dimanche 3 avril 2011

L'espace et le temps - DG

3- L'espace et le temps.

L'espace
            Le texte du Salut fait apparaître un espace géopolitique, très vaste et très varié, dont les données tiennent au contexte de guerre mondiale, au statu de chef d'État du mémorialiste, à ses ambitions pour la France et à ses ressentiment à l'égard des « Trois »

La géographie des dernières grandes batailles

            le tome III des Mémoires de guerre évoque tout les fronts de guerre où se battent Américains, Anglais et français. C'est bien sur le front allemand qui est le plus précisément mis en scène avec, en annexe, deux cartes. Il est vaste car, même « après qu'Alliés et Français ont réussi la percée d'Avranches et débarqués dans le midi » (p,7), les poches de résistance du Reich maintiennent deux autres fronts pour lesquels il faut aussi livrer bataille : « L'Alsace et ses avancées, ainsi que le col des Alpes et mes réduits de la côte Atlantique » (p,7). Le chapitre « La Victoire » fait découvrir les retournement de la bataille des Ardennes, « les péripéties d'une dure bataille pour Strasbourg » (p281) et les « trois semaines de combats incessants » pour « enlever […] Colmar » (p.182) aux unités allemandes. Le passage du Rhin et les prises de Karlsruhe et Stuttgart sont les objectifs que fixent le Général de Gaulle à la 1er armée, le 28/03/1945: Le 7 avril, il a « la fierté de traverser le Rhin » et de rendre « visite à la capitale badoise, effroyablement ravagée » (p188). Dans le même temps s'achève à l'Ouest un autre chapitre « de la grande bataille » (p 194), pour libérer les poches allemandes de Gironde et de Charente. De Gaulle vient « féliciter les vainqueurs » (p 193) à Royan puis à La Rochelle. Le dernier et le troisième chapitre de l'écrasement des forces allemandes se situe dans les Alpes, où, le 2 mai 1945, « le combat […] repris enfin par l'armée ressuscitée, finissent par notre victoire » (p 196).
            Mais l'on a aussi des éclairages précis sur le front du Pacifique où le Japon tient tête aux Etats-Unis. Le général de Gaulle s'y investit comme belligérant, en raison des menaces japonaises sur l'Indochine, colonie française. Il organise un mouvement clandestin de résistance s'appuyant sur « les troupes françaises d'Indochine » (p 198), sous le commandement du général Mordant. Mais, une fois celui-ci « découvert et fait prisonnier » (p 199), la résistance perd tout moyen de tenir tête aux Japonais. Les Américains par ailleurs refusent d'associer à leurs unités combattantes un corps expéditionnaire français, basé en Birmanie. C'est la « foudre des bombes atomiques » (p 271) sur Hirsoshima et Nagasaki qui fait que « L'indochine […] redevient accessible » (p 271) à l'autorité française.

