samedi 21 mai 2011

La vérité - P.

 LA VÉRITÉ
La vérité est l’accord de la chose et de l’intellect.

            Problématisation : la chose est extérieure à mon esprit. L’intellect, la pensée en général est immanent à mon esprit. D’une part, la chose c’est-à-dire un état de fait n’est jamais d’étoffe mentale, d’autre part, l’esprit n’est qu’une étoffe mentale. Comment mesurer l’accord entre deux données hétérogènes ? En apparence, la chose s’impose à notre esprit, et résiste à notre arbitraire. Faut-il mesurer l’accord à partir de la « chose » ?

            1- Réalisme (Hume – 18ème siècle)

            On distinguera deux formes de vérité :
a- les relations d’idées
b- les relations de faits.
Pourquoi les distinguer ? Depuis Aristote, 4ème siècle av. JC, on dit : connaître, c’est savoir par les causes, c’est-à-dire expliquer. D’où la relation de causalité qui dit A est cause de B, et ainsi, nous procédons par  « expérience » c’est-à-dire nous observons des cas qui se répètent. L’expérience devient une connaissance. Pourquoi ?
« Toute les matins, j’ai vu le soleil se lever » = expérience.
« Demain, le soleil se lèvera » = connaissance. Notre esprit part d’un grand nombre de cas, et il étend cette observation par induction.
            Problème : cette certitude n’est pas absolue. D’où la distinction entre les deux relations :
a- le domaine des maths, de la logique, des sciences dites « pures ». A chaque fois, la vérité est telle que son contraire est impensable. (ex : 2+2 =4)
b- le domaine « expérimental », c’est-à-dire empirique. Exemple : astronomie, physique et chimie, le vivant et l’histoire. A chaque fois, le contraire d’une vérité est pensable (sans contradiction).
            Ex : Jules César a existé.
            Problème : d’un côté, une totale certitude. Mais de l’autre, une sorte de probabilité. Problème de l’induction : nul ne peut connaître tous les cas. La causalité est donc menacée, c’est-à-dire elle repose sur l’induction = un grand nombre de cas. Mais ce n’est pas exhaustif.
            Soit une partie de billard, décrite par un naïf c’est-à-dire un esprit sans préjugés (il décrit ce qu’il voit, mais rien de plus). Le naïf voit le mouvement de la première boule = événement A. Puis, la rencontre avec une deuxième boule = événement B. Au début, il voit une conjonction, c’est-à-dire une juxtaposition de deux événements, c’est-à-dire A puis B. mais peu à peu, la répétition sollicite une disposition, un principe de son esprit = l’habitude. Et ainsi apparaît une sentiment d’attente. A fera attendre B. Et peu à peu, le naïf établit une connexion c’est-à-dire une relation nécessaire entre A et B. Il y voit une action causale et il énonce une loi physique c’est-à-dire la réciprocité du choc (+ la prévisibilité et l’inviolabilité processus). La science repose sur ce principe = un élément psychologique (une attente qui n’est pas déçue). Tout cela repose sur une « nature humaine » = la structure de notre corps + nos facultés …
            CRITIQUE : une vision anthropologique de la vérité et surtout une vision empiriste.
            Deux principes :
a- La connaissance s’explique par l’expérience et par l’enrichissement.
b- Ce qui vaut pour notre esprit ne vaut pas nécessairement pour les choses (= nous ne sommes pas dans les choses).
            Un siècle avant Darwin, Hume parle de sélection naturelle : la « vérité » se réduit à notre adaptation réussie. L’homme a résisté à une nature étrangère, il a interprété les phénomènes et surtout inventé la causalité pour expliquer et utiliser le réel. 

D’où le pragmatisme, c’est-à-dire le vrai c’est ce qui nous réussit. L’empirisme est donc fort et faible à la fois. Sa force réside dans l’idée que l’expérience se dépasse elle-même = elle s’enrichit, elle ne répète pas stérilement des observations. Elle fait donc un pas vers la science.

Sa faiblesse : une pente sceptique : ce qui a réussi, c’est un certain passé. Mais tout peut changer (ex : des observations nouvelles ou une manifestation organique).
            « Le passé ne fait pas règle pour l’avenir ». Hume. On ne peut jamais éviter de douter.

