mardi 5 avril 2011

DG - Sens et interprétation


 Sens et interprétation

Le sens

Mystique et politique

            Les Mémoires de guerre du général de Gaulle sont un peu comme un triptyque de la peinture sacrée avec pour thème central la France. Le Salut, troisième volet de ce triptyque, maintient cette thématique majeure. L'œuvre semble avancer selon une maxime de Charles Péguy (1873-1914), un maître à penser en qui s'est toujours reconnu Charles de Gaulle: « tout commence en mystique et fini en politique » (Notre Jeunesse). Le début du Salut y fait très exactement écho: « la mystique avait inspirée les élans de la France Libre. […] à présent, c'est la politique qui dominait les actes du gouvernement » (p15). Le terme de « mystique » renvoie ici à l'idéal de résistance patriotique qui a inspiré de Gaulle, après la débâcle de 1940. Et tous ceux qui, avec lui, ont voulu sauver l'honneur de la France vaincue et occupée.
            Chacun des chapitres du Salut rappellent d'une façon ou d'une autre le mariage « mystique » entre de Gaulle et la France, en particulier à travers le rituel de l'attente, de l'acte de foi, présents dans les fins de chapitre. Les deux premiers chapitres s'achèvent en prophétisant le retour de la France à sa souveraineté mondiale. Il y a là de vrais actes de foi, presque des dénis du réel économique et politique. La confiance en la grandeur d'une France, en situation de désastre et évincé de Yalta, ne peut être en effet qu'une vue de l'esprit ou du cœur. Les 4 chapitres suivants, expriment dans leur fin, des appréhensions fortes: celles de réalités politiques venant éteindre « la flamme d'ambition nationale ranimée sous la cendre » (p 214) et « rejetée » « la France au gouffre » (p 324). Mais la voix du narrateur y sublime toujours la France, en puissance éternelle. Le dernier chapitre se termine sur des promesses de renouveau et d'avenir que l'auteur met à une distance, en fait, déjà abolie par les évènements politiques de 1958, temps de l'écriture. Le Salut offre, en se terminant, une interprétation positive de la formule de Charles Péguy. Une mystique peut engendrer une politique, en être le sillon, sans se dégrader ou disparaître. Péguy lui-même a précisé ainsi sa pensée: « l'essentiel est que, dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance » (Notre Jeunesse). C'est bien à cet « essentiel » que de Gaulle tente de faire accéder le lecteur du Salut.

Une apologie de l'avenir

            L'avenir reste, dans le Salut, un horizon dominant. Il se fait objet du discours, dès le premier chapitre: « L'avenir? Il va se préparer à travers les épreuves qui nous sépare de la victoire et, plus tard, du renouveau » (p. 54).
            Le Salut prend ainsi aisément le sens d'un texte fondateur. On y voit de façon récurrente que le Général de Gaulle après la Libération a l'esprit tourné vers tout un corpus de résolutions institutionnelles, politiques et économiques qui constituent un projet idéologique inscrit dans le long terme. Dans Les Chênes qu'on abat..., le Général confie en 1969 à André Malraux (1901/1976), auteur de cet ouvrage : « j'ai eu un contrat avec la France. » Le Salut précise les termes de ce contrat comme ceux d'un contrat d'avenir et de puissance pour « la puissance de la France » (p 121) et «  la rénovation sociale » (p. 118). Général de Gaulle  dessiné le projet mondial et le projet intérieur de le France en y conciliant tradition et modernité . Tel est son « grand but » (p. 263).
            Rétablir la France dans son rang de grande puissance, c'est la restaurer dans « un rôle conforme à son génie » et combler ainsi « l'attente de l'univers » (p. 276). Mais l'avenir mondial proposé par de Gaulle se décline également dans deux visons originales et modernes : la vison d'une Europe unie (p. 62 pp. 264-265) et celle d'un Empire français recomposé en nations décolonisées, autonomes (p. 266).
            Le projet intérieur est sur le plan institutionnel, comme on l'a déjà vu, un plan en rupture avec la IIIe  République et annonçant les grands principes de la Ve République (p. 287). Le plan socio-économique présenté dans le Salut témoigne d'un activisme réformateur, destiné à forger « la structure humaine de l'économie de demain », c'est-à-dire « l'association du capital, du travail et de la technique » (p. 121). La promotion des travailleurs « au rang d'associer responsable » (p. 122), envisagée pour une économie de progrès, fonde la notion d « association capital/travail » qu'instaureront la loi Capitant de 1966 et une ordonnance de 1967.
Le Salut fixe un code d'avenir pour de grands rêves politiques et sociaux.

