale et une fonction particulière (initiation : idée du secret, du mystère).
La rencontre avec l’homme-hyène
Le paysage change, il est soudainement beaucoup plus désertique.
Nianankoro est toujours filmé dans des plans larges et associé au niveau du son à la présence d’animaux (oiseaux). On commence par entendre hors-champ le rire de l’homme-hyène. Puis, on a le plan subjectif de Nianankoro qui cherche la source de ce qu’il entend.
Ce personnage étrange renvoie à la séparation floue entre les hommes, les animaux et les plantes. C’est la confusion entre le personnage humain et le personnage animal.
On retrouve la structure du conte : le personnage au cours de son voyage fait des rencontres, bonnes ou mauvaises. Ici, l’homme-hyène est un adjuvant, il montre le chemin à suivre. Il annonce d’ailleurs un peu la fin du film « qui finira dans la lumière ».
L’arrivée de Nianankoro chez les Peuls
On se trouve confronté à une nouvelle culture. Après les agriculteurs, on arrive chez les éleveurs qui sont habillés de cuir de vache (sans doute un choix de Cissé pour montrer le lien qu’ils ont avec leurs animaux).
On reste dans l’idée du conte, il a un premier obstacle à franchir : on le prend pour un voleur.
On montre alors la violence, l’affrontement, mais avec une certaine « crudité », « immédiateté ». Ce qui donne une authenticité à la scène. Et ce qui pose aussi la question de la représentation de la violence au cinéma. Il existe ainsi un cinéma qui rend cette brutalité sans en faire un ballet. Ici, c’est beau, et brutal.
Édulcorer la violence au cinéma reviendrait ) dire que la violence, « c’est pas si moche que ça ».
La cérémonie de purification (2’09)
La séquence est encadrée par deux séquences qui racontent l’histoire du fils, qui elles sont marquées par une sécheresse croissante. Cette séquence marquée par le bruit et le mouvement crée d’ailleurs une opposition avec celle de la mère, très calme et lente. Le montage cut nous fait passer directement du plan où Nianankoro est attrapé à celui de la mère dans le lac, ce qui crée un contraste saisissant. On peut d’emblée dire que ce sera une séance placée sous le signe du silence. Cette séquence fait d’ailleurs écho à d’autres séquences du film : celle de la cascade avec Nianankoro et Attou, celle de la divination (avec la présence de la calebasse), celle de la femme à l’entrée d’un village qui tend la calebasse à Soma … On peut ainsi parler d’une sorte d’anticipation et d’un lien thématique qui renvoie au thème de l’eau.
A chaque fois que la calebasse est présente (mais ce serait aussi valable pour un autre objet) on se rend compte que ce qu’ils font est sacré. La calebasse, l’objet, et le geste de la donner sont chargés d’une symbolique indéniable.
Le son : accentue l’élément eau, qui est presque le seul présent sur la bande son à ce moment-là. Il a sûrement été retravaillé en studio et il devient alors très musical.
La séquence est composée de quatre longs plans, dont le plus court est celui de la calebasse qui vient se cogner contre une autre.
1er plan : c’est un plan d’ensemble, la figure humaine est très réduite par rapport au décor. Le ciel très lumineux fait penser à une fin de journée. Mâh, se trouve au milieu des calebasses.
2ème plan : c’est un gros, voire très gros plan, qui est constitué d’un panoramique horizontal suivant le mouvement de la calebasse.
3ème plan : On ne voit pas le corps de Mâh en totalité, c’est une sorte de plan de demi-ensemble qui suit ses mouvements dans le sens vertical.
Montage : on passe du premier plan large, à un gros plan. Composition, image : tout est fait pour associer Mâh au milieu dans lequel elle se trouve et aux objets qui l’entourent.
Les mouvements de caméra sont des mouvements de recadrage : on cherche à suivre l’action. Ces mouvements sont calculés et lents et s’opposent à ceux de la séquence précédente.
La composition associe le personnage au liquide et au ciel laiteux. Qui d’ailleurs rappelle le titre (Yeelen = la lumière). Ici, on est dans l’univers féminin. On retrouve un point de vue mythique : l’eau est liée à la femme. Les femmes ont ainsi un statut particulier, puisqu’elles assurent la reproduction de l’espèce et portent les hommes futurs. Cette séquence rappelle également le mythe de Déméter et Perséphone : l’eau est liée à la fécondité des femmes, mais aussi à celle de la végétation. Et pour que le monde soit fécond, on retrouve le principe d’union : deux éléments doivent s’unir : ici on a la réunion du ciel et de la terre.