            2- Le formalisme (Leibniz)

            Il faut donc se détourner de l’hypothèse réalisme (c’est-à-dire qui repose sur res = la chose) et examiner la possibilité d’un accord de l’esprit avec lui-même. Dans la vérité, le contenu serait différent. C’est la forme qui ferait tout = la cohérence interne = la non-contradiction. D’o le privilège du modèle logico-mathématique avec deux principes quasi indiscernables :
            a- principe d’identité c’est-à-dire a=a. Dans le cas contraire, on ne pourrait rien penser.
            b- principe de contradiction = impossible de dire à la fois une chose et son contraire. Le formalisme est une vision de la vérité qui veut réduire tout mesure du vrai à une analyse c’est-à-dire décomposition en éléments premiers pour examiner la compatibilité des combinaisons. Ex 2+2 = 4 ou ((1+1) + (1+1)) =4.
            Problème : ne faut-il pas distinguer, supposer deux espèces de vérité ? Comparons deux sortes d’énoncés : par exemple « 2+2 =4 » ou le « cercle est rond ». Observation :ce sont des vérités éternelles, c’est-à-dire anhistoriques. Mais, si je dis « César est un homme qui a franchit le Rubicon », c’est une vérité historique, certes le fait s’est produit et il ne changera pas, mais il pouvait ne pas se produire. Du côté « 2+2 =4 », la nécessité la plus absolue est de rigueur. Elle règne. Mais dans les vérités historiques, les événements pouvaient ne pas se produire = ils restent contingents pour toujours. (César a longtemps hésité et il a décidé en disant que les dés étaient jetés.)
            On distinguera :
a- Vérité de raison : c’est-à-dire le contraire est impensable, et surtout l’attribut, le prédicat est contenu dans le sujet de façon parfaitement analytique.
b- Vérité de fait : le contraire est toujours pensable et le prédicat n’est pas inclus dans le sujet de façon analytique = la décision de César n’est pas dans sa personnalité comme la rondeur dans le cercle c’est-à-dire comme une propriété déductible dans une figure. César n’est pas une figure de géométrie. Dans les vérités de fait, la liberté joue un rôle majeur, et elle limite, réduit le pois de l’élément logique.
            Par exemple : en histoire, la décision même forcée ou éclairée reste contingente.

            Un moyen de maintenir la cohérence du formalisme : la probabilité. Il y aurait une continuité entre les vérités de fait et les vérités de raison, puisque nous pourrions mesurer le caractère non pas vrai, mais vraisemblable des vérités de fait. Exemple extrême : le monde extérieur existe-t-il ? Si oui, la « réalité » c’est-à-dire les choses ne sont pas un rêve. Si non, notre vie est un songe très long.
            Démonstration par l’absurde : supposons un rêve aussi long qu’une vie d’homme. Il aurait une cohérence, un suivi que les songes ont rarement. La chose est d’une probabilité infime. Voir l’argument du jet dans l’Antiquité : on prend une foule de lettres (de l’alphabet) et par jet, on espère composer un grand texte cohérent comme l’Odyssée ou L’Iliade. Conclusion : ce qui compte c’est bien la forme = la non-contradiction.
            « Toute idée possible c’est-à-dire non-contradictoire est vraie ». Leibniz.

CRITIQUE : en apparence, le formalisme triompherait en métaphysique, c’est-à-dire au-delà de l’expérience. Pourquoi ? Aucun fait ne ferait obstacle. La pensée s’accorderait avec elle-même. Problème : cet accord n’a même pas lieu.
Voir Kant – Critique de la raison pure : cette raison pure = libérée de son poids d’expériences se contredit. Et cela avec une résolution encore plus marquée dans la cosmologie rationnelle, c’est-à-dire l’idée métaphysique d’univers. La raison veut former l’idée de totalité (sans extériorité) et elle la développe dans l’espace et le temps. A chaque fois, elle bute sur la même contradiction. Aucune preuve directe, c’est-à-dire par l’expérience n’est possible. Il reste à démontrer par l’absurde :
            Thèse : il existe des limites de l’univers = un commencement dans le temps. Démonstration : supposons une absence de commencement. Nous aurions derrière nous, à tout moment, une éternité écoulée c’est-à-dire un infini fini. C’est une contradiction.
            Antithèse : il n’y a pas de limites et surtout de commencement de l’univers dans le temps. Démonstration : supposons un commencement dans le temps, il y aurait une sorte de temps vide avant l’apparition de l’univers. Or, le néant ne conduit pas à l’être. Il n’y a donc pas de commencement.
            Conclusion globale : on peut « prouver » des deux côtés = on ne prouve rien. C’est le dernier qui parle qui a raison. Le formalisme n’évite pas le scepticisme. Il prétend se passer de l’expérience mais du coup, il se condamne à un vie où il se détruit. C’est l’échec de la métaphysique dogmatique, c’est-à-dire non critique.
            « La colombe légère qui fend l’air de son vol s’imagine qu’elle volerait beaucoup mieux dans le vide ». Kant.