Une Œuvre de communication

            Le Général de Gaulle  est aujourd'hui reconnu comme un grand communicateur, « maître du verbe et de l'image » (Dictionnaire DE GAULLE, « Bouquins », Robert Laffont). A travers le tomme III des mémoires de guerre, ont peut apprécier sont souci de recréer un lien très fort entre lui et les français, quelque dix ans après sa première retraite de Janvier 1946.
            Le Salut créé du lien, prépare à de nouvelles rencontres en faisant revivre à une histoire accordée à de grands rêves, à de belle images du passé national. La confidence faite à André Malraux «  les gens veulent que l'histoire leur ressemble, ou au moins ressemble à leurs rêves. Heureusement ils ont quelques fois de grands rêves. » peut éclairer deux axes de la communication du Général mémorialiste: raconter une belle histoire en racontant abondamment comme la « ferveur » populaire y a adhéré.
            Mais le principe de base de la bonne communication, à savoir l'autorité du discours, sa force péremptoire, se trouve aussi soigneusement préservé. Charles de Gaulle ne s'abaisse jamais à ouvrir la discussion : il énonce ce qui doit être, ce qu'il aurait fallu éviter, ce qui ne manquera pas de survenir. Son art de persuader passe par son art d'affirmer.

Les interprétations

            les interprétations du Salut tiennent à sa matière et au mémorialiste. La matière est historique et politique. L'auteur est, quand à lui, au moment où il publie cet ouvrage (1959), une figure d'exceptionnelle notoriété qui renvoie autant au passé qu'à l'avenir de la France et des Français. Après sa mort, il est une référence national honorée.

La lecture historique

            Le Salut fait revisiter à l'imaginaire collectif l'histoire des années 1944/1946, dans un sens de cohésion populaire tournée vers des avancées significatives pour la fierté national et la promotion socio-économique du pays. Résistance et Collaboration ne se voient qu'en arrière plan dans un décors ou compte surtout, aux côtés des grands hommes d'État, les armées régulières, les Assemblées et les citoyen-électeurs, détenteurs de la souveraineté nationale.

La lecture politique

            le Salut valorise un césarisme qui se dépouille de toute dimension dictatoriale (p. 286) et fonde son autorité et sa force de décision sur le charisme du chef, habité par le soucis du bien public et du progrès pour restaurer l'ordre républicain. Politologues et historiens reconnaissent l'influence réelle de cet écrit pour comprendre la dégradation de l'image des partis politiques dans l'opinion publique française.

La lecture biographique

            Le Salut éclaire et relance la légende gaullienne. De Gaulle de s'y prend pas pour son propre hagiographe, même s'il y apparaît totalement irréprochable par rapport aux intérêts nationaux. Il se découvre pour décrire ses différentes conduites politiques, diplomatiques et militaires dans un jeu de double (utilisation du « je » et du « il ») qui instaure un rapport en quelque sorte hiérarchique entre son Moi et le personnage symbolique qui l'accompagne, Général de Gaulle . Le Salut apporte du sens à sa gloire posthume, en rappelant de dogme monarchique du double corps du roi: le corps privé et le corps public et symbolique. 

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