SENS ET INTERPRÉTATIONS
Un périple vers la sagesse morale
D !s le VIème siècle avant JC, beaucoup ont cherché en Ulysse un modèle moral, tandis que certains poètes tragiques, comme Sophocle, Et Euripide, en font un exemple négatif de fourberie et de cruauté. Son odyssée devient dès lors un périple vers la sagesse, où chaque étape constitue une figure allégorique des dangers menacant le sage : les Lotophages symbolisent l’attirance pour la vie facile, le Cyclope avec son œil unique enfermé dans sa caverne, représente l’ignorance et la bestialité, Circé les passions qui rabaissent l’homme au rang d’animal, Scylla l’impudence (image de la chienne), et Charybde la débauche jamais rassasiée.
Quant aux Sirènes, elles ont suscité une multitude d’interprétations philosophiques ou religieuses : figures de la tentation, elles veulent séduire le philosophe qui s’est attaché au mat de la sagesse, et se protège par la cire, qui représente les leçons du maître. Un interprétation chrétienne y voit quand à elle, la tentation du savoir uniquement profane qui conduit à la mort de l’âme. Enfin, la curiosité d’Ulysse qui veut connaître ces différents mondes a pu être interprétée comme le désir de connaissance du philosophe.
Un périple initiatique
Les étapes fondamentales de la formation
D’abord, il a la séparation du futur initié avec son milieu habituel, souvent accompagnée d’une transgression : ainsi, au départ de Troie, certains chefs dont Ulysse n’ont pas offert les sacrifices nécessaires aux dieux qui entraîne pour le héros le rejet du monde connu au cap de Malée. Puis, Ulysse s’attire les foudres de Poséidon, et ses compagnons celles du Soleil.
Puis, il y a la mort symbolique : ainsi, chaque étape du héros est marquée par une perte symbolique (de compagnons, de sa flotte, de son navire). En outre, Ulysse connaît une mort symbolique à presque chaque épisode : que ce soit l’ensevelissement dans une grotte par Polyphème ou Calypso, la négation de lui-même par le nom de Personne ou la mort par l’oubli chez les Lotophages et enfin la confrontation directe avec le monde d’Hadès. D’ailleurs, seul Ulysse franchit ces étapes, alors que ses compagnons trépassent, subissant l’effacement total.
Ensuite vient la renaissance après sept années passées hors du temps et du monde, passées à pleurer comme une sorte d’expiation, Ulysse doit accepter le dépouillement total et arriver dans une nudité rituelle en Phéacie
L’initiation aux rites de la collectivité constitue un retour au monde : la Phéacie représente en effet le lieu idéal pour Ulysse, qui va s’y redécouvrir, par le biais d’une humanité civilisée et harmonieuse. L’initiation passe aussi par l’aède, dépositaire de la mémoire collective, qui rend à Ulysse son identité, son passé, et l’accès à la parole. Puis, les Phéaciens vont entreprendre avec lui le dernier passage d’Ulysse qu’l vivra comme une gestation, de nuit au creux du vaisseau et plongé dans un sommeil magique. Mais il faudra encore un dernier passage celui du déguisement et du mensonge pour qu’Ulysse reconnaisse enfin sa terre.
Vers plus d’humanité ?
Au début de l’Odyssée, Ulysse est un guerrier victorieux, certain de son retour, les bras chargés de richesse. Mais tout son périple contribue à le dépouiller de ce statut et à lui faire acquérir une humanité plus juste. Dans cette évolution, la descente chez Hadès marque un tournant puisque dès lors, la force et la ruse ne seront plus d’aucune utilité au héros qui devra alors s’en remettre à sa maîtrise de soi, et à sa constance, qualités strictement humaines.
D’ailleurs, son attitude vers ses compagnons change aussi, alors qu’il s’était résolu à abandonner sa flotte chez les Lestrygons, il décide de sauver ses compagnons chez Circé.
En fait, le périple d’Ulysse n’a pas pour finalité de lui faire transcender sa condition humaine, mais au contraire de lui faire choisir l’humanité en toute conscience, connaissant désormais le sort réservé aux mortels. Il a découvert la juste place de l’humain différent des bêtes primitives et libéré du désir de régression vers le passé et des sirènes de l’oubli.
La catharsis finale
Après la violence et le désordre de ses errances, Ulysse va encore trouver un autre chaos sur son île, et la reconquête va s’achever dans un bain de sang : le massacre des prétendants. Mais Zeus et Athéna interviennent pour rétablir une paix définitive à Ithaque. Ulysse quant à lui à un dernier voyage de purification à effectuer, annoncé par Tirésias dans la nekuia. Il aura pour but de rejoindre « ceux qui ignorent / la mer », et sera terrestre, comme en miroir à l’autre voyage. Alors, le héros pourra obtenir l’apaisement de Poséidon, comme s’il était enfin sorti de son champ d’action : Ulysse n’aura alors plus rien à craindre de la mer.
La nekuia
La conception homérique de la mort
Chez Homère, les morts sont rejetés au delà du fleuve Océan. Le chant XI est une nekuia c’est-à-dire une évocation des morts et pas vraiment une descente aux enfers. La mort est alors vue comme une désintégration de ce qui faisait l’être : « les nerfs ne tiennent plus ni les chairs, ni les os ensemble ». L’âme, chez Homère est une sorte de double, de fantôme à l’image exacte du défunt au moment de sa mort, ce qui permet de le reconnaître. Mais cette image est amoindrie et sans consistance, accessible à la vue uniquement, et non pas au toucher : « trois fois hors de mes mains, pareille à une ombre ou un songe / elle s’enfuit ». Tout ce qui faisait sa personnalité vivante s’est évanoui dans la dissolution du corps mortel. Ces morts vivent alors dans le regret de la lumière et de la vie terrestre dont ils ignorent désormais tout. Cette conception amère de la mort, explique ainsi la tristesse régnant dans « la forte prison d’Hadès ». Nulle sérénité, nul apaisement ne s’en dégage, mais « la peur verte » devant cette multitude d’ombres, avides du sang qui leur redonnera la faculté de sentir et de s’exprimer, avec qu’elles ne sombrent une nouvelle fois dans une torpeur à demi consciente.
Une étape dans l’initiation
Ainsi, seule la confrontation avec la cruauté de la mort permettra au héros de résister à l’appel des Sirènes, mais lui donnera aussi une dimension héroïque lorsqu’il refusera l’immortalité proposée par Calypso. Il découvre ainsi la dure loi des mortels, l'égalité de tous devant la mort, et l’impuissance humiliante des grands meneurs d’hommes (cf Agamemnon). Il s’aperçoit ainsi que les sentiments qui ont animé les être vivants durant leur vie ont perdu tout sens chez Hadès et qu’ils ne peuvent désormais plus s’exprimer : la mère d’Ulysse ne peut l’embrasser, et la gloire pour laquelle Achille est mort n’est que vanité dans ce monde. En fait, c’est comme si tout ces morts voulaient lui dire que la seule valeur est la vie même, la lumière du soleil, la tendresse des hommes …
Il vit aussi la coupure avec sa mère, qu’il veut prendre dans ses bras, mais ses bras se referment dans le vide : c’est ici une sorte d’initiation au mystère de la perte radicale, à la limite ultime des pouvoirs humains … Et c’est sa mère elle-même qui le renvoie au monde des vivants et à son destin de mortel : « Allons ! empresse toi vers la lumière, et tout cela, / retiens-le pour le répéter plus tard à ton épouse ! ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire