mercredi 20 avril 2011

Les femmes - L.

LES FEMMES

            Divines et humaines

            Ulysse, dans l’Odyssée est confronté à de nombreux personnages féminins, entre lesquels apparaît un clivage opposant mortelles et déesses. La supériorité des dernières est fortement affirmée, et ce notamment par l’emploi des épithètes hyperboliques les caractérisant : « la souveraine », « la royale » … Toutefois, sur le plan physique les épithètes sont les mêmes et peu variées, marquant un certain stéréotype : « aux belles boucles », « aux bras blancs ». Ainsi, seule Nausicaa se détache du lot, sans doute du fait de sa jeunesse, et est dite « princesse à la figure d’Immortelle ». Pourtant, là encore les Immortelles dominent et affirment leur suprématie, que les mortelles ne peuvent contester : « je sais que la très sage Pénélope / n’offre aux regards ni ta beauté, ni ta stature : / elle est mortelle, tu ignores l’âge et la mort » dit Ulysse à Calypso. Ainsi, seules les mortelles sont dotées de qualités morales, qui sont toujours la noblesse et la sagesse : celles de Nausicaa et de sa mère Arété sont ainsi célébrées par Ulysse et les Phéaciens., tandis que Pénélope a droit à un éloge particulier de la part d’Agamemnon : « elle est trop raisonnable, elle a l’esprit trop juste / (…) la très sage Pénélope ».
            Surtout, mortelle et déesses diffèrent par leur statut et leur encrage dans la réalité. Ainsi, Calypso et Circé vivent seules, sans hommes et totalement indépendantes, maîtresses de leur île. Tandis qu’à l’inverse, les mortelles apparaissent souvent voire toujours dépendantes d’un homme : ainsi Arété est présentée comme l’épouse (même si son poids et son autorité sont bien supérieurs à celui d’autres femmes), Nausicaa comme fille à marier, Pénélope comme l’épouse et la mère. Les mortelles sont présentées dans leurs tâches domestiques et gestionnaires de la maison, et c’est pour ceci qu’elles sont estimées : Nausicaa s’occupe du linge, Arété file la quenouille …

            Des divinités ambiguës

            Toutefois, les divinités féminines, celles de l’Olympe mises à part, ont un statut ambivalent : ainsi, les compagnons d’Ulysse ne savent pas face à Circé ou Calypso, s’ils ont affaire à une mortelle ou à une déesse. D’ailleurs, si celles ci sont bien des divinités, elles vivent à l’écart des dieux et Calypso ne semble pas avoir beaucoup de pouvoirs surnaturels.
            D’ailleurs, leur accueil est lui-même ambigu : Calypso sauve Ulysse, mais le retient prisonnier par la suite, idem pour Circé qui semble obéir à tous les rites d’hospitalité mais qui finalement change les compagnons d’Ulysse en cochons. Ainsi, ce personnage ambivalent se présente sous des aspects inquiétants : entourée de bêtes sauvages, mais aussi qualifiée de « terrible déesse ». Cependant, on assiste surtout à la métamorphose de Circé elle-même, d’hostile et perfide, elle se change en une créature compatissante, devient un modèle d’hospitalité et met son savoir au service d’Ulysse, en se révélant être une véritable initiatrice.
            Calypso et Circé suivront d’ailleurs une trajectoire parallèle : elles privent d’abord le héros de retour, elles deviennent ensuite celles qui le favorisent en lui offrant bateau, vivres et conseils. Enfin, toutes deux découvrent la pitié.

            Des figures tentatrices

            Calypso, Circé ainsi que les Sirènes représentent une tentation forte pour le héros : elles disposent de nombreux atouts qui pourraient faire succomber Ulysse. Ainsi, elles sont toutes trois dotées d’une belle voix (qui est l’attribut de la séduction féminine), elles sont entourées d’un cadre paradisiaque (grotte de Calypso, palais de Circé …), et se révèlent toutes dangereuses, car elles visent toutes à détourner Ulysse de la voie du retour, et deviennent ainsi en quelque sorte des figures de la mort.
            Ainsi, la métamorphose que Circé impose aux compagnons d’Ulysse est une épreuve qui se rapproche de la mort, puisqu’elle leur fait perdre leur humanité en en faisant des bêtes, mais surtout en les privant de la nostalgie, du désir de retour qui les fait vivre, par le biais de son philtre « qui devait leur faire oublier leur patrie ». D’ailleurs chez Circé, le héros doit aussi résister à la séduction. On rejoint ici l’archétype de la femme qui envoûte et détruit les hommes par un pouvoir considéré comme magique : la sexualité. Ulysse se laisse un peu amollir, et ce sont ses compagnons qui doivent lui rappeler qu’il faut quitter l’île de Circé.
            Derrière le charme des Sirènes, se cache la mort sous son aspect le plus morbide de décomposition : la tradition mythologique les montre souvent comme compagnes de Perséphone, ou mêlant leur chant à celui des Parques. Juste après la nekuia qui représente un aspect effrayant de la mort, elles peuvent symboliser le charme insidieux du trépas, de l’oubli des souffrances humaines.
            Ulysse est donc soumis à la tentation de quitter le statut de mortel. Cet aspect est d’ailleurs renforcé chez Calypso, autre image de la mort car cachée au fond de sa grotte où elle tient Ulysse prisonnier pendant 7 ans, qui lui propose d’accéder à l’immortalité pour rester à ses côtés. 
Calypso possède également tous les atouts de la séduction érotique. Son île est d’ailleurs la dernière épreuve et la plus grave car celle ci, Ulysse doit l’affronter seul : il doit choisir entre l’immortalité offerte par la déesse et le statut de mortel qu’il doit conserver pour retourner à Ithaque. Mais Homère opère alors un retournement de situation en marquant la vie divine de tous les signes de la mort : ainsi il vie reclus dans la grotte de Calypso, caché dans un lit où il n’est ni vivant, ni mort, et où son existence se consume dans l’inactivité et les pleurs. Les seuls objets de son désir son sa terre et sa famille. De fait, Ulysse va alors revendiquer devant la déesse le choix de la vie mortelle.

            Deux figures positives  

            Toutefois, face à ces divinités ambiguës et menaçantes, d’autres s’avèrent profondément ancrées dans la réalité humaine et ramènent ainsi Ulysse à la vie. C’est le cas par exemple de Nausicaa, préoccupée par son mariage, occupée à laver du linge. Elle aurait pu représenter pour le héros la dernière tentation, humaine cette fois, car la jeune fille est immédiatement sensible au charme du guerrier, et son père se propose de le prendre pour gendre. Nausicaa apparaît aussi comme une sorte d’idéal, beauté naturelle, fraîche et jeune, elle est comparée à Artémis. D’autant que sa rencontre avec Ulysse va lui procurer un statut étonnant : en plus de sa pureté, elle de démarque par son courage et sa maîtrise de soi, qualités plutôt masculines dans le monde épique. Elle suscite l’admiration d’Ulysse, ce qui provoque chez lui des paroles d’adieu qu’il n’a jamais eues à l’égard de Circé et Calypso : « même là-bas, je t’invoquerai comme un dieu / jour après jour : car tu m’as sauvé jeune fille ».

            Quant à Pénélope, sa femme, présente au premier et au dernier chant, elle est qualifiée de « prudente » et de « très sage » et par sa fidélité constitue une sorte de point d’ancrage vital pour son époux. Ainsi, pendant les vingt ans que durent son absence, son rôle est de rester comme image de la stabilité pour Ulysse, errant dans un univers mouvant.
C’est pas sa fidélité que le souvenir d’Ulysse reste vivant et que demeure l’espoir du retour.

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