La France de 1945 à nos jours
Bilan et mémoires de la seconde guerre mondiale
Comment expliquer que la 2ème Guerre mondiale soit en France « un passé qui ne passe pas » ?
1- Les conséquences de la guerre
a- Un pays ravagé
- La 2ème GM a causé la mort de près de 600 000 français. La moitié d’entre eux sont des militaires ou assimilés (résistants…). L’autre moitié est donc constituée de civils ; victimes de bombardements, d’opérations militaires, et surtout déportés raciaux, dont environ 76000 juifs.
A cela s’ajoutent 4 à 5 millions de sans-abris, des populations sous-alimentées confrontées à la pénurie et a marché noir. Il faut en outre rapatrier plus d’un million de prisonniers de guerre de 1940, 600 000 travailleurs forcés du STO, 40 000 déportés politique ou raciaux. En 1945, la France ne compte pas plus d’habitants qu’en 1900.
- Le bilan matériel est aussi désastreux. Les bombardements, notamment anglo-saxons et les sabotages ont détruit une grande partie des infrastructures portuaires et surtout ferroviaires et environ un immeuble sur quatre. Les villes du Nord (Caen, Le Havre, Amiens …) ont été ravagées. Au total, la France est après l’Allemagne le pays le plus ravagé d’Europe de l’Ouest. La désorganisation des transports, les pénuries en matières premières (charbon …), le manque de main d’œuvre paralysent la reprise économique du pays.
Le production industrielle ne représente plus qu’un tiers de ce qu’elle était avant la guerre. La faiblesse de l’offre et le recours à l’emprunt nourrissent une inflation considérable qui condamne un grand nombre de français à la pauvreté.
b- Un peuple traumatisé et démoralisé
Les français sont par ailleurs profondément marqués par la guerre. Le premier traumatisme date de 1940 et du désastre militaire sans précédent subi. Avec la débâcle, l’l’humiliation, le chaos politique et moral, c’est en effet tout un système d’estime de soi, de certitudes quasi-messianiques ses les destinées de la France qui s’effondrent de manière définitive et irrémédiable.
A cela s’ajout un deuxième traumatisme : celui-ci vient de la brutalité de l’occupation, des pillages, de la mise en coupe réglée, des atrocités commises par les allemands et leurs auxiliaires collaborationnistes (Milice). Surtout, Vichy a creusé un fossé béant entre ceux des français qui l’ont soutenu jusqu’au bout et ceux qui l’ont combattu. Entre ces 2 minorités, une majorité a chois l’attentisme et l’accommodement.
Avant la Libération les Alliés soutiennent de Gaulle et le France Libre. Ils estiment toutefois que l’origine (le régime ?) de Vichy a lié la France à l’Allemagne. Ils envisagent de la placer à sa libération sous l’autorité militaire alliée (AMGOT) comme si elle était un pays vaincu.
Depuis l’été 1944, le pays vit dans une ambiance de guerre civile et de règlements de comptes entre la résistante et la collaboration. Dans les régions libérées par la résistance, les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) exercent un pouvoir : de fait une « épuration sauvage » en partie justifiée par les souffrances subies frappe ceux qui sont suspectés d’avoir collaboré. Une « épuration légale » est mise en place avec des tribunaux réguliers pour éviter une justice trop expéditive. Son objectif est évidemment de fournir un exécutoire et d’atténuer la mauvaise conscience des français. Elle alimente toutefois les rancœurs entre ceux qui trouve que c’est la justice du vainqueur, et ceux qui la trouvent trop laxiste (les communistes).
A cela s’ajoutent des tensions de plus en plus fortes entre la puissance résistante communistes et les autorités gaullistes. Aussi, les procès de Pétain et de Laval permettent, toutefois en apparence de ressouder les français dans la réprobation du régime de Vichy.
c- Le bilan géopolitique : une nation amoindrie
Toutefois, des troupes françaises combattent au côté des alliés depuis 1940. La contribution importante de la résistance au succès du débarquement témoigne également de l’existence d’une France qui se bat pour sa liberté. De Gaulle, qui a le soutien de la Résistance (CNR) obtient le ralliement massif des français dans les jours qui suivent le débarquement (épisode de Bayeux). Il oblige ainsi les alliés à reconnaître le GPRF qu’il dirige comme le gouvernement légitime u pays. C’est d’extrême justesse que la France sera gouvernée par une partie des siens et non pas par l’AMGOT.