Mâh opère un acte de purification rituelle qui l’unit à une divinité. Cet acte d’immersion n’est pas sans rappeler le baptême du christianisme ou encore le bain rituel dans le Gange des Indiens. Faire ses ablutions : se verser de l’eau sur le corps de façon rituelle. Dans les sociétés africaines, les gestes quotidiens et anodins pour nous, ne le sont pas, ce ne sont pas seulement des usages de politesse, ni d’hygiène, ils renvoient aux relations qu’on entretient avec les autres. (Dans le texte biblique on a certain nombre de règles d’alimentation et d’hygiène).
2ème plan : la calebasse, certains objets sont sacrés (ex : le Graal, une coupe à la base). Les objets dont elle se sert sont des objets de tous les jours mais demeurent chargés d’une importance qui déborde la pure fonction de l’acte. La calebasse est dans la culture africaine un objet courant et un symbole de la féminité : c’est le contenant, une forme qui renvoie au ventre maternel, symbole de fécondité. Si on rassemble deux calebasses, on formera quelque chose qui ressemble à une sphère, et une fois de plus, on retrouve l’idée de réunion = symbolisée ici par la calebasse qui vient buter contre l’autre.
Le lait de vache ou de mil renvoie lui aussi à la maternité, le lait = liquide nourricier.
3ème plan : le corps nu d’une personne âgée est exposé. Ce qui est très peu courant dans le cinéma américain ou européen. Ici, on a l’idée que ce corps âgé de femme est une belle image, car associée à la maternité. A la fin de ce plan, la mère commence à parler, c’est le début de l’invocation.
(nouvel rappel à le religion chrétienne : la Vierge Marie c’est la mère de Dieu, mais Dieu est aussi le père de son enfant. Elle est à la fois épouse et mère de Dieu. Elle serait en quelque sorte l’héritière des déesses païennes : les divinités mères.)
(un des grands soucis de l’humanité, c’est d’avoir des enfants. La stérilité est un fléau.)
Ici, ce qu’on nous raconte semble appartenir à une destinée individuelle, mais en fait, ce serait la destinée de l’humanité toute entière, un destin collectif. Ce qui rappelle l’universalité.
Enfin, cette séquence se termine par un chant, pratique commune à d’autres religions. Ce qu’on demande à la divinité passe par le verbe, mais aussi par le chant. Son chant s’oppose aussi aux incantations violentes et brutales de Soma. Il s’oppose à une forme d’agressivité masculine.
L’affrontement avec les ennemis chez les Peuls
C’est une séquence de guerre, de violence, d’affrontement. Thèmes que Cissé traite de façon inhabituelle. Ainsi, l’affrontement se termine en duel, et il n’y a pas d’élément décoratif. Il n’y a pas de paroles non plus. C’est une séquence qui utilise peu de moyens, et qui ne recourt à aucun des grands moyens utilisés pour ce genre de scène normalement. On a donc une sorte de crudité, de sécheresse ce qui rend la violence d’autant plus forte. Le suicide dans la simplicité avec laquelle il est traité est « horrible , et violent.
On trouve ici l’idée que deux troupes qui s’apprêtent à s’affronter préfèrent le duel. Ce qui n’est pas sans rappeler David et Goliath, ou les Horaces et les Curiaces.
On a aussi l’idée d’un spectacle. Ce n’est pas spectaculaire, mais la séquence est construire sur l’idée que les camps assistent à un spectacle. Le montage est ainsi constitué d’une série de raccords regards entre ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. Dans les deux camps, on trouve des cavaliers et des chevaux, ce qui n’est pas très fréquent dans l’image de l’Afrique. De fait, on peut alors dire que l’on retrouve certains aspects du western : on retrouve les grands espaces caractéristiques que l’on va filmer en plan large. Les peintures de la tribu ennemie rappellent les indiens, et donnent à certains d’entre eux un visage terrible.
Le combat qui va avoir lieu est aussi ritualisé. Il y a des raccords regards entre les combattants. Cissé choisit de placer une sorte d’insert sur le poignard pour attirer l’attention des spectateurs. Les combattants sont morphologiquement différents. A noter aussi, la sobriété de la bande son.
Le suicide est lui aussi marqué par une sécheresse : on ne voit presque rien. Pourtant cette séquence est d’autant plus brutale et tragique qu’elle est simple.
