CHAPITRE C : UNE INTERFACE NORD / SUD : l’espace méditerranéen.
Quelles sont les conséquences économiques, sociales et spatiales des grandes disparités de développement entre les deux rives de la Méditerranée ?
1- Un espace de clivage
a- Unité naturelle, diversité culturelle
La mer Méditerranée est étymologiquement « la mer au milieu des terres ». Elle s’étend sur environ 3800 km d’Est en Ouest et met en contacte l’Europe du Sud, l’Asie Occidentale, et l’Afrique du Nord. Elle est ainsi un espace carrefour.
L’unité de l’espace méditerranéen est d’abord le fait de caractéristiques naturelles. Son climat, marqué par la sécheresse estivale et les paysages de garigue, d’oliviers, de vignes crée une ambiance commune. La présence d’un cadre montagneux en amphithéâtre dominant d’étroites plaines littorales donne également un sentiment d’homogénéité.
L’espace méditerranéen a aussi connu l’unité politique et économique au temps de l’Empire romain. Son effondrement au Vème siècle, l’irruption de l’islam au VIIème siècle, le schisme entre chrétiens occidentaux et chrétiens orientaux au XIème siècle ont rompu cette unité. Aujourd’hui, trois aires culturelles, civilisationnelles à dominante religieuse se partagent l’espace méditéranéen.
- l’arc occidental au Nord-Ouest (Portugal, Espagne, France, Italie) à dominante catholique et latine.
- le monde balkanique à majorité orthodoxe (Grèce, Serbie, Bulgarie …) fortement marqué par l’islam ottoman (Albanie, Bosnie …)
- les mondes arabes (du Maroc jusqu’à la Syrie) et turcs, dominés par l’islam sunnite sur les rives sud et est de la Méditerranée. La création de l’état d’Israël en 1948 a toutefois introduit une exception mal acceptée par ses voisins.
L’existence de nombreuses minorités et de mouvements migratoires complique toutefois le tableau d’ensemble.
b- De fortes inégalités de développement
Le principal clivage est toutefois économique et démographique et sépare de manière très nette une Méditerranée du Nord-Ouest dont l’IDH est supérieur à 0,8 et la Méditerranée des PSEM (pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée) dont l’IDH se situe entre 0 ,5 et 0,8.
- Au nord, la France et l’Italie se distinguent par leur puissance économique. Le Portugal, l’Espagne, la Grèce connaissent également une croissance depuis les années 80.
- Les pays des Balkans accumulent des retards importants liés à une difficile transition vers l’économie de marché. Les violents conflits ethniques ont par ailleurs pénalisé le développement de l’ex-Yougoslavie.
- Dans la partie sud, le Maghreb et l’Egypte connaissent un début de développement grâce à l’exploitation de leurs ressources agricoles, énergétiques, et touristiques. La croissance est cependant entravée par une démographie très dynamique, des structures rurales archaïques, de très fortes inégalités sociales sur fond de corruption et de mauvais gouvernance.
La partie Est de la Syrie au Liban constitue un ensemble politiquement et économiquement plus varié, mais globalement fragile d’un point de vue stratégique. La Turquie connaît une croissance plus substantielle mais déséquilibrée.
c- De graves tensions géopolitiques
Le bassin méditerranéen est un espace traversé de conflits politiques, religieux et économiques multiples. Il accumule les points chauds de toute nature.
- des rivalités importantes opposent des états notamment à propos de leurs frontières. Les conflits israélo-arabes, l’occupation du Nord de Chypre par l’armée turque, les querelles entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental demeurent des abcès de fixation.
- dans un espace marqué par l’aridité, le problème de l’eau se pose de manière très préoccupante. Ainsi, le projet GAP dans le Kurdistan turc repose sur l’exploitation intensive du Tigre et de l’Euphrate. La Syrie et l’Irak situés en aval se plaignent sans être entendus de la Turquie des prélèvements excessifs qui mettent en péril leur économie. La nappe phréatique de Cisjordanie est un enjeu important et peu connu du conflit israélo-palestinien.
- de manière plus globale, les rapports entre le monde occidental et le monde musulman sont perturbés par la montée de l’islamisme. Certains pays arabes sont gravement menacés dans leur stabilité politique du fait de petits groupes de dissidence relevant de la nébuleuse islamiste (AQMI).
- enfin, en 2011, un mouvement de contestation des régimes en place est apparu. Ce qu’on appelle « le printemps arabe » est parvenu à renverser les régimes népotiques de Tunisie et d’Egypte. Il est pour l’instant tenu en échec en Libye et en Syrie. Il se réclame de valeurs démocratiques mais aussi de celle d’un islam traditionnel.
2- Un espace de contact
a- Les flux migratoires
Selon l’historien Fernand Braudel, la Méditerranée est un espace mouvement caractérisé depuis toujours par d’intenses flux migratoires. Aujourd’hui, il se dirigent essentiellement vers le rivage nord. Les pays de l’UE combinent en effet un haut niveau de développement et une démographie déclinante.
Le Maghreb est actuellement incapable de satisfaire les besoins de sa population en forte croissance. La proximité géographique et historique avec l’Europe développée en fait un important fournisseur de migrants. Le Maroc et la Tunisie jouent également un rôle important de transit pour l’immigration originaire de l’Afrique sub-saharienne.
Le sud-est de la Méditerranée, de l’Egypte à la Syrie connaît des situations économiques et démographiques comparables. Les flux s’orientent toutefois vers les monarchies pétrolières du Golfe Persique.
La Turquie est un espace de migration important en particulièrement vers l’Allemagne. Il en est de même avec les pays de l’Europe Balkanique du fait notamment des guerres de Yougoslavie qui ont généré des flux considérables de réfugiés.
L’UE tente de réagir en adoptant des mesures de prévention. L’importance de l’immigration clandestine organisée par des réseaux de passeurs rend son action très aléatoire.
b- Les flux touristiques
Avec 30% des flux touristiques internationaux, le bassin méditerranéen est le premier espace touristique mondial. Les atouts climatiques et culturels, la proximité des pays émetteurs (Europe du Nord-Ouest) explique cette situation.
Le flux, ou principaux flux se déploient toutefois sur la rive nord. L’Espagne et l’Italie accueillent ainsi la moitié des touristes étrangers. Toutefois, la massification du tourisme intègre désormais les rives sud et est (Tunisie, Egypte, Turquie).
Le tourisme privilégie les littoraux, les îles. Certains espaces se sont développés spontanément (Côte d’Azur). D’autres espaces sont aménagés plus rationnellement sur la base d’une planification de l’état. C’est le cas notamment des stations dites intégrées du Languedoc Roussillon (Grande Motte), et des complexes hôteliers de Tunisie et de Turquie.
Le tourisme est ainsi la première activité économique dans une grande partie de l’espace méditerranéen. Il rend les économies très vulnérables car les flux connaissent de fortes fluctuations liées aux situations politiques. Ainsi, depuis le printemps 2011, l’industrie touristique tunisienne est sinistrée.
La pression touristique fortement concentrée pose par ailleurs des problèmes d’environnement. Elle conduit en effet à la surexploitation des littoraux ou à la consommation excessive d’eau, au détriment d’autres activités comme l’agriculture.
c- Les flux commerciaux et financiers
- Les flux de marchandises, notamment maritimes font de l’espace méditerranéen un bassin d’échanges important. Les pays industrialisés du Nord-Ouest (France, Italie, Espagne) sont en effet demandeurs de ressources énergétiques ou agricoles en provenance du Maghreb et de l’Egypte. Ainsi, les économies des PSEM ont du mal à sortir de leur fonction de mono-exportateur. Leur développement industriel stagne, ce qui explique que les échanges restent déséquilibrés. Les exportations des pays du Nord méditerranéen vers le sud représentent 4% du total. Les PSEM réalisent près de 60% de leurs exportations vers le rivage nord qui est un partenaire vital.
- Les flux financiers modestes montrent cependant l’intégration croissante de la rive dans le processus de la mondialisation (investissements dans le textile tunisien). Une part substantielle de ces flux est aussi constituée par les envois des revenus des travailleurs immigrés vers leur pays d’origine. Là encore, la dissymétrie des flux révèle les contrastes de développement.
3- Les effets du fonctionnement d’interface
a- Des territoires recomposés
Les flux entre les rives de la Méditerranée contribuent également à remodeler les territoires :
- à l’échelle du bassin tout entier, la littoralisation s’accentue. Dans les PSEM, le dynamisme littoral repose sur une agriculture d’exportation (Plaine de la Mitidja en Algérie), les aménagements touristiques et la croissance des villes (Alger, Istanbul). La fonction portuaire reste cependant encore réduite.
- les campagnes subissent les conséquences de cette littoralisation. C’est le cas quand elles sont éloignées de la mer et montagneuses (Atlas, Cappadoce en Turquie). Elles se vident alors de leurs habitants. Elles sont par ailleurs tiraillées entre la volonté de développer les cultures d’exportation et la nécessité de nourrir des populations toujours plus nombreuses.
- A plus grande échelle, l’explosion urbaine peut être aussi considérée comme un effet. Elle se traduit par un étalement spectaculaire et par des recompositions urbaines. Le cœur des villes en particulier est bouleversé. Les quartiers modernes et décisionnaires s’installent en dehors des centres anciens (Médina dans le monde arabe). Des périphéries spontanées apparaissent pour accueillir les populations rurales.
b- Des sociétés bouleversées
Les villes des PSEM reflètent les tensions sociales caractéristiques des suds. La croissance démographique et l’exode rural provoquent une crise identitaire et économique de la ville. Le chômage et le sous-emploi explosent. La ville intègre ainsi de plus en plus difficilement les nouveaux arrivants. Le secteur informel représente ainsi les 2/3 des actifs à Casablanca et au Caire.
A cela s’ajoute une aggravation des écarts sociaux et culturels. Les élites urbaines au Maghreb et en Turquie s’occidentalisent rapidement. Elles sont porteuses de valeurs de modernité et sont souvent les soutiens aux projets d’adhésion des pays à l’UE. A contrario, une grande partie des milieux populaires récemment installée se réfugie dans les valeurs traditionnelles et le rejet de la modernité. Le développement de l’intégrisme islamiste en est l’exemple le plus évident.
Le fonctionnement de l’interface accroit ces contradictions du fait de la propagation d’images et de valeurs qui suscitent à la fois l’attirance mais aussi la rancœur. Les enclaves du tourisme international en Tunisie et au Maroc contribuent également au rapprochement ambigu des deux mondes.
Aussi, en 1995, la conférence de Barcelone prône l’instauration d’un partenariat euro-méditerranéen. Il s’agit pour l’UE de contribuer au développement des PSEM pour « croître ensemble ». On espère ainsi désamorcer les risques liés à un rapport de « fascination/répulsion » vis-à-vis du Nord. Ce partenariat peine toutefois à se mettre en place.
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