Cependant, la position française reste précaire . Le souvenir de sa débandade en 1940 et de la collaboration suscite les réticences de Roosevelt et de Staline. Ainsi, la France n’est pas représentée à Yalta. Churchill doit mettre tout son poids dans la balance pour qu’on lui accorde une zone d’occupation en Allemagne et un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.
Au même moment, l’autorité de la France sur son empire colonial, considéré comme l’ultime élément de sa grandeur est battu en brèche. L’insurrection de Sétif, le 8 mai 1945 et la proclamation de l’indépendance du Vietnam par Hô Chi Minh, le 2 septembre 1945 annonce le temps de la décolonisation.
2- La construction d’une mémoire officielle (de la Libération aux années 60)
a- La mémoire gaullo-communiste
Au moment de la libération de Paris, en aout 1944, le général de Gaulle forge en quelques phrases une version mythifiée de la guerre : Paris libérée par son peuple avec le concours des armées de la France, avec le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la France seule, de la France éternelle ». il insiste ainsi sur la vision héroïque d’une France unanimement résistante. Vichy n ‘apparaît ainsi que comme une parenthèse illégitime. Cette mémoire met surtout l’accent sur la résistance extérieure, menée par la France Libre de Londres.
La mémoire communiste s’appuie sur l’image d’un parti communiste martyr, celui des 75 000 fusillés. Elle célèbre davantage la résistance intérieure en insistant bien sûr sur le rôle du peuple, notamment de la classe ouvrière.
Les mémoires gaullistes et communistes diffusent donc de concert la vision d’une France unie dans le combat contre l’occupant. Elles servent ainsi à reconstruire le « roman national » en proposant aux français une vision positive d’eux-mêmes. Il s’agit ainsi de dépasser les humiliations et les traumatismes subis. Aussi l’adhésion majoritaire à Pétain en 1940, la collaboration sont passées sous silence ou attribuées à une petite minorité de traitres ou de fascistes.
Avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, ce qu’on appelle le resistancialisme monopolise le souvenir de la guerre. Il ne dit rien de la diversité des courants de la résistance (gaullistes, communistes, chrétiens). Les résistants eux-mêmes deviennent des abstractions symboliques. Surtout, la mémoire officielle oublie les affrontements entre français pendant les années noires et la libération. Elle connaît son apogée avec le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en décembre 1964.
b- Les mémoires sur la défensive
La mémoire gaullo-communiste n’a toutefois pas empêché l’existence d’autres mémoires qui n’ont guère voix au chapitre :
- Ainsi, les presque 2 millions de prisonniers de guerre restent des soldats victimes de la plus grande défaire que la France ait connu. Ils sont donc condamnés à l’oubli. Dans un même ordre d’idée, un soupçon de lâcheté pèse sur les gens du STO.
- Les déportés quant à eux (les « politiques » et plus encore les raciaux) dérangent et ont du mal à témoigner. L’opinion aspire en effet à retrouver la normalité. Les déportés raciaux ne parviennent d’ailleurs pas à affirmer la spécificité du génocide et parfois ne cherchent pas à le faire. Aussi, la figure du déporté politique domine les commémorations. Le souvenir de Buchenwald l’emporte sur celui d’Auschwitz.
- Enfin, une mémoire vichyssoise refait surface après 1947 à la faveur de la Guerre Froide et de la poussée anti-communiste. Une partie de la droite et de la droite extrême, jusque là discréditée soutient l’idée que Pétain aurait par son attitude évité le pire au pays. Il aurait résisté ensuite autant qu’il le pouvait aux pressions nazies. La mémoire vichyssoise défend ainsi le mythe d’un double jeu avec Pétain, bouclier de la France occupée et de Gaulle, glaive de la France Libre. Cette thèse rencontre d’ailleurs un certain succès dans l’opinion.
En fait, dans les années 50 et 60, le silence, l’oubli, puis la banalisation des souvenirs voire une distanciation comique s’impose tour à tour. C’est ce qu’illustrent en particulier les succès de la comédie comme La grande vadrouille.