Le nouveau sacrifice de Soma
Situation de la séquence : avant, Nianankoro a fait usage de sa magie chez les Peuls. La séquence suivante sera de nouveau placée sous le signe de la magie. Il s’agit en fait de mettre en relation la magie de Nianankoro et celle de son père. Ainsi, au fil de l’histoire Nianankoro devient aussi puissant que son père.
Il y a un certain mystère dans cette séquence. Elle débute dans une fausse nuit, sans doute une nuit américaine. Soma et les porteurs partagent alors un repas. Pourquoi autant insister sur celui-ci ? Parce qu’il fait écho au sacrifice et au repas que l’on partage avec les dieux.
Au début de la séquence, on a quelques gros plans sur les animaux : c’est une autre forme de brutalité = on fait de l’animal la proie dont on se nourrit.
Dans cette séquence, on passe de la nuit au jour. Le raccord lumière est un peu brutal. On est sur un long laps de temps.
L’idée de la magie est proposée par Cissé de façon très simple et directe. Les invocations sont faites avec des objets : poils et corne d’animal. Ils permettent à Soma d’attirer les victimes du sacrifice : un chien et un albinos (qui eux sont les objets de persécution de la société, des victimes désignées). Le chien et l’albinos arrivent à reculons. On retrouve ici le premier trucage du cinéma : passer les images à l’envers. Ce qui renvoie aux moyens de ce film et du cinéma qui à la base sont très simples. On en revient aussi par la même occasion que le cinéma est quelque chose d’un peu magique, voire de diabolique.
La séquence reste effrayante, bien qu’on ne voie pas de sacrifice. La présence de Soma et de ses porteurs est toujours associée au lieu où ils sont. Ici, la forêt marque sa présence par le son. Le panoramique sur la forêt : c’est comme si les victimes étaient là, sans qu’on les voit. Renvoie à l’idée qu’on peut faire surgir quelque chose de présent dans le monde.
Nianankoro et Attou, nouvelle séquence de magie
Cette fois-ci, on a affaire à une magie bienfaitrice.
Dernier plan : légèrement surexposé sur Attou qui sourit, elle qui est toujours stoïque. Ce plan succède à un plan su Nianankoro. On peut se demander si c’est vraiment la réalité ou une image mentale de Nianankoro.
Ici, on a clairement une scène de désir, et d’amour physique. Pourtant celui n’est que suggéré. Il y a en fait une sorte d’ellipse : une fois de plus, Cissé ne filme pas l’acte (ici sexuel) : c’est d’ailleurs un style de cinéma.
Ainsi, c’est ce qu’illustre l’attitude, et surtout le visage d’Attou qui sourit, et qui exprime de la joie, mais peut être aussi autre chose, elle semble même être un peu provocatrice (la coiffure des cheveux) : la sexualité ou du moins le désir sont ainsi suggéré.
Fait étrange, les plans ne sont pas tournés de façon à ce qu’on pense qu’ils sont à proximité l’un de l’autre. Il n’y a pas de réel raccord regard donnant à penser qu’ils sont dans le même milieu, qu’ils se regardent. Malgré le désir ambiant, on a l’impression qu’on ne parvient pas à les réunir.
Ainsi, au début Nianankoro est de ¾ dos, et regarde derrière, tandis qu’Attou est de ¾ face et regarde à droite = c’est comme s’ils étaient dans deux mondes différents. Il y a cependant un plan où ils sont réunis, de profil. On peut noter qu’il y a une sorte d’incohérence dans les axes de caméra qui donne une impression étrange et rappelle quelque part le côté magique planant sur le film, mais aussi sur leur relation et l’enfant qui va en naître. C’est comme si cet acte sexuel s’imposait à eux.
Pour suggérer qu’elle s’offre à lui, il suffit qu’elle détache son vêtement : une fois de plus c’est un geste très simple, mais lourd de sens. (Ce qui n’est pas sans rappeler Tristan et Iseult : philtre + double trahison + devront fuir et se cacher dans la forêt). La chose qu’ils ingèrent tous les deux suggère le désir amoureux mais les en dédouane également.
Il y a ici aussi un rappel de la féminité, avec le plan large où l’on aperçoit une calebasse sur le monticule de terre (fécondité + féminité).
