mardi 19 avril 2011

Le personnage d'Ulysse - L.


LE PERSONNAGE D’ULYSSE

Ulysse devient réellement la figure centrale de l’Odyssée à partir du chant V, moment où son sort est rappelé à Zeus par Athéna.

Un héros épique ?

            Dans les chants V à XIII, nous avons affaire à un Ulysse différent des héros de l’Iliade. Ainsi, il y a plus de combats singuliers, mettant en valeur la force du guerrier, mais toutefois, Ulysse doit maintenant se battre contre des monstres ou contre lui-même. Il apparaît peu l’épée à la main, et se voit opposer  des adversaires « peu dignes du héros d’épopée » : Circé, une femme, ou l’ombre des morts.
Il constate de plus plusieurs fois l’inutilité de ses armes, notamment face au Cyclope ou à Scylla. 
            En outre, l’épisode chez les Cicones montre Ulysse combattant mais dans une posture nettement moins glorieuse puisqu’il apparaît comme un vulgaire pirate, pillant et se heurtant à plus fort que lui. En fait, c’est comme si le poète suggérait qu’à Ulysse l’épique succède désormais le héros qui doit faire preuve d’autres vertus que celle guerrières. Le héros d’épopée semble désormais faire partie du passé et est ainsi célébré par l’aède Démodocos.
            Il ne reste donc de sa figure épique de guerrier que le surnom d’Ulysse à savoir « Fléau des villes ». Cependant, son identité même est mise à mal, accentuant la « dégradation » du personnage : ainsi on le prend parfois pour un commerçant, ou même un pirate, figure dégradée du marin.
On le soupçonne même parfois de n’être qu’un marchand, comme c’est le cas pour Euryale ou pour le Cyclope Polyphème. Si sa force physique est remarquée par les Phéaciens, elle ne trouve à s’exercer que dans le sport, version affadie de la guerre. Enfin, il lui faut l’intervention d’Athéna pour qu’il retrouve sa prestance devant Nausicaa ou les Phéaciens.
            De plus, même si Circée le qualifie de « grand capitaine », et qu’il jouit clairement d’une position de chef, il ne parvient pas toujours à se faire obéir par son équipage, et ne pourra finalement pas tous les ramener sains et saufs. Le sommeil qui s’empare de lieu au cours de l’épisode des troupeaux du soleil est d’ailleurs témoin de son incapacité à lutter contre le destin de ses marins.
           
Un héros humain

            Ulysse dans son comportement et dans son caractère, apparaît cependant bien plus humain que son côté guerrier ne le laissait présumer.
            D’abord, le retournement des valeurs épiques nous rappelle qu’il n’est qu’un mortel, qui n’a des qualités que proprement humaines. Ainsi, Ulysse le guerrier est vaincu dès l’épisode des Cicones. Toutefois, le poète a usé d’un moyen bien plus radical pour effectuer ce retournement : quand Ulysse sanglote en écoutant Démodocos, chez les Phéaciens, il est comparé à la femme du guerrier pleurant sur le corps de son époux, ce qui montre qu’Ulysse, après avoir subi toutes ces épreuves a compris les limites des valeurs épiques et sait se tourner et voir l’aspect humain et douloureux de la gloire des combats.
            Par ailleurs, l’absence d’Athéna pendant les péripéties d’Ulysse – bien que de loin elle veille sur lui – signifie bien que c’est au mortel qu’est Ulysse de « défendre sa vie et le retour de ses marins » et ce, sans intervention divine ou surnaturelle.
            Ulysse est également contraint à un face à face avec lui-même. Ainsi, face aux monstres et aux dangers, c’est plutôt lui même qu’il doit affronter, c’est un combat contre lui-même qu’il est appelé à faire. Le passage chez Circé, où il apprend quelles épreuves l’attendent en est ainsi le meilleur exemple : il se soumet à ces épreuves en connaissance de cause. Ainsi, il va devoir vaincre la répulsion instinctive qu’inspire à tout être humain l’idée de la confrontation au monde des morts, ou la peur viscérale des monstres en la personne de Charybde et Scylla.
En fait, les épreuves qui lui sont imposées prennent davantage la forme de  tentations qu’il doit affronter seul, et ce en se démarquant de ses compagnons. C’est le cas notamment pour l’épisode des Sirènes, où il se fait attacher au mât, tandis que ses marins ont de la cire dans les oreilles. Autre exemple, le désir ardent qu’il manifeste d’interroger d’abord sa mère et non pas Tirésias comme le lui a indiqué Circé.
Mais la tentation la plus forte reste celle qu’il affrontera chez Calypso, radicalement seul, pendant 7 années : l’oubli.
            Lorsque Ulysse arrive chez les Phéaciens, c’est comme s’il était dépossédé de tout, et réellement devenu Personne : ce n’est qu’à l’écoute de l’aède qu’il va retrouver son nom, et en racontant ses péripéties qu’il reconquiert son identité. Si au premier abord, le procédé du récit rétrospectif ne peut sembler qu’un simple effet, ce n’est pas le cas : il permet justement au héros la réflexion et le retour sur lui-même. Il reconnaît ainsi plusieurs fois ses erreurs, et regrette ses actes comme pour son conflit avec Ajax qui a ensuite été conduit au suicide et dont malgré ses regrets, il n’arrive pas à obtenir le pardon : « Que n’avais-je eu plutôt le dessous en cet épreuve ! ».

Le caractère du héros est quant à lui assez particulier, présentant de multiples facettes :

            L’ingéniosité 

Ulysse est baptisé de plusieurs surnoms, mais ceux qui reviennent le plus souvent mettent en valeur son ingéniosité : « l’Inventif », « l’industrieux », « l’ingénieux ». C’est d’ailleurs à lui que les Grecs doivent leur victoire, grâce au stratagème du Cheval de Troie.
Ulysse use de son ingéniosité lorsqu’un danger se présente, mais aussi par goût. Ainsi, confronté au cyclope Polyphème, il imagine de l’enivrer et de l’aveugler avec un pieu, puis de faire sortir ses compagnons de la grotte :
«  Mais je me demandais comment nous en tirer au mieux,
cherchant quelque moyen pour mes compagnons et pour moi,
d’échapper à la mort. J’ourdissais cent tours et cent ruses,
car notre vie était en jeu et le désastre proche.
Or voici le projet que mon cœur jugea le plus sage. »
            La  prudence et la dissimulation sont deux autres traits de cet esprit inventif. Ainsi, pour se protéger, il entretient le mystère sur son identité, comme chez les Phéaciens, mais aussi lors de son retour à Ithaque, aidé par Athéna. Qui lui reproche d’ailleurs ce trait :
«  Il serait fourbe et astucieux, celui qui te vaincrait
en quelque ruse que ce soit, fut-il un dieu !
Ô malin, ô subtil, ô jamais rassasié de ruses,
ne vas-tu pas, même dans ton pays, abandonner
cette passion pour le mensonge et les fourbes discours ? »
            Ulysse est aussi héros de la « mêtis »mêtis » = principale qualité d’Ulysse, souvent traduit par la ruse).  La mêtis d’Ulysse, dans son intelligence perspicace, confine à la sagesse prudente de celui qui sait, qui met en garde et qui enseigne à ses compagnons.

            La force  

Une autre caractéristique de sa personnalité est la bravoure, qui liée à son endurance – une autre de ses épithètes est « Ulysse l’endurant » - devient de la vaillance. Ces deux qualités ressortent particulièrement durant les tempêtes qu’il affronte, par exemple au chant V, avant d’arriver chez les Phéaciens :
« Les deux genoux, les mains fortes d’Ulysse
lâchèrent : car la mer avait eu raison de son cœur ».
Souvent, malgré la peur Ulysse résiste, tandis que sa bravoure se manifeste aussi pendant les combats. Enfin, il est courageux quand il se rend chez Circé, alors que ses compagnons ont été transformés en porcs.
            Toutefois, ces diverses qualités s’accompagnent d’orgueil et d’esprit de vengeance, comme le montre le plan qu’il érige avec Athéna pour massacrer les prétendants. Son orgueil apparaît quant à lui au chant VIII quand il vainc les jeunes athlètes Phéaciens au lancer de disque.
           
            Un orateur habile

 Ulysse est aussi un orateur habile, dont les paroles sont calculées et convaincantes : il sait faire à Calypso les compliments qui calment sa colère, à Nausicaa il s’adresse à elle avec flatterie pour lui demander un vêtement :
«  Tout compte fait, ce qui lui parut le meilleur,
fut de dire à distance des mots doux comme le miel,
craignant de la blesser s’il lui embrassait les genoux ».
Arrivé au palais du roi, il implore la reine Arété, excuse Nausicaa auprès de ses parents, échange des compliments avec Alcinoos.

            L’amour de la patrie  

Mais le trait de caractère le plus important et le plus émouvant d’Ulysse est la nostalgie de sa patrie, exprimée dès le chant V et répétée ensuite comme un leitmotiv :
«  Car il n’est pour l’homme de plus doux que sa patrie
ou ses parents, même quand il habite un gras domaine
en la terre étrangère, séparé de ses parents … »
Ainsi, Ulysse souffre d’être retenu loin d’Ithaque, et ce à cause de la colère de Poséidon, qui ne lui pardonne pas d’avoir aveuglé Polyphème, son fils.
La souffrance d’Ulysse en fait d’ailleurs un héros sensible dans l’Odyssée, bien loin du guerrier vaniteux de l’Iliade. Ainsi, il ressent de l’émotion lorsque l’aède chante sa querelle avec Achille. Et au chant XIII, il ne songe plus qu’à partir pour rentrer chez lui.

Mais pour accomplir tous ces exploits, Ulysse a besoin d’armes, et celles-ci sont différentes de celles auxquelles on pourrait s’attendre …

            D’abord, ce sont les armes de l’homme, et non pas celles du guerrier qui vont permettre à Ulysse de réchapper de ses péripéties.
            Héros de la « nostalgie » : l’Odyssée, mais aussi le personnage d’Ulysse repose sur un fondement essentiel à savoir le désir du retour. Celui-ci est évoqué dès les premiers vers du poème et est constitutif du héros, qui après s’être présenté aux Phéaciens évoque immédiatement sa terre : « et moi je ne connais rien de plus beau que cette terre ».  C’est cette tension vers Ithaque qui anime et maintient Ulysse en vie : ainsi, il préférerait mourir chez Calypso plutôt que de ne pas rentrer, et Tirésias lui montre clairement que seule cette constance dans le désir lui permet de tenir et de surmonter les épreuves : « si tu ne penses qu’à ton retour, vous pourrez arriver ».
Ulysse fait alors délibérément le choix de la nostalgie, en refusant l’immortalité proposée par Calypso. Il préfère son statut de mortel, et est prêt à tout endurer pour retrouver sa terre et son passé.

            Héros de l’endurance : cette vertu est sans cesse soulignée dans les épithètes, comme notamment le « patient ». Comme il le dit, réaliste, à Calypso : « mon âme est forgée au malheur ». La somme et la dureté des épreuves qu’il a endurées, le constitue en héros aux yeux des mortels, mais aussi pour les dieux. Cette patience, qui répond à la ténacité de Poséidon, lui permet de surmonter découragement.

            

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