3- Le retour des mémoires refoulées (depuis les années 70)
a- La fin de « l’amnésie » ou de la mémoire officielle
La mort du Général de Gaulle, en 1970, le déclin du parti communiste et l’arrivée à l’âge adulte d’une nouvelle génération : les Baby boomer vont altérer la mémoire officielle. Pendant les années 70 en particulier, le voile jeté sur Vichy commence à se lever. Le film de Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié, fait tomber le mythe d’une France unanimement résistante. Cette chronique de la vie quotidienne à Clermont- Ferrand évoque la collaboration volontaire de nombreux français.
Par ailleurs, La France de Vichy, de l’historien américain Robert Paxton montre que c’est Vichy qui est à l’origine de la collaboration, malgré la résistance allemande. Il met ainsi en évidence que Vichy a facilité le pillage du pays et accordé une aide précieuse aux allemands dans leur politiques de répression et de déportation.
C’est dans ce contexte, qu’en 1973, le président Georges Pompidou accorde sa grâce à l’ancien milicien Paul Touvier. Il provoque une émotion considérable qui montre que « les plaies se sont rouvertes ». Vichy devient une obsession : « le passé qui ne passe pas ».
b- Le réveil de la mémoire juive
En 1978, Darquier de Pellepoix, responsable du Commissariat aux questions juives sous Vichy déclare : « à Auschwitz, on n’a gazé que les poux ». Ce négationnisme, pourtant banal et émanant d’une personnalité frappée d’indignité provoque pourtant un immense scandale. Il révèle ainsi la prise de conscience de la spécificité du sort réservé aux juifs pendant la guerre mais aussi de la complicité de Vichy.
Désormais, on assiste à une très vigoureuse affirmation de la mémoire juive qui est d’ailleurs le fait des descendants des victimes. Elle cherche son identité dans le génocide (Holocauste pour les anglais) appelé désormais Shoah en France, pour monter son caractère unique, indépassable. La diffusion du téléfilm américain Holocauste, en 1979, puis celle de Shoah, de Claude Lanzmann en 1985 sont à l’origine de la vague de remémoration de l’extermination. La minorité juive a désormais supplanté toutes les autres mémoires et à fortiori la mémoire gaullo-communiste. D’ailleurs, Vichy, persécuteur des juifs l’emporte désormais dans la conscience nationale, dans les représentations, dans les films sur le Vichy de la défaite et de la collaboration.
Le besoin de justice et de parole se traduit par l’inculpation puis le procès du responsable de la Gestapo : Klaus Barbie. Dans les années 90, des procès largement médiatisés sont instruits contre des responsables français de la déportation comme René Bousquet en1991, Paul Touvier en 1994, et surtout Maurice Papon en 1998.
c- Le temps de la repentance
L’émergence de mémoires longtemps refoulées provoque un retour de balancier spectaculaire. A la mémoire mythifiée de la France résistante succède une mémoire tout aussi mythifiée et excessive d’une France lâche, collaboratrice et antisémite. Et cela débouche sur un esprit de repentance quasi obsessionnel.
Aussi François Mitterand s'explique-t-il sur son passé Vichyssois à la télévision et aussi sur quelques amitiés compromettantes dont celle le lie à Bousquet. Pour apaiser les polémiques, il consent à instituer une journée nationale du souvenir :" les persécutions racistes et antisémites", le 16 juillet. Toutefois, comme ses prédécesseurs, il refuse obstinément d'engager la responsabilité de la France et de l'Etat dans la Shoah.
C'est paradoxalement le néo-gaulliste Jacques Chirac qui décide de rompre avec un principe qu'il juge désormais intenable compte tenu de l'évolution de l'opinion. Il affirme la responsabilité de la France dans les crimes commis par Vichy à l'égard des juifs. A la suite de l'Etat, l'expression de la repentance sera aussi le fait d'autres institutions comme l'Eglise, la police.
En 1997, la France finit de réparer la spoilation des biens juifs. L'histoire de Vichy fait désormais partie de la mémoire nationale.
Aujourd'hui, une vision plus équilibrée semble gagner du terrain. La part positive de l'attitude des français est revalorisée : résistance, sauvetage de la majorité de la communauté juive par d'autres français.
L'excessif esprit de repentance s'efface un peu, mais le "devoir du souvenir" demeure intact.
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