La réunion des initiés (57 minutes)
C’est une séquence importante qui rappelle l’ouverture du film avec l’évocation des mystères du Komo. Cette réunion nous laisse pénétrer dans certains secrets des maîtres Komo ce qui fut d’ailleurs reproché à Cissé. Pourtant celui-ci revendique la transmission de cette tradition à tous. D’ailleurs cette séquence aurait été tournée avec de véritables initiés du Komo.
Trois idées / axes pour l’analyse de cette séquence :
- La question du lieu
La séquence s’ouvre par un long travelling qui nous emmène dans la forêt (rappelle le rapport à la nature). On s’approche d’un très grand arbre sous lequel se trouve la statue du début du film. C’est vraisemblablement une divinité féminine, appelée Nialé. Celle-ci est couverte de sang, et d’excréments : signe que des sacrifices lui sont régulièrement faits. Autour de cet arbre se trouve une clairière dans laquelle d’autres arbres sont couverts de signes faits en peinture rouge ou blanche, ceux ci restent mystérieux. On se trouverait donc dans un espace propice à une cérémonie d’initiés.
Le lieu revêt une importance particulière, signalée par la bière renversée sur le sol : c’est une façon d’offrir au dieu une partie de la boisson que l’on va consommer. Ce qui n’est pas sans rappeler le principe du sacrifice et du repas qu’on partage.
Les initiés ont chacun un chasse-mouches dans les mains : cet objet n’est pas du tout purement utilitaire. Ici, c’est aussi un signe, un symbole de pouvoir : tout le monde ne peut pas avoir cet objet. Ainsi, les gestes qu’ils font avec peuvent avoir une importance, ils soulignent parfois leurs paroles (on pourrait le rapprocher du sceptre d’ailleurs). De plus, le lien entre animaux et humains est de nouveau réaffirmé : les chasse-mouches sont sans doute faits en poils de crin.
- La fonction du son et de la parole dans la séquence
Une fois de plus, la parole a différents statuts. Dans les sociétés modernes, elle a principalement une fonction de communication. Or, ici, elle peut servir à autre chose. Certes, ils échangent, notamment à propos de la nécessité de poursuivre Nianankoro ce que le maître semble d’abord refuse. Mais la parole peut aussi être purement expressive c’est-à-dire exprimer quelque chose de l’ordre d’un sentiment comme les « mmh mmh » émis pour encourager son interlocuteur à poursuivre.
Ce à quoi s’ajoutent les paroles destinées aux dieux (souvent chantées, voire criées). Il s’agit de dire des paroles sacrées à la divinité. Paroles qui se transforment aussi en cris en imitant des sons d’animaux. Cette litanie sonne même comme une sorte de musique. Il y a aussi des paroles à deux voix : quelqu’un affirme quelque chose, et l’autre lui répond.
- Les rites auxquels nous assistons
Cette même parole renvoie d’ailleurs à quelque chose de l’ordre du spectacle : on peut jouer un rôle (par exemple pousser un cri d’animal et l’être pendant quelques secondes). D’ailleurs, dans la culture occidentale, l’origine du théâtre c’est la cérémonie religieuse. : cf Dionysos à qui l’on sacrifiait un bouc avant une représentation). On voit chez ces initiés qu’ils jouent un rôle, qu’ils appliquent un code. Il y a donc ici un lien entre le spectacle ritualisé et le théâtre.
Les initiés appartiennent à une société qui n’est pas sans rappeler celle des forgerons, qui possèdent des secrets. On invoque ensuite les divinités (parmi lesquelles la première présente, à savoir Nialé). A la fin, le pilon magique et l’aile du Korê doivent être réunis.
Enfin, la consommation de la bière est elle aussi tout à fait ritualisée. On cherche une sorte d’ivresse rituelle. Quant à la danse, c’est une gestuelle qui peut rappeler d’autres religions.
- La falaise de Bandiagara (pays dogon)
Une fois de plus on insiste sur le rôle primordial du paysage : le travelling (très très trèèèèèès long) qui suit la falaise nous permet de voir que cette falaise est creusée de trous, d’habitations troglodytiques.
Le renouveau de l’eau permet la vie. Or, « cette source existait avant même la falaise ». Cette donnée renvoie à l’idée cosmique et à la création du monde. L’eau a ainsi préexisté au paysage filmé, et elle fertilise le sol mais désaltère aussi, lave = elle est indispensable à la vie. On retrouve aussi la dimension cosmique, car on suit nos deux personnages qui vont se purifier : ils sont un peu comme Adam et Eve, les fondateurs d’une humanité à renaître. (l’actrice qui joue Attou s’appelle en réalité Awa = Eve).