            3- Révolution Copernicienne

            Bilan : Hume réduisait les vérités de raison à des vérités de fait.
                        Leibniz réduit les vérités de fait à des vérités de raison.
Il s’agit de faire un mouvement critique = de séparer et de redistribuer. D’où la distinction entre penser et connaître.
Voir la critique le preuve ontologique : on ne peut pas établit une existence par la pensée seule. Ce serait l’affaire de la connaissance (qui se fonde sur des phénomènes = observable).
            Penser : se représenter par une simple cohérence interne = par non-contradiction la possiblité d’un être.
            Connaître = se représenter une existence en se fondant sur l’observable. Voir la science.
            D’où la révolution copernicienne, c’est-à-dire un renversement dans la vision de la vérité. Avant Copernic, on dit que la connaissance doit se régler sur les objets (qui viennent ou non). Avec Copernic on dit que les objets doivent se régler sur la connaissance (qui se trouve « mobilisée », c’est-à-dire mise en mouvement). Avant l’observateur était immobile, comme s’il attendait. Désormais, on le verra ouvert en mouvement, c’est-à-dire autrefois on recherchait une harmonie entre sujet et objet.
            Par exemple : Hume présente la raison humaine comme un « merveilleux instinct ». Leibniz pense que nous avons des idées innées. Kant présente la connaissance non pas comme résultat de la nature, mais en œuvre accomplie dans une condition.
La vérité n’est pas une affaire de psychologie (Hume), ni de logique (Leibniz). C’est une sorte de production par la « raison finie ». L’homme n’est pas la raison infinie (= « Dieu »). Il n’est pas une absence de raison = pure impulsion, peut-être dressable mais très limitée (=l’animal). 

            Deux enseignements :
a- l’esprit humain investit les objets à connaitre, c’est-à-dire il va vers ces objets et cela avec des structures propres. Du coup, nous distinguons deux espèces d’objet : d’une part ce qui peut nous apparaître parce que nous avons ce qu’il faut pour nous ouvrir à ces objets. Ce sont les phénomènes, l’observable (par opposition aux noumènes, purs objets de pensée). D’autre part, ce qui reste pour toujours connaissable (par exemple les limites de l’univers, Dieu …). D’où la séparation entre science et métaphysique.
            En d’autres termes, nous pouvons déduire le champ du connaissable à partir de l’étendue de nos facultés.
b- nos facultés se révèlent par cette révolution copernicienne. Toute connaissance est une ouverture au monde par un mouvement des facultés. Par exemple, notre sensibilité c’est ce par quoi nos sens reçoivent des objets, c’est notre réceptivité. D’où une déduction facile, nous avons en nous un espace et un temps. Celui de la « raison finie ». Euclide a exposé une théorie scientifique de l’espace. De même Newton a isolé une sorte de temps pur. Le premier expose une géométrie, le second une mécanique. A chaque fois, on traite un ensemble de conditions qui structurent nos facultés et qui valent en même temps pour les objets susceptibles de nous apparaître.
            Exemple : je sais … avant toute expérience que tout objet visible aura trois dimensions. De même, je sais … que tout phénomène sera un effet qui suit sa cause, c’est-à-dire ce qui est exclu c’est l’objet à quatre dimensions ou un effet précédent sa cause. La révolution copernicienne se résume dans cette identité. « Les conditions qui rendent possible l’expérience sont en même temps les conditions qui rendent possibles les objets de l’expérience. » Kant.
            Cette révolution accomplit l’humanisme, c’est-à-dire l’homme est limité mais il fait de cette limitation un moyen de connaître c’est-à-dire un élément positif. Ce qui nous limite est aussi notre détermination = ce qui nous sauve de l’indéterminé. Il y a une essence générale de l’expérience humaine et tout se passe comme si elle ordonnait la structure du monde observable et des lois de la nature.
            Grave difficulté : Kant fait la théorie de la science, mais aussi d’une science, c’est-à-dire d’un état déterminé, reconnaissable (le grand classicisme) mais dépassable.
Kant présuppose plusieurs évidences, et il en fait presque des dogmes. Voir Newton pensant que l’univers est soumis à un temps unique. Pour Kant, la simultanéité est évidente. 

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