La géographie d'un chef d'Etat

            La place de chef d'Etat que tient le mémorialiste génère l'introduction du thème des échanges diplomatiques et de celui des voyages officiels. Or, la diplomatie du Général privilégie les contacts directs avec les chefs d'Etat alliés. En l'espace d'une année, il est reçu en de nombreux pays étrangers: Russie, USA, Canada, Belgique.
            Sur le plan intérieur, la conduite politique du Général de Gaulle répond au soucis d'être « sur le terrain » pour bien évaluer « l'effroyable pénurie » (p 9) et surtout maintenir l'adhésion de ses compatriotes au redressement du pays. On a de la sorte un compte rendu de tous ses passages dans les grandes et moyennes villes de France, dès septembre 1944, c'est-à-dire dès le premier chapitre du Salut. Dans « des Unions », on retrouve aussi un large périple provincial, fait en juin et juillet 1945, « ultime voyage » (p 305) pour rendre manifeste au parti politique, dans « la critique » et dans « la hargne » (p 305), « que le sentiment de la masse se montrait ainsi disposé à surmonter les divisions, à suivre de Gaulle dans la voie de redressement national, à approuver son projet d'instituer un Etat fort » (p 305).
            Le suivi des batailles militaires pour assurer la victoire finale donne lieu aussi à des déplacements officiels très solennels à Strasbourg, Colmar et Nice. Il s'agit d'apporter aux combattants les hommages de la nation, afin que « les âmes gardent leur ressort » (p 169).
            Le lecteur est amené aussi à découvrir des sites officiels un peu improvisés pour l'installation à Paris du Général de Gaulle, du Gouvernement provisoire et de l'assemblée consultative. Le palais de l'Élysée et le palais-Bourbon ne sont pas utilisés: on attend l'instauration des pouvoirs officiels que mettra en place le suffrage populaire. C'est ainsi que, chef du Gouvernement provisoire, le Général de Gaulle tient son bureau et ses services rue Saint-Dominique, dans les murs de l'ancien ministère de la Guerre, ministère des armées aujourd'hui. L'assemblée consultative, elle, siège au palais du Luxembourg.
            Les espaces de grandes célébrations politiques restent, à Paris, l'Arc de Triomphe, les champs Élysée, la place de la Concorde et, pour les grandes cérémonies religieuses (Te Deum), Notre-Dame.
            Strasbourg et Bayeux, villes emblématiques de la Libération, sont choisies par le Général de Gaulle pour rendre publics les fondements de sa pensée politique. Son discours à Strasbourg met en lumière une pensée européenne qui prophétise la réconciliation entre la France et l'Allemagne et la construction de courses de Bayeux et la construction de l'Europe: le Rhin doit et « peut redevenir un lien occidental » (p 264). Le discours de Bayeux est à lire dans les « Documents » (pp. 524 531): il porte un projet pour le pays et la démocratie, destiné à « préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'Etat » (p 527).

La géographie du renouveau mondial de la France

            Le Général de Gaulle a la ferme volonté de faire retrouver à la France son rang de grande puissance mondiale, à la tête d'un empire: l'Union Française. Le tome III des Mémoires met en avant un renforcement des liens avec les protectorats français du Maghreb: la Tunisie et le Maroc. Les visites officielles faites à la France, par le sultan du Maroc en juin 1945, par le Bey de Tunis en juillet, ont un intérêt d'avenir. Elles permettent au Général de Gaulle de proposer des voies de coopération nouvelles à ces deux monarques, « de transformer en autonomie leur condition de sujets et, en association, des rapports qui […] ne sont pour eux que dépendance »(p 266). Ces démarches reprennent l'idée de la décolonisation « [lancée] à partir de Brazzaville »(p 266), en 1944, et qu'il faut appliquer « en Indochine et en Afrique du Nord »(p 266).
            L'ONU est également un enjeu important de la reconstruction de la grandeur de la France et une institution nécessaire « pour maintenir dans le monde la paix et la sécurité » (p 107). Le Général de Gaulle, après avoir évoqué une « sympathie non sans circonspections » à l'égard de « l'organisation naissante » (p 239) fait un rapport de victoire après la conférence de San Francisco (25 avril – 26 juin 1945) où Georges Bidault l'a représenté. C'est « l'aréopage des cinq « grands » qui mena l'affaire de bout en bout » et la France a obtenue « ce à quoi [elle tenait] le plus » (p 240): « le francais […] reconnu comme l'une des trois langues officielles des nations-unies » (p 241).

La géographie du ressentiment et des périls

            On peut observer dans Le Salut une sorte de diabolisation de ce site de Crimée qu'est Yalta. La conférence (4-11 février 1945) qui s'y tient, et dont de Gaulle est évincé par la volonté du président Roosvelt, est évoquée comme un mauvais coup des « Trois » (Roosvelt, Staline et Churchill) non seulement fait à de Gaulle et à la France, mais aussi à l'Europe, et même à l'avenir de la paix mondiale.
            Ces trois degrés dans la dénonciation apparaissent au fil de ce tome III. C'est, pour commencer, une conférence qui désoblige le Général (p 101) et qu'il refuse d'entériner, soupçonnant les « Trois » de « quelques arrangements incompatibles avec [les] intérêts [de la France] » (p 110). Les termes qui viennent ensuite pour désigner Yalta sont des images dégradantes. Les britanniques peuvent malmener la France, au Levant, grâce aux concessions faites à Churchill, « au marché de Yalta » (p 222), par Roosvelt et Staline, pour lui laisser « les mains libres à Damas et à Beyrouth ». Plus graves encore sont, pour le Général, les accords de Yalta qui abandonnent aux Russes un « énorme morceau d'Europe » (p 241) et, par voie de conséquence, installe « le rideau de fer » (p 242), livrant de « malheureux Etats » (p 336) « à la discrétion des Soviets » (p 336). La conférence de Potsdam, censée approfondir les décisions de Yalta après la victoire sur l'Allemagne, se termine « en une sorte de débandade » (p 243) et installe une rivalité Américains et Russes très inquiétante pour la paix mondiale.
            Le Salut souligne ainsi une vision gaullienne de l'espace mondial en cohérence avec l'idéalisme et le pragmatisme de Charles de Gaulle. Sa géopolitique est celle des grandes missions pour la France et des perspectives d'avenir dont « la volonté des français […] décidera » (p 277).

Le temps
Le titre Le Salut: 1944-1946 est une première mise en vedette des indices temporels que sont les dates. Ce statut de premier plan d'un temps calendaire se confirme dans l'ensemble du texte où presque tout ce qui est rapporté est daté de façon très précise et restitue de la sorte une chronologie claire et cohérente du temps historique évoqué. Mais, dans cet ancrage chronologique rigoureux, on observe des rythmes narratifs variés. Le jeu des temps verbaux par ailleurs intervient de façon à transformer une part importante de la restitution du passé en pages de temps retrouvé, de temps contemporain.
           
Le temps calendaire

            Les nombreuses dates insérées dans le texte servent à bien maîtriser l'organisation temporelle de l'énoncé et à distinguer clairement successions et simultanéités des faits évoqués. Il faut toutefois noter qu'elles délimitent une période moitié moindre que les trois années suggérées par les dates du titre: comme le montre le tableau de la page 145, le passé restitué va de septembre 1944 à janvier 1946. Le premier chapitre développe une chronologie claire: « déplacements à travers le pays [,] visites aux armées » (p 47) et action gouvernementale à Paris sont, grâces aux dates, facilement inscrits dans la globalité des « dix semaines » (p 54) qui suivent la libération de Paris. Les dates évitent les brouillages.
            Cette clarté calendaire fait aussi retrouver de grandes dates de la période: la libération de Strasbourg le 23 novembre 1944 (p 166), de Colmar le 2 février 1945 (p 183), l'annonce de la victoire le 8 mai 1945 (p 213), la fondation de l'ONU le 26 juin 1945 (p 238), la bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 et sur Nagasaki le 9 août 1945 (p 271).

La variation des rythmes narratifs

            Les pages du Salut n'offrent pas un récit à vitesse égale. Leur aspect temporel peut être celui d'une pause ou d'un sommaire, voire d'une ellipse.
            La vitesse du récit se ralentie pour l'évocation des deux grands voyages du Général: le voyage en Russie et le voyage aux Etats-Unis. Le récit des « huit jours à Moscou » (p 77) se fait environ en 23 pages (pp 77-99), celui des trois jours d'entretien à Washington en 7 pages (pp250-256). Le narrateur lui-même éclaire l'arrêt prolongé qu'il fait sur chacun de ces voyages. Il évoque pour Moscou la signature d'un pacte complexe et problématique entre la France et la Russie qu'il assimile à « un drame bien monté, où l'intrigue demeure en suspend tandis que les péripéties se mêlent et se multiplient jusqu'à l'instant du dénouement » (p 86), en bref, un temps d' « escrime diplomatique » (p91). L'arrêt sur le séjour à Washington trouve sa justification dans l'enjeu des entretiens entre le président Truman et le Général de Gaulle: L'examen des « questions posées par la victoire » (p 252). C'est un vaste débat où les accords ont pour long préalable l'exposé des points de vue et le règlement des conflits d'intérêt. Truman, « convaincu que la mission de servir de guide revenait au peuple américain » veut faire admettre à de Gaulle « le leadership de Washington » sur « le monde libre » (p 251). Celui-ci en tire l'évidence que « l'Amérique suivait une route qui n'était pas identique à la notre » (p 256). Des pauses sont marquées aussi pour les portraits de Mussolini (pp207-208), Hitler (pp208-210) et Churchill (pp 244-245). Le portrait de Staline, un portrait en action, est inclus dans le long récit du voyage à Moscou. Si l'arrestation de Pétain est mentionnée de façon sommaire en un paragraphe (pp. 137-138), il y a une pause dans le chapitre « Désunion » pour évoquer les jugements en Haute Cour du Maréchal, de Pierre Laval et de Joseph Darnand (pp 299-301). En revanche, on a à relever une quasi-ellipse pour la figure de Roosvelt. Son décès est signalé sommairement (pp 111 et 238), avec des mots d'hommage sincère mais peu développés; les seuls prolongements en sont sa qualification d' « illustre prédécesseur » du président Truman et la reconnaissance de son « vaste idéalisme » (p 250).
           
Le temps retrouvé

            L'ensemble du texte du Salut témoigne de la prédilection du mémorialiste pour le présent historique. Au fil des différents chapitres, le passé est en quelque sorte mis sous les yeux du lecteur actualisé, avec une impression d'immédiateté. Le lecteur se trouve ainsi sollicité comme un témoin spectateur des faits rapportés. C'est ce que l'on peut appeler en terme de rhétorique « un effet d'hypotypose »; mais c'est surtout un procédé d'authenticité et d'émotion qui enrichie le récit en instaurant entre le narrateur et le lecteur une proximité plus étroite que ne l'assure le récit au passé.
            Les 7 premières pages et les 6 dernières pages du premier chapitre restaurent, dans une pleine actualité, la France de l'automne 1944. Dans la suite de l'ouvrage, le présent historique souligne toutes les difficultés surmontées, tous les moments triomphants. Ainsi en est-il, par exemple, quand « la nation reprend ses esprits » (pp 143-158), quand commence « l'offensive générale des alliés occidentaux » (pp 164-174), quand se produit « la capitulation allemande » (pp 210-211) ou quand New-York, « pour recevoir de Gaulle et le siens, […] déchaîne […] l'ouragan de son amitié » (pp 256-257).
            Cette importante rétrospective au présent confère aux nombreuses allusions à l'avenir (prolepses) qui y figure une tonalité de prophéties valorisantes pour la figure politique de Charles de Gaulle, guide éclairé de la nation : il devient possible d'admettre qu'il ait envisagé, dès Yalta, la « guerre froide » et, dès les 1ères acclamations de l'Assemblée consultative à son égard, l'hostilité des partis à ses valeurs. Ces visions du futur, dans un contexte au présent, font perdre de vue le statue de mémorialiste du narrateur qui connait, bien sur, la suite des événements qu'il rapporte.

Espace temps de l'épilogue
            Les trois dernières pages du chapitre « Départ » installent un espace situé et décrit en termes réalistes, mais surtout représenté comme un havre d'intimité, de solitude, de réflexion, d'enracinement dans les forces de la nature et celles de l'âme. Une vision lyrique et poétique tisse des correspondances subtiles entre espace et temps dans cet épilogue. Celles-ci mettent en place une sorte de présent, où les beautés du paysage humain et naturel viennent apaiser les mélancolies de l'âme et apporter la force d'une « amère sérénité » (p 344) avec l'espérance d'une force éternelle. Dans ce passage où l'on accède à quelques vérités autobiographiques, le mémorialiste s'emploie surtout à poétiser son destin en filiation d'éternité avec la Nature. Elle lui apporte la consolation d'une « sagesse » (p 344) exprimée par le chant du printemps, les proclamations de l'été, les soupirs de l'automne et les gémissements de l'hiver. Cette très belle prosopopée (discours fictif) des saisons introduit dans la fin du Salut le thème du retour.


Merci à Juliette & Barbara !

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