Une fois de plus on peut noter que l’hygiène est liée à des questions rituelles. C’est d’ailleurs l’occasion pour Cissé de filmer deux corps nus, deux corps jeunes qui s’opposent à ceux de Mâh. Le récit de l’interlocuteur de Nianankoro est une voix hors champ sur les images d’Attou en train de se purifier. Ce qui renvoie également à une iconographie occidentale (cf : Diane au bain). Le bain est le moment où l’on peut observer le corps nu.
- La visite à l’oncle Djigui
Le jumeau de Soma n’est pas le résultat d’une simple fantaisie scénaristique. On a souvent affaire à des jumeaux dans des mythes, et notamment dans la mythologie Dogon. La gémellité offre l’occasion de développer une réflexion sur l’identité. Souvent dans les mythes on a d’ailleurs à faire à des jumeaux androgynes : dans la Bible par exemple, et plus précisément dans la seconde version de la création de la femme : l’homme et la femme sont créés à partir de la glaise, ce sont alors deux êtres androgynes. Dans le mythe platonicien, les êtres humains étaient androgynes.
Dans le cas de Soma / Djigui, on a un mauvais jumeau et un bon jumeau. Soma va d’ailleurs être puni par la mort de son attitude mais aussi de sa violence. De son côté, Djigui est du côté de la réflexion, et de la sagesse. Il est aveugle, mais c’est ce qui lui permet paradoxalement de « voir » : il sait qu’Attou est enceinte et que ce sera un garçon
. Il renvoie d’ailleurs un peu au devin Tirésias, et même à Œdipe qui ne voit pas la vérité tant qu’il voit de ses yeux, et qui quand il voit la vérité se crève les yeux.
. Il renvoie d’ailleurs un peu au devin Tirésias, et même à Œdipe qui ne voit pas la vérité tant qu’il voit de ses yeux, et qui quand il voit la vérité se crève les yeux.
C’est une séquence nocturne, les paroles prononcées pas Djigui le sont dans l’obscurité.
« un contre » : la lumière est placée derrière les personnages pour que leur silhouette se détache du fond. Quant au feu qui est censé les éclairer, c’est faux. C’est un effet crée par un assistant qui agite quelque chose devant la lumière. Cet éclairage donne une certaine profondeur à la séquence.
Le discours de Djigui associe des destins individuels et des destins collectifs. Ainsi, ce que s’apprête à faire Nianankoro, il le fait pour sa famille, les Diarra, mais aussi pour le peuple bambara. Et lorsqu’il était plus jeune, Djigui s’est trouvé dans un position semblable à celle de Nianankoro. Toutefois, l’oracle de Djigui n’est pas entièrement positif, il reste une part d’ombre.
Cissé évoque à travers le film la question de la transmission de la tradition. Mais, s’il s’installe dans cette tradition, il ne peut pas être progressiste. En fait, le mythe qu’il raconte plonge ses racines dans la tradition, mais explique comment le changement est nécessaire et inévitable. Soma veut perpétuer la tradition, tandis que pour Djigui, il y aura une catastrophe inévitable, mais porteuse de quelque chose de nouveau. Le film pose d’une certaine façon la question : « est-ce que les pères veulent que leurs fils leurs soient identiques ? ». Certains, oui. Or, celui qui n’accepte pas la différence de son fils est condamné. La culture des origines est indispensable mais on ne peut pas s’y tenir.
- La séquence finale / l’affrontement
Une séquence qui fait elle aussi penser au western (un western fantastique qui se termine dans la lumière). Nianankoro est placé entre l’aile du Korê et le pilon magique car c’est lui qui permet la réunion des deux objets.
On a de nouveau l’idée du sacrifice + un retour au début du film.
A noter des effets de grue curieux : on tourne et on s’approche de Nianankoro.
Puis, on identifie chaque personnage à un animal : d’abord deux taureaux, puis un éléphant pour Soma, et un lion pour Nianankoro.
Le fondu au blanc explique le titre : la lumière.
Après le dénouement, il y a un épilogue qui porte sur Attou et un enfant, qu’on imagine être le fils de Nianankoro. Celui-ci va porter l’œuf. Œuf qui est d’ailleurs associé au soleil (par sa forme). L’œuf symbolise le neuf, ce qui survint après le cataclysme et qui permet le renouveau, le